Du courage
Textes (CC BY-NC-ND) : L’équipe de Médor
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Des histoires de femmes, une volonté de dire stop à des processus de domination et aussi des combats de tous les jours contre l’injustice ou les atteintes aux droits. Non, il n’est pas facile de dire non : c’est un fil rouge de notre numéro 32.
Congo, 1928. Alice a 8 ans. C’est une petite Métisse qui jure « nan du Dja » (« nom de Dieu ») avec l’accent wallon de son père. Elle est persuadée qu’il va l’emmener en Europe. Mais l’homme repart, seul, fonder une « autre » famille en Belgique. Anvers, 1950. Alice a 30 ans. Son père est mort, mais elle rêve de rencontrer les autres enfants qu’il a eus après elle et qui vivent à quelques dizaines de kilomètres. On la dissuade de prendre contact. Tervuren, 2003. Alice a 83 ans. Elle se dirige vers ses demi-frères et sœurs inconnus. Elle compte enfin exister dans leur vie. Mais le doute l’assaille, en chemin. Elle fait demi-tour. Facebook, 2021. Alice a 101 ans. Par l’intermédiaire de sa fille, elle prend enfin contact avec sa famille belge. Elle se dit « tellement apaisée » d’avoir pu leur parler. Elle décède l’année suivante.
Julie est une gymnaste de haut niveau, au début de l’adolescence, dans les années 2010. Elle s’entraîne à Gand, avec l’élite. Dans ce monde de grâce et de souplesse, d’amitiés et de dépassement, elle vit aussi l’humiliation et une pression insoutenable. Souffrir semble normal. « On voulait être de bonnes gymnastes, de bons enfants », témoigne-t-elle aujourd’hui, pour la première fois, quelques semaines avant le début des mondiaux de gymnastique à Anvers.
Clémence travaille à domicile dans une maison ouvrière du Hainaut, comme indépendante. Son métier ? « Pute » – c’est comme ça qu’elle se définit. Dans sa carrière, elle en a vu des connards, comme celui qui lui a payé la passe puis a repris l’argent quand elle a eu le dos tourné. Ce jour d’octobre 2019, encore, un ingénieur annule le virement qu’il vient de lui faire. Le coup de pute de trop. Elle décide de se défendre, même si ça lui vaudra d’affronter le mépris d’une procureure et l’indifférence de la partie adverse. En avril 2023, son client est condamné pour escroquerie et viol.
Ces histoires racontent l’obstination, le doute et le courage qu’il faut pour dire « non ». À titre individuel. Mais aussi à titre collectif. Le courage, c’est ce qui a manqué à la Belgique pour reconnaître les dommages causés aux enfants métis abandonnés par des colons. Le courage dont notre pays a fait preuve, l’année dernière, en devenant l’un des premiers au monde à décriminaliser complètement la prostitution et ouvrir ainsi la porte à de nouveaux droits pour les prostitué·e·s. Le courage qu’il faudrait pour relire le rapport datant de 2021 sur les comportements abusifs au sein de la Fédération de gymnastique, qui incrimine les actuels coachs – alors que ceux-ci entraînent notre championne Nina Derwael, l’un des meilleurs espoirs de médailles belges aux Jeux olympiques de Paris, en 2024.
Participe (dé)passé
De courage politique, il en est aussi question dans l’interview du linguiste Dan Van Raemdonck. Celui-ci rappelle qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles, les professionnels de la langue sont tous favorables à une réforme de l’orthographe et de l’accord du participe passé (42 règles dans le Bescherelle :-)), pour des raisons scientifiques et démocratiques. Ne plus accorder le participe avec le verbe avoir permettrait déjà de gagner un temps fou à l’école et de se concentrer sur des apprentissages plus essentiels.
S’agit-il de courage ou juste de cinq secondes de réalisme au regard de l’actuelle déglingue climatique, pour remettre en question le régime fiscal des voitures de société ? Pour Pita, qui vient faire réparer son Opel Corsa diesel de 2008 dans un petit garage de Tournai, la lutte contre la pollution, c’est bien, mais ce serait logique qu’il n’y ait pas que les petits revenus qui trinquent. Lui ne peut plus entrer à Bruxelles avec sa vieille caisse, alors qu’il voudrait se reconvertir en chauffeur-livreur. Thomas et son SUV BMW électrique de société, par contre, il roule où il veut, quand il veut, à l’œil et sans se poser de questions.
Enfin, courage ou nécessité, il est urgent que la Belgique et l’Europe imposent des règles de transparence drastiques au marché de l’or, comme pour les autres minerais dont l’extraction peut être liée à des conflits, des crimes environnementaux ou des violations des droits humains. Peut-on accepter de ne pas savoir si notre GSM ou l’ordinateur avec lequel nous écrivons ces lignes ont contribué à la déforestation de l’Amazonie ? Non, bien sûr. « Ce n’est pas seulement notre responsabilité, rappelait Alessandra Korap Munduruku, qui défend les terres de sa communauté dans l’État brésilien du Pará. Ce n’est pas seulement celle du gouvernement brésilien. C’est de notre responsabilité à tous. »