« Les paiements ont un effet sur les prescriptions. »

L’influence des pharmas sur nos médecins.

Shai Mulinari est professeur en sociologie à l’université de Lund, en Suède. Depuis plus de 10 ans, il effectue des recherches sur la transparence et la régulation ds entreprises pharmaceutiques. Il dirige actuellement une recherche sur les paiements et la transparence de l’industrie du médicament. Médor s’est entretenu avec lui.

D’où provient notre registre de transparence belge BeTransparent ?

Des USA. Au niveau européen, l’industrie a senti l’arrivée d’une accentuation de la transparence et a pris les devants, préférant l’autorégulation à une législation. L’EFPIA (European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations), le lobby pharmaceutique européen, a suggéré un cadre commun, laissant aux associations nationales les coudées franches.

Existe-t-il des différences entre les pays que vous avez pu analyser ?

Ce qu’on a remarqué, c’est que l’autorégulation ne s’est pas développée de manière identique partout. Au Royaume-Uni, par exemple, l’ABPI (Association of the British Pharmaceutical Industry, Nldr) a son propre code de bonne conduite, construit sur base du code de l’EFPIA. Ils ont rapidement développé une base de données facilement accessible et téléchargeable, ce qui en fait le système le plus accessible et transparent des pays étudiés. Dans les autres pays, l’industrie a plutôt opté pour une autre approche : celle de dire aux firmes de publier des PDF sur leur propre site internet, aux citoyens de s’y retrouver ensuite.

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Margaux Dinam. CC BY-NC-ND

Existe-t-il un revers à la transparence ?

Oui, il y a plusieurs problèmes en lien avec la transparence. C’est bien de dire qu’on en veut davantage, mais cela résout-il les problèmes structurels présents ? Ou alors les entreprises vont-elles déclarer leurs paiements sans que personne ne s’en soucie ? Un second problème est que les données produites peuvent être utilisées pour poursuivre un but opposé à la transparence. Aux Etats-Unis, ce qu’on a constaté, c’est que les firmes elles-mêmes utilisent les données pour surveiller étroitement les médecins. Elles peuvent alors regarder les collaborations d’un Key Opinion Leader qui les intéresse, regarder si les paiements qu’elles effectuent ont un effet sur les habitudes de prescription du médecin, etc. De plus, les entreprises peuvent également acheter des données que nous, chercheurs, n’avons pas, comme « quel médecin va à quelle conférence ? », par exemple. Tout en organisant la transparence, il faut vraiment être certain qu’il ne soit pas possible de réutiliser les données de cette manière.

Que pensez-vous du système belge et donc de BeTransparent ?

Je pense que, si on compare à ce qui existait avant, c’est un pas dans la bonne direction. Mais il y a toute une série de faiblesses qui viennent saper l’objectif initial de transparence. A court terme, il est pourtant possible d’opérer un certain nombre de changements, de manière assez simple. Par exemple, disposer de plus d’années, avoir une meilleure interface, permettre les liens… A long terme, il faut se poser la question de l’objectif de la transparence, des conséquences de la divulgation de ces informations. Aux Etats-Unis, des centaines d’articles scientifiques ont été publiés suite au Sunshine Act et à l’utilisation de la base de données par les chercheurs. Ce qu’ils ont réussi à montrer c’est que, dans leur contexte, les paiements ont un effet sur les prescriptions.

OpenPharma a été réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles

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