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Courtrai, reconnaissance faciale dans le viseur ?

S’équiper pour surveiller. Episode 4

Courtrai s’équipe en caméras en tout genre. Résultat ? Difficile à dire. Leçon numéro 2 tirée du plan caméra publié en mars 2021 : prouver l’impact des caméras sur la criminalité, c’est pas de la petite bière. En attendant l’efficacité, la technologie avance. Aujourd’hui, un simple bouton « on » permettrait la reconnaissance faciale en Belgique. Il ne manque plus qu’une loi. Qui arrive.

Cette investigation par épisodes est l’un des volets de notre grande enquête participative sur l’hypersurveillance à la belge. Après 7 publications sur la BNG, la base de données générale de la police, voici un focus sur les équipements de surveillance qui viennent en soutien aux agents. Après Namur, voici Courtrai.

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A Courtrai, la majorité communale adore les caméras de surveillance. Alors qu’elle allait être épinglée par un documentaire de la VRT pour un manque de stratégie et de vision dans l’utilisation de ses 186 caméras, la ville a publié, en mars 2021, son « plan caméra ».

La foire aux questions destinée, sur le site de la ville de Courtrai, vise à rassurer le citoyen. Les dépenses (250 000€) par an consacrées aux caméras sont bien maigres par rapport au budget total de la ville (200 millions d’euros). L’usage des drones est proportionnel et ils ne servent pas à patrouiller dans les airs. Et les caméras, elles offrent des résultats ?

« Certainement », selon la FAQ de la page dédiée au « Cameraplan ».

Tout devient, à cet instant, magique. À Courtrai, selon la ville, les inspecteurs font appel aux caméras dans 30 % de leurs dossiers en moyenne et « parfois ces images sont la pièce essentielle du puzzle, parfois elles renforcent la charge de preuves dans le dossier ».

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Sarah Fabre. CC BY-NC-ND

Évaluation difficile

Pour défendre leur choix d’investir 250 000€ par an dans la vidéosurveillance, Courtrai et la zone de police VLAS, dont la ville fait partie, liste les vertus de cet arsenal : permettre l’envoi en direct de patrouilles et la mise en place de patrouilles virtuelles, dissuader la criminalité et augmenter le sentiment de sécurité.

Mais le document complet du plan caméra, adopte un ton plus nuancé. « Il est particulièrement difficile d’évaluer de façon chiffrée l’effet précis des caméras sur la criminalité », lit-on. Il serait « trop simpliste » d’attribuer une baisse des chiffres de la criminalité aux simples caméras, prévient le document, rappelant que les efforts fournis en matière de prévention par la ville ont aussi un effet positif sur les chiffres de la criminalité ou le sentiment de sécurité.

En 2000, bien avant les caméras, Courtrai dénombrait 8707 faits de criminalité. Un an après le lancement effectif des caméras, en 2013, ils étaient au nombre de 8725. Ils ont chuté en 2017 à 7506, pour remonter à 8178 et 9124 les deux années suivantes. Cette augmentation serait due, selon le « cameraplan », à l’augmentation de la criminalité en ligne, sans fournir davantage de détails.

Au cas par cas, l’analyse des différentes types de délits offre une évolution contrastée :

  1. Les vols de voitures et de mobylettes ont baissé depuis l’arrivée des caméras. C’est vrai. En 2019, on a volé 36 voitures et 30 mobylettes à Courtrai. En 2015, année où les caméras ANPR, que la ville juge comme un bon indicateur pour mesurer l’impact des caméras, sont apparues, ces vols se chiffraient à 63 et 60 (avec un pic à 91 en 2016 pour les mobylettes). Si la diminution est probante, il faut rappeler qu’entre 2000 et 2010, sans caméras donc, les chiffres de ces vols avaient été divisés par 3 pour les voitures (de 212 à 61) et 4 pour les mobylettes (329 à 80).
  2. Quant aux vols de vélos, ils augmentent depuis 2017, alors que les caméras étaient déjà implantées depuis longtemps. Signe de technophilie : si ça augmente, les caméras doivent sans doute jouer un rôle là-dedans, dit en sous-texte le rapport. « Il est actuellement considéré dans quelles mesures les caméras peuvent être renouvelées, remplacées ou déplacées », pour répondre à cette augmentation.
  3. Depuis la mise en place des caméras ANPR (qui reconnaissent automatiquement des plaques d’immatriculation), le nombre de cambriolages a baissé par rapport à 2015, une année particulièrement dense pour ce genres de délits (619). En 2017, il n’y en avait plus que 350, mais ce chiffre remonte désormais (396, contre 467 en 2010). Même constat pour les vols à l’étalage. Ils ont baissé en 2015, mais augmentent depuis lors.

Le plan caméra de Courtrai permet une chose : voir à quel point il est difficile de mesurer, dans le temps et précisément, l’impact réel de la vidéosurveillance. Et donc, à dater de l’installation d’une caméra, une baisse des délits peut permettre de valider un choix technologique.

« Ce qui m’ennuie le plus, estime le criminologue Jelle Janssens, de l’Université de Gand, c’est que les politiciens vendent la surveillance et les caméras comme contribuant à réduire la criminalité. Ce n’est pas le cas. Cela cause soit des effets de déplacements (donc pas de réduction, mais les délits sont commis ailleurs), ou cela n’a pas d’impact réel sur la plupart des délits. L’exception notable c’est les vols de véhicules ou dans les véhicules dans les parkings surveillés par des caméras. Mais les délits violents ou les vols sont rarement empêchés. Les villes et les entrepreneurs développent des systèmes de vidéo-surveillance mais ne font pas attention à l’évaluation. Il faut de la recherche de base pour évaluer l’impact et c’est rarement effectué. »

Plus de budget pour toujours plus d’intelligence

Autre problème soulevé par Janssens : on prête à la vidéosurveillance une grande efficacité tout en utilisant moins de gens. En réalité, elles amènent plus de travail. Dans une commune comme Courtrai, où il y a un agent pour 400 habitants, mais aussi dans toutes les autres qui ont investi dans la caméra. Dans le documentaire Privacy & Ik (2021, Canvas), Harry Hendrickx, bourgmestre de Malle (Province d’Anvers), le reconnaît : pour que ce soit efficace, il faut y consacrer des hommes, 24/24, 7 jours sur 7.

Interviewé en mai 2019 par De Standaard, le chef de corps de la zone de police VLAS expliquait la réalité de la vidéosurveillance : « Même avec une vitesse de lecture accélérée, il faut souvent des heures pour analyser des images de vidéosurveillance. Il faut faire des choix, alors on met davantage nos moyens sur un vol avec violence qu’un vol de vélo ou un vol sans violence. »

En 2019, Courtrai scelle un nouvel accord de majorité et se rêve en « Meilleure ville de Flandre. » Les budgets pour les caméras sont augmentés, notamment pour un usage plus « intelligent » du réseau de surveillance.

Pour 106 000€, et toujours dans son idée d’investissement technologique, la ville et la zone de police vont alors acquérir auprès de la société de vente de solution de sécurité RTS, basée à Ypres, juste à côté, un logiciel qui permet de traiter de façon plus « intelligente » les images des caméras.

Sac à dos dans le viseur

Briefcam, qui était déjà utilisé à Bruxelles, Buenos Aires ou Boston, a de quoi épater des services de police en effectif à flux tendu. Il s’agit d’un logiciel développé par une société israélienne détenue elle-même par Canon. Son slogan : « Transformer des vidéos en des renseignements exploitables. »

Briefcam possède un outil assez pratique pour des policiers débordés : le Vidéo Synopsis. Il peut vous résumer des heures de vidéos en quelques minutes, en agglomérant des « objets » (individus, véhicules, par exemples) qui sont passés à différents moments sous l’oeil des caméras. En 2019, Vincent Van Quickenborne en faisait une présentation on ne peut plus enthousiaste aux médias. « Le logiciel va aller rechercher tous les gens qui portent un sac à dos, des véhicules de couleur rouge ou qui contiennent un chien. La direction, la taille et la vitesse de l’objet peuvent être évalués. »

Lors d’une visite, au même moment, des médias dans la salle de dispatching où Briefcam est utilisé, le porte-parole de la zone VLAS insistera à plusieurs reprises : « Ce n’est pas un logiciel de reconnaissance faciale. »

Tout le monde en veut

Là est tout l’enjeu posé par l’arrivée d’une solution comme Briefcam dans l’arsenal policier en Belgique. La reconnaissance faciale est interdite par la loi belge. Nous sommes un des deux pays européens, avec l’Espagne, à ne pas le permettre. Pourtant, Briefcam, de l’aveu même de la police courtraisienne à l’époque, et selon ses propres plaquettes publicitaires, dispose d’une telle fonction.

La société RTS, qui détient une licence d’importateur pour Briefcam et l’a installé à Courtrai, a dû, à l’époque, désactiver les droits d’utilisateur pour la reconnaissance faciale. L’option est automatiquement disponible. RTS se justifie : leurs fournisseurs « supposent que tout le monde veut faire usage de la reconnaissance faciale ».

Et si à Courtrai on garantit ne pas y avoir recours, la police fédérale s’est distinguée, en 2019, pour avoir lancé une expérimentation de reconnaissance faciale à l’aéroport de Zaventem, sans même prévenir l’Organe de contrôle de l’information policière et solliciter son avis, un prescrit légal. Celui-ci demandera son interruption. Aujourd’hui encore, on ne connaît pas quels marques de caméras et quels logiciels de reconnaissance ont été utilisés.

Comme le rappelle le rapport commandité par Saskia Bricmont (euro-députée Ecolo) et le groupe des Verts au Parlement Européen sur la surveillance biométrique et comportementale de masse dans les états membres de l’UE, le commissaire général de la Police fédérale, Marc De Mesmaeker, justifia l’expérimentation en la comparant aux caméras ANPR permises par la loi et qui « ont déjà aidé à résoudre des enquêtes rapidement ».

Le vent tourne

La reconnaissance faciale pose des enjeux éthiques considérables, pour le respect de la vie privée notamment, alors que les données biométriques sont considérées comme sensibles par le RGPD (Règlement européen sur la protection des données), qui demande donc qu’on accorde une grande importance à leur protection. Mais elle questionne aussi quant à son efficacité réelle. Un seul exemple : comme le montre le projet Gendershades du Massachussets Institute of Technology, si on est une femme ou une personne à la peau foncée, on a plus de chances d’être victime d’une erreur d’identification qu’un bon vieux mâle blanc.

Constatant la mise en place d’une reconnaissance faciale de masse dans certains pays européens (France, Pologne), notamment dans le cadre de la pandémie de coronavirus, l’euro-députée Saskia Bricmont et les Verts ont d’ailleurs demandé à ce qu’elle soit interdite en Europe.

Côté belge, la reconnaissance faciale semble s’installer, en douce. En octobre 2021, la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden (CD&V) reconnaissait, suite à une enquête de Buzzfeed, que le puissant logiciel Clearview AI avait bel et bien été utilisé par la police. Qui avait pourtant démenti, des mois avant, l’avoir fait.

Dans un projet de loi de décembre 2020, pour le budget du SPF Intérieur et du SPF Police 2021, on peut clairement sentir vers où le vent tourne. « En tant que partisane des nouvelles technologies, la ministre (Verlinden, ndlr) préconise également l’utilisation de la reconnaissance faciale, à condition que des garanties suffisantes soient fournies en termes de respects des droits de l’homme. » Et le projet de loi de préciser que la police effectue une analyse juridique et opérationnelle en vue d’utiliser la biométrie. Et que s’il faut adapter la loi, « les initiatives nécessaires seront prises » et qu’il « est déjà prévu d’étendre leur utilisation (des systèmes de reconnaissance faciale, ndlr) à tous les endroits critiques à un stade ultérieur. »

Si la loi est modifiée, à Courtrai, il suffira simplement d’appuyer sur le bouton « on ».

Dans le plus strict respect de la stratégie belge en matière de surveillance et comme on l’a vu pour les bodycams  : autant déjà acheter l’équipement pour mieux légiférer après.

Cette investigation par épisodes est l’un des volets de notre grande enquête participative sur l’hypersurveillance à la belge. Pour naviguer d’un épisode à l’autre, utilisez le fléchage en haut ou en bas de cet article.
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