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Du cobalt, envers et contre tout

Umicore empêtrée avec Glencore, société coupable de corruption

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Melek Zertal. Tous droits réservés.

Une des plus grosses sociétés belges, Umicore, achète du cobalt au géant suisse Glencore. Objectif : préparer le monde de demain, avec des batteries, de l’énergie renouvelable et des véhicules électriques. Problème : Glencore n’est pas aussi propre que le futur qu’il promet.

C’est une nouvelle qui n’a pas fait assez de bruit. Le 24 mai 2022, la société suisse Glencore annonçait qu’elle allait devoir payer 1,5 milliard de dollars d’amende après avoir plaidé coupable pour corruption et manipulation de marché devant les justices américaine, brésilienne et britannique. Les faits reprochés se sont produits dans plusieurs pays dont le Nigeria, le Brésil, le Venezuela et la République démocratique du Congo (RDC).

1,5 milliard, c’est beaucoup de sous. Mais pas tellement pour Glencore, « la plus grande société dont vous n’avez jamais entendu parler », comme l’écrivait Reuters en 2011, lors de son entrée en bourse. Car Glencore, c’est 135 000 employés dans plus de trente pays et 200 milliards de dollars de chiffres d’affaires en 2021.

D’où vient tout cet argent ? Créée en 1974 sous le nom de Marc Rich and Co, d’après le patronyme de son fondateur, un homme d’affaires peu scrupuleux né à Anvers, Glencore est le leader mondial du commerce de matières premières. Comme son site l’annonce, cette société veut « faire avancer la vie de tous les jours en fournissant les matières premières nécessaires pour développer, soutenir et améliorer le monde autour de nous ».

Plus prosaïquement, Glencore vend du blé, du coton, du pétrole, est le premier exportateur mondial de charbon, produit et commercialise quantité de zinc et de minerais de fer. En RDC, la société détient parmi les plus juteuses mines de cuivre et de cobalt du monde. Avec le nickel, que Glencore extrait également, ces métaux sont jugés stratégiques pour la transition énergétique, les batteries et le secteur de l’énergie renouvelable.

Il y a beaucoup de chance qu’il y ait un peu de matière première vendue par Glencore chez vous, de la batterie de votre téléphone à votre bol de céréales. Mais qui dit Glencore dit aussi ribambelle de scandales et de controverses.

Pollution et corruption

Rien que ces cinq dernières années, Glencore s’est retrouvée dans le viseur des ONG pour des déversements d’eaux usées toxiques au Tchad (2018), des fuites d’acide sulfurique dans les rivières autour de ses mines de Kolwezi en RDC (2021), des soupçons de contamination de l’eau des rive­rains d’une mine péruvienne (2020), une augmentation des risques de cancer à cause des émissions d’arsenic de sa fonderie de Rouyn-Noranda, au Québec (2022), et une décision, en juillet 2022, d’élargir une mine de charbon australienne qui, selon des scientifiques, émet tellement de méthane que son impact sur le climat équivaut aux émissions de plusieurs millions de voitures.

Mais ce n’est pas tout. Depuis une décennie, justice et société civile accusent également Glencore d’avoir trempé dans des systèmes de corruption et de manipulation des prix du marché pour s’imposer en maître sur les territoires les plus convoités pour leurs matières premières. C’est notamment dans la filière cobalt que la corruption a été dénoncée.

Glencore détient deux sites miniers de cuivre-cobalt à Kolwezi : Mutanda Mining et KCC, qui produisent environ 30 % de la production mondiale de cobalt. Or, une société belge d’envergure est particulièrement intéressée par le cobalt : Umicore.

Née de l’ancienne Union minière qui exploitait les mines du Haut-Katanga durant la colonisation, Umicore produit des matériaux pour les batteries re­chargeables, les cellules solaires de satellites, les catalyseurs et bien d’autres applications. En 2021, Umicore représentait un chiffre d’affaires de 25 milliards d’euros et employait 11 000 personnes sur les cinq continents. Cela en fait une des principales entreprises belges.

Dans sa fonderie d’Olen (près de Herentals), elle raffine notamment du cobalt pour les cathodes de batteries des véhicules électriques – un marché qui concentre toute son attention, dans l’esprit affiché par son slogan : « Materials for a better life ».

Drapeau rouge

En 2019, Umicore annonce un partenariat avec Glencore. Le groupe belge va acheter du cobalt extrait dans les mines congolaises de Glencore pour faire croître son offre en matériaux pour batteries. Les constructeurs automobiles sont en pleine transition vers l’électrique et vont devoir garantir un approvisionnement gigantesque en cellules de batterie. Umicore compte envoyer une bonne partie de ce cobalt dans sa fonderie de Kokkola, en Finlande, fraîchement rachetée à une société américaine.

Le communiqué de presse est dithyrambique. Surtout, Umicore précise avoir « évalué chaque opération [de Glencore, NDLR] comme étant en accord avec son cadre d’approvisionnement durable en cobalt, qui exclut le cobalt extrait de façon artisanale de sa chaîne d’approvisionnement, ainsi que toute forme de travail des enfants ».

Depuis 2014, la société, qui met en avant ses bonnes pratiques, publie un rapport sur ce qu’on appelle le « devoir de diligence » (due diligence en anglais).

Derrière ces termes se cachent un ensemble de mesures recommandées (mais pas obligatoires) par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) pour évaluer et minimiser les impacts négatifs dans une chaîne d’approvisionnement, comme les abus des droits humains, les dégâts environnementaux ou la corruption.

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Melek Zertal. Tous droits réservés

Pour le cobalt, Umicore déclare mettre en place un système de drapeau rouge, afin de sanctionner les pratiques qu’elle juge « inacceptables ». Les fournisseurs sont ainsi évalués pour voir s’ils ne se rendent pas coupables de « tortures, traitements cruels, inhumains ou dégradants », ne font pas travailler des enfants, ne fournissent pas de minerais issus de l’extraction artisanale ou ne sont pas mêlés « à toute forme de corruption en lien avec des opérations liées au cobalt ». Pour les « fournisseurs où les preuves de drapeau rouge sont identifiées, Umicore arrête la relation », affirme son code de conduite.

Pour obtenir ses mines de cobalt, Glencore a lié, dès le milieu des années 2000, « une relation d’affaires étroite avec Dan Gertler, un homme d’affaires israélien controversé, écrit en 2019 l’ONG internationale Resource Matters, dont le siège est à Bruxelles. Très proche de l’ancien président Kabila, il est suspecté par de nombreuses organisations et plusieurs autorités judiciaires de potentielles pratiques corruptives. En décembre 2017, l’administration américaine a sanctionné M. Gertler ainsi que plusieurs dizaines de ses entreprises pour corruption en vertu de la loi Global Magnitski. Mi-2018, le département de la Justice des États-Unis a décidé d’ouvrir une enquête sur les activités de Glencore au Congo, au Venezuela et au Nigeria pour s’assurer du respect de la Foreign Corrupt Practices Act ». À l’époque, Gertler et Glencore démentent en bloc ces accusations.

Maintien des relations d’affaires

Parmi les faits qui interpellent les autorités américaines, il y a un prêt de 45 millions de dollars, révélé par les médias lors de la sortie des Paradise Papers, effectué en 2009 par Glencore au profit de Dan Gertler, en échange de son intervention pour sécuriser un contrat minier entre l’État congolais et une société liée à Glencore.

Interrogé en 2019 par Resource Matters, Umicore refusait de confirmer que Glencore les fournissait en cobalt, bien qu’elle annoncera finalement quelque mois plus tard son partenariat stratégique avec le géant suisse. Sans nommer Glencore, Umicore affirme, dans son rapport de due diligence de 2018, être au courant qu’un fournisseur a été accusé en 2017 et en 2018 « de corruption liée à l’acquisition […] d’actifs miniers » en RD Congo, par des ONG et des articles de presse.

La société dit avoir contacté ce fournisseur et demandé des informations. Elle note « qu’au fil des années, différentes autorités ont ouvert des enquêtes pour investiguer la façon dont le fournisseur conduit ses affaires. Dans un cas, le fournisseur a obtenu un accord avec les autorités. Il admet avoir fourni des informations trompeuses, un manque de contrôles internes et ne pas avoir divulgué certains risques matériels ».

Pour Resource Matters, ce fournisseur ressemble drôlement à Glencore, qui vient justement de passer un accord à l’amiable au Canada pour une affaire touchant à ses liens avec Dan Gertler et « au risque élevé de corruption dans le secteur public congolais ». Mais la corruption n’a pas été jugée sur le fond. Un autre fournisseur est aussi mentionné dans le rapport de due diligence de Umicore comme étant sous le coup d’enquêtes menées par différentes autorités.

Umicore va décider, en l’absence de conclusions judiciaires ou d’un jugement officiel, de « maintenir ses relations d’affaires » avec ces deux fournisseurs.

Les sanctions américaines contre Dan Gertler, les Paradise Papers, les rapports d’ONG, l’ouverture de plusieurs enquêtes judiciaires contre Glencore n’ont pas été jugés suffisamment inquiétants, par le géant belge, pour qu’il lève un « drapeau rouge » et arrête sa relation avec la société suisse.

Corruption ? Une « culture d’entreprise »

C’est qu’on ne change pas de fournisseur de cobalt comme de supermarché. Au Congo, qui produit 60 à 70 % du cobalt mondial, la manne est répartie entre le secteur artisanal (20 %, environ) et une poignée d’acteurs qui sont tous problématiques. À côté de Glencore, il y a Eurasian Resources Group, basée au Luxembourg mais détenue par le fameux trio kazakh.

Ils sont sous le coup d’une enquête au long cours pour corruption par le Serious Fraud Office anglais. Le reste des mines de cuivre/cobalt est en majorité détenu par des sociétés chinoises, elles aussi controversées et qui fournissent directement les fonderies de leur pays.

En 2021, le grand patron de Glencore, le Sud-Africain Ivan Glasenberg, multimilliardaire et grand amateur de marche olympique, passe la main à son compatriote Gary Nagle, qui a fait ses armes dans la division charbon du groupe. En février 2022, Nagle reconnaît qu’il « y a eu des poches de cas de mauvaise conduite qui se sont produits de façon historique » dans la boîte et que Glencore est prêt à payer pour régler les enquêtes en cours qui touchent au moins huit pays, dont la RDC.

La justice américaine sort du bois le 24 mai. Lors d’une conférence de presse, elle annonce que Glencore a plaidé coupable dans plusieurs affaires. Un des magistrats présents déclare, durement, que son équipe a conclu « que la corruption faisait partie intégrante de la culture d’entreprise [de Glencore, NDLR] ».

Les documents publiés en ligne par la justice américaine détaillent plusieurs cas de corruption en RDC. Ils ne sont pas liés aux deals avec Dan Gertler, qui demeure aujourd’hui encore sous sanctions américaines.

Il s’agit de pots-de-vin offerts à l’État, entre 2010 et 2013, via un intermédiaire, pour éviter de payer des amendes suite à des audits menés par l’administration congolaise, ou des frais de litige avec des fournisseurs. Au total et pour les seuls cas détaillés par la justice américaine, Glencore a payé environ 27 millions de dollars à cet intermédiaire « avec l’intention qu’une partie de ces payements soit utilisée pour corrompre des officiels congolais ».

Tracer l’argent

Après l’annonce de la justice américaine, Médor a contacté Umicore pour savoir si ces documents judiciaires et l’aveu de culpabilité de Glencore pour, notamment, des faits de corruption liés à ses mines de cobalt provoquaient la levée d’un drapeau rouge de leur côté et donc la cessation du partenariat avec Glencore. Umicore a répondu dans un premier temps – et à tort – que « la poursuite judiciaire contre Glencore portait sur la division pétrole de la société, qui est une division avec laquelle Umicore ne coopère pas ».

Avant de revenir sur sa position et d’affiner sa réponse : « Les relations d’affaires d’Umicore sont basées sur les pratiques actuelles et prouvées du nouveau management. Néanmoins, […] l’accord judiciaire signifie que nous allons renforcer notre contrôle et investigation par rapport à Glencore et le cas sera analysé par notre comité ayant la charge de l’approvisionnement en cobalt, qui inclut un membre du comité de gestion de Umicore. »

Pas de drapeau rouge, donc, car, si on lit entre les lignes, les faits auraient été commis il y a longtemps et sous une autre équipe de direction.

Tout serait donc réglé ? Ce n’est pas l’avis d’Elisabeth Caesens, directrice de l’ONG Resource Matters. Glencore a fait affaire et racheté des actifs miniers à Dan Gertler, qu’il a obtenus grâce à ses connexions politiques au sommet de l’État sous la présidence de Joseph Kabila, et qui est soupçonné de s’être livré à de multiples actes de corruption. « Gertler est suspecté par des enquêteurs britanniques d’avoir payé pas moins de 350 millions de dollars de pots-de-vin aux autorités congolaises rien que sous le premier mandat de Joseph Kabila (2006-2011) », explique Caesens.

Aujourd’hui, Glencore paye encore l’équivalent de 200 000 euros par jour en royalties aux sociétés de Gertler. Il a obtenu ces royalties au détriment de la société étatique Gécamines, qui lui a cédé ces revenus financiers dans des conditions très opaques. En sachant que l’homme d’affaires israélien a obtenu le droit de collecter ces royalties jusqu’à l’épuisement des mines, le problème pourrait durer encore des décennies. Cela représenterait une perte à venir de 1,4 milliard de dollars pour la RDC, selon la plateforme « Le Congo n’est pas à vendre ».

« Si son devoir de diligence était réellement rigoureux, déclare Caesens, Umicore exigerait de Glencore le droit de tracer la destination finale des millions d’euros que la société suisse continue à verser chaque mois au réseau de Dan Gertler, et ce malgré des sanctions à son égard pour avoir corrompu des politiciens congolais au sommet de l’État pendant des années. En cas de refus de Glencore, elle suspendrait ses achats. Par ailleurs, Umicore utiliserait sa position au sein d’organisations comme la Global Battery Alliance, où siègent également Tesla, BMW, LG Chem et de nombreux autres clients de Glencore, pour mettre la thématique sur la table et peser collectivement face à Glencore. En lieu et place, ces organisations se concentrent quasiment exclusivement sur l’assainissement du secteur minier artisanal évitant les sujets tabous comme la corruption dans le secteur industriel. »

En attendant, Umicore a présenté en juin 2022 un plan de 5 milliards d’euros d’investissement pour booster sa production de matériaux pour batteries, en prévision d’une demande croissante pour l’électrification des véhicules. Circulez, ’y a rien à voir, tant que vous circulez en électrique ?

Interview de l’auteur et présentation du documentaire "Cobalt, l’envers du rêve électrique" de Quentin Noirfalisse et Arnaud Zajtman dans l’émission Le fin mot, présentée par Eddy Caekelberghs.

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  1. Des matériaux pour une meilleure vie.

  2. Le rapport « Ni vus ni connus » portait sur le respect du devoir de diligence des géants de l’automobile et de la batterie pour leur achat de cobalt congolais.

  3. Les sanctions empêchent Gertler de faire des affaires avec des sociétés, banques et citoyens américains, ce qui constitue un obstacle d’envergure pour ses transactions en dollars.

  4. Une importante fuite de documents sur l’usage des paradis fiscaux.

  5. Patokh Chodiev, Alexander Machkevitch, Alijan Ibragimov, les trois hommes d’affaires au cœur du Kazakhgate.

  6. Kabila fils (Joseph) est resté président de 2001 à 2019.

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