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La pub politique à la loupe du genre

Dans la course infernale aux pubs Facebook, ce sont surtout d’hommes qu’il s’agit. Les données mettent en lumière les stéréotypes sexistes des partis ainsi que les biais des algorithmes, et ce n’est pas joli-joli…

On vous dit « personnalité politique belge », à qui pensez-vous ? Probablement à une figure masculine : De Wever, Bouchez, Magnette ? Les biais de genre sont influencés par les représentations qui nous sont proposées, y compris sur les réseaux sociaux. « Il y a une personnalisation du politique en Belgique qui se fait autour des présidents. Ils sont presque exclusivement des hommes [à l’exception de Meyrem Almaci, présidente de Groen, et de la co-présidente d’Écolo, Rajae Maouane, NDLR] », explique Clémence Deswert, doctorante au Cevipol et spécialiste de la question du genre en communication politique. Mais, au-delà des présidents, ce sont les politiciens masculins qui sont singulièrement mis en avant sur les réseaux sociaux.

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Camille Potte. CC BY-SA

Tous partis belges confondus, de janvier à septembre 2021, via les pages personnelles, le montant dépensé pour les hommes est quatre fois plus important que celui pour les femmes, 57 hommes ont été mis en avant contre 28 femmes. Aussi, pendant la campagne de 2019, 640 000 € ont été déboursés pour promouvoir des hommes contre 111 000 € pour les femmes.

Nouveaux médias, vieilles pratiques

« Le fait qu’il y ait plus de pubs mettant en avant des hommes n’est pas un problème technologique, mais un problème de société », appuie Olivia Gambelin, chercheuse basée aux États-Unis et spécialiste en éthique et intelligence artificielle. Rappelons que, depuis 2002, la parité hommes-femmes est obligatoire sur les listes électorales. Alors pourquoi ces messieurs ont-ils davantage droit à la visibilisation ? « Les élections de listes permettent une certaine régulation, mais le vote préférentiel change la donne. Dès lors, s’il n’y a pas de législation pour appliquer de quotas par rapport aux publicités, il y a un déséquilibre », commente Sandrine Roginsky, chercheuse à l’UCL et spécialiste en communication politique et publique, médias et réseaux. Sur Facebook comme dans les médias, ce sont les leaders masculins qui sont sur le devant de la scène, et ce malgré les discours des partis prônant la parité et l’égalité.

Mais les femmes politiques souhaitent-elles vraiment s’exposer aux propos misogynes qui pullulent sur les réseaux sociaux ? Selon les chiffres publiés par le lobby européen des femmes en 2017, les femmes auraient 27 fois plus de risques de se faire cyberharceler que les hommes. En mai 2019, la journaliste Sarah Freres publiait dans La Libre un dossier dédié au cyberharcèlement des jeunes femmes politiques lors de leur campagne. Opaline Meunier (cdH), Sophie Rohonyi (DéFi), Leila Agic (PS), Laure Lita (MR) et Margaux De Ré (Écolo) y témoignent avoir été victimes de violences sexistes en ligne. Margaux De Ré finance des posts pour de très faibles montants mais « si demain, on me donnait 2 000 € pour sponsoriser un post depuis ma page, j’aurais peur de voir la meute me tomber dessus. Si les partis veulent faire émerger de nouvelles têtes et de nouvelles paroles, il faut protéger les femmes et poursuivre les agresseurs quand il y a des abus ».

Biais 2.0

Outre les choix des personnalités mises en avant, le sexisme se développe aussi au niveau des publics ciblés. Les posts s’affichent différemment chez les femmes ou les hommes en fonction de leur contenu, soit du fait de l’algorithme, soit du fait d’un ciblage délibéré des partis. Prenons deux publicités d’interviews de Georges-Louis Bouchez : la première, plutôt sérieuse sur le plateau de LN24, a été vue par 62 % d’hommes, la suivante, au format magazine détente-chien-sourire pour RTL TVI, a touché 62 % de femmes. Pourquoi ? La faute à l’algorithme. En fonction des engagements, la formule mathématique qui dirige la portée des posts optimise le ciblage vers le genre qui a le plus de chance de cliquer sur une publicité donnée. Une étude européenne menée par AlgorithmWatch a montré que l’algorithme de Facebook est sexiste. En publiant des offres d’emploi, sans qu’aucun ciblage de genre n’ait été utilisé, les chercheurs ont observé de grandes disparités. En France, comme le rapporte France Culture, « l’annonce pour le poste de camionneur/euse a en effet été diffusée à 2 427 hommes et seulement à 327 femmes. La publicité pour le poste en puériculture, lancée exactement au même moment, a été diffusée à 1 787 femmes et à près de 10 fois moins d’hommes (186) ». L’algorithme pourrait-il viser autrement les utilisateurs et utilisatrices ? « Évidemment ! L’algorithme pourrait être plus neutre. Facebook pourrait aussi concevoir des algorithmes anti-stéréotypes », déclare Olivia Gambelin, chercheuse en intelligence artificielle, qui a quitté le réseau social depuis bien longtemps.

Le ciblage par centres d’intérêt renforce également les stéréotypes préexistants. Les équipes de communication des partis peuvent délibérément ne cibler que les femmes. Tous les partis qui ont répondu à notre enquête affirment cibler par genre. En pull blanc, Conner Rousseau (président de Vooruit, ex-sp.a) a par exemple remercié le personnel soignant, dans un message sponsorisé à hauteur de 1 500 €, pour ne viser que les jeunes femmes (97 % entre 18 et 34 ans). Du côté francophone, le PTB a décliné sa campagne de pétition pour la pension minimale garantie avec ce slogan « une femme sur trois touche moins de 750 € de pension », et ce à destination des femmes seulement (même procédé en ne ciblant que les jeunes). Le PS, lui, a monétisé un post qui promeut un live (vidéo en direct) de ses ministres, députées et mandataires à l’occasion du 8 mars (Journée internationale des droits des femmes) avec un ciblage à 100 % au féminin. Même pratique sur une publication autour de la précarité menstruelle. Bel exemple aussi du côté d’Écolo, avec un post consacré à l’urgence de l’égalité entre les femmes et les hommes… montré aux femmes et à elles seules. « Encore une fois, c’est laisser la charge mentale de ces questions-là aux femmes… », souffle Clémence Deswert. L’éthique de ces pratiques mérite débat.

Cet article est écrit de manière binaire, car nous nous basons sur la répartition par sexe « hommes-femmes » de la bibliothèque publicitaire. Il serait bien entendu indiqué de pouvoir inclure la pluralité des genres dans les données.

Illustration musicale par Point Culture

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  1. Ont été pris en compte les montants des personnalités politiques ayant dépensé plus de 1 000 € sur cette période.

  2. Selon le dernier rapport du Global Media Monitoring Project sorti en 2021, en Belgique, les femmes sont sous-représentées dans les médias en tant que sujets, spécialement dans la catégorie « politiques et gouvernement » où elles ne représenteraient que 19 % de l’espace médiatique (imprimé, télé et radio).

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