Je faisais probablement partie des chanceux

Je suis passée par les lutins, et ensuite les guides, il y a environ 15-20 ans. À la lecture de ces nombreux témoignages, je ne sais pas quoi penser et je réalise que je garde de cette expérience une certaine ambivalence.

Les moments positifs furent extrêmement positifs et font partie des meilleurs moments de ma vie. C’est cliché, mais chanter autour du feu, apprendre à construire un pilotis, passer du temps avec des filles de mon âge hors du contexte scolaire, etc. – sont des moments précieux que j’espère que mes propres enfants pourront vivre aussi. J’ai noué des amitiés fortes qui sont parmi mes plus anciennes.

La totémisation, un moment traumatisant pour certains, je l’ai plutôt bien vécue. Le seul moment dont je me souviens avec malaise c’était quand j’ai dû imiter une fellation en utilisant une banane. J’avais 12 ans.

Pour le reste, est-ce que c’est bizarre de dire que ça m’a plutôt plu ? Le côté ‘adversité’, les dropping de nuit, devoir se dépasser mentalement et physiquement, la solidarité avec les autres qui subissent la totémisation… C’était excitant, hors de l’ordinaire, des moments qu’on subit mais qu’on raconte ensuite avec fierté, comme une insigne d’honneur : Je l’ai fait !

Mais avec le recul, je réalise aussi que je faisais probablement partie des chanceux – j’avais des ami(e)s, je n’étais pas trop sensible aux moqueries (que je ne subissais pas vraiment, d’ailleurs), j’étais bien intégrée, je venais d’un milieu socio et économico-culturel favorisé. Il m’aura fallu (trop) longtemps pour réaliser que tout le monde n’est pas fait pareil, et que pour certain(e)s une expérience que je trouvais juste vaguement embarrassante pouvait être une épreuve traumatisante. J’ai certainement dû manquer d’empathie, je me demande régulièrement si j’ai moi-même participé à ce cycle sans le réaliser, en pensant que c’était vécu comme moi je l’avais vécu, c’est-à-dire comme une blague.

Toute expérience ne doit pas être forcément ‘agréable’, et je trouve ça très formateur de se mettre dans des situations qui exigent de sortir de sa zone de confort. Après tout, n’est ce pas la raison pour aller dormir dans une tente, se laver dans la rivière, marcher des kilomètres, etc… ?

Mais ce qui est difficile, c’est de déterminer quand une expérience moins agréable dégénère en situation carrément désagréable, voire traumatisante. Du côté des animateurs et même de la troupe, ça nécessite, si pas une certaine expérience de vie, en tout cas une sensibilisation active de la part des institutions qui supervisent. Peut-être un visionnage du film La Vague (2008), pour illustrer les dérives qui arrivent dans des groupes qui valorisent trop l’esprit de corps et la discipline…

Scout toujours ? Le mur de témoignages

De mars à août 2023, Médor s’est penché sur les mouvements de jeunesse belges et leurs débordements.
Sur ce mur de témoignages désormais clôturé, vous pouviez partager votre expérience. Ensemble, vos témoignages nous ont permis de comprendre comment se mettent en place des dérives. Les conclusions de cette enquête participative sont à retrouver sur medor.coop/scouts

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