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Plastique Belgique

edito 24

Vallée de la Vesdre, le dimanche 18 juillet, quelques jours après la crue mortelle des eaux wallonnes. Des kilomètres de vies dévastées s’entassent en bord de route. L’ampleur du drame surprend, d’un coin pauvre de Liège à une ville d’eaux coquette. Des quartiers entiers restent plongés dans le noir absolu. Pepinster est plus lugubre encore. Nous apercevons un feu de camp et, autour, des gens armés de gourdins de bois. Ils veillent depuis trois jours pour dissuader les pilleurs. Ce qu’ils ont pu sauver se trouve aux étages. Pour « sécuriser les lieux », des policiers ont établi un point de contrôle un kilomètre plus haut. Ça ou rien… Les naufragés ne doivent rien espérer non plus de la Protection civile, démantelée ces dernières années. Même la Croix-Rouge fait faux bond en bout de vallée. Heureusement qu’il y a la solidarité, venue de partout. Ces gourdins, ces gens qui s’épient : aux prochaines catastrophes climatiques, il va falloir se débrouiller seuls ?

Le 21 juillet à Bruxelles, capitale de l’Europe. Depuis des jours, une poignée de citoyens cherchent à alerter les médias en se couchant sur le pavé frais de la place du Béguinage, comme s’ils étaient mourants. Le parallèle est saisissant. Il a été capté par le photographe John Vink, qui suit le bras de fer : plus de 400 de nos semblables font la grève de la faim parce que le gouvernement refuse de régulariser leur statut. On les appelle des « sans-papiers ». Pour faire le ménage chez nous ou jouer la petite main dans le bâtiment, on ne leur demande aucun papier.

Le sociologue suisse Jean Ziegler et d’autres personnalités écrivent ceci dans Le Soir du 15 juillet : « La Belgique [et l’Union européenne] produit l’irrégularité des migrants. Il y a 150 000 personnes qui vivent et travaillent en Belgique sans papiers […] Pour lutter contre l’extrême droite, on ne coopte pas son programme. On conteste ses idées dans le discours comme dans les actes. » Observateur des Nations unies sur plusieurs points chauds de la planète, Jean Ziegler a publié, il y a deux ans, Lesbos, la honte de l’Europe. Une claque. Notre sens moral, celui de nos gouvernants y est interpellé. Personne ne réagit à ce qui se passe dans ces camps de réfugiés, dressés aux bords de la Méditerranée, terrain de jeu de nos vacances. Là, des femmes, des enfants vivent comme des chiens, sans eau courante pour se laver, sans toilettes sécurisées contre les viols.

Les guerres pour le contrôle du pétrole, le terrorisme, la famine, les dérèglements climatiques vont augmenter les migrations Sud-Nord. À part des frontières fermées, des murs érigés, avons-nous un modèle de société à proposer ?

Maintenant que le climat se déchaîne aussi chez nous, on pourrait espérer le silence des climato-sceptiques. Ce n’est pas gagné. Dans une opacité entretenue, les gouvernants flamands ont accepté un projet totalement anachronique au cœur d’Anvers. La firme britannique Ineos entend y construire une immense usine à plastique, alimentée par un pipeline de gaz de schiste venu d’Amérique. Il s’agirait du plus grand investissement dans l’industrie chimique européenne depuis une génération. Rien que ça. Des signaux d’alerte annoncent pourtant une augmentation des émissions de CO2 et un afflux de pellets de plastique dans les eaux du port. Exactement ce qu’il faut éviter.

Qu’il s’agisse du défi climatique, des enjeux migratoires, du financement des hôpitaux ou du risque accru d’accidents ferroviaires, la Belgique conserve ce défaut majeur : elle se montre incapable de répondre aux alertes, d’anticiper les crises.

Il y a au minimum deux manières d’agir.

1) Entretenir des infrastructures pour contrecarrer les difficultés au moment où elles surviennent. En cas de circonstances exceptionnelles, comme une pandémie ou des inondations dantesques, c’est bien sûr difficile. Il faudrait déployer des milliers de lits d’hôpitaux ou monter des digues. Ces précautions représenteraient des coûts énormes pour absorber des catastrophes rares.

2) L’autre solution consiste à prévenir. Autrement dit, mieux identifier en amont les crises ou catastrophes, pour en réduire les effets délétères. Les investissements sont, là, bien moins lourds. Une veille mondiale sur la circulation d’une épidémie naissante, des mécanismes rapides et efficaces d’alerte concernant les phénomènes météo extrêmes. Ces solutions existent déjà. Elles ont failli.

« C’est le point faible de nos démocraties : on vote tous les quatre, cinq, six ans et un décideur politique n’a qu’une vision sur cette durée-là », regrette la géologue Vinciane Debaille. Cette chercheuse inspecte la planète Mars pour mieux comprendre la Terre. Il y a du boulot.

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