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Un avortement et deux claques

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Mariavittoria Campodonico. CC BY-NC-ND.

L’infirmière qui trouve que, « franchement, vous auriez pu faire plus attention », le gynéco qui décide (seul) de vous poser un stérilet : les « sabotages » d’IVG (interruption volontaire de grossesse) sont une réalité. Dans la foulée de cette enquête, Médor ouvre un mur de témoignages. Pour libérer la parole sur ce sujet tabou. 

À l’aide d’une sonde, recouverte de gel, le médecin examine le ventre d’Alice. La jeune femme est allongée sur une table d’auscultation. À sa droite, des images en noir et blanc s’affichent sur le moniteur. Alice détourne la tête. La main du médecin s’immobilise. Il zoome sur l’écran : « Oh qu’il est beau ce bébé ! » La patiente serre les mâchoires. Ce n’est pas pour un suivi de grossesse qu’elle est venue mais pour évaluer l’âge du fœtus. Dans une semaine, Alice se fera avorter.

« Punir les patientes. » Ces termes, la Commission nationale d’évaluation relative à l’interruption de grossesse n’hésite pas à les utiliser pour qualifier les dérives observées lors de certains avortements. La commission, présidée par Sylvie Lausberg (historienne et psychanalyste) et Mario Van Essche (avocat), se charge d’apprécier l’application de la loi relative à l’IVG de 1990 et de formuler des recommandations.

Dans son rapport de février 2021, elle observe qu’en milieu hospitalier, la prise en charge peut être inadéquate et irrespectueuse : « Pour certains soignants, l’IVG reste un acte punissable pénalement et à la limite de la légalité. » Certains comportements auraient « comme objectif, conscient ou non, d’infliger une sorte de “punition” aux patientes, avec en filigrane l’idée que de la sorte elles feront “plus attention la prochaine fois” et “ne recommenceront plus à l’avenir”. Cela peut prendre d’autres formes moins directement identifiables, comme une attitude professionnelle peu empathique, exempte de communication verbale, sans aucun sourire ou regard soutenant, un manque de prise en compte de la pudeur requise, etc. »

Tu avorteras dans la douleur

De telles maladresses n’étonnent pas Miriam Ben Jattou, présidente de l’asbl Femmes de droit. Cette association tente de savoir dans quelles conditions se passent les IVG en Belgique. Les témoignages de comportements inappropriés concernent principalement des IVG pratiquées dans les hôpitaux, et non dans les centres de planning familial.

En Belgique, 80 % des IVG sont pratiqués en milieu extrahospitalier (plannings familiaux) et 20 % en milieu hospitalier. Les plannings représentent des environnements militants et volontaristes vis-à-vis de la pratique de l’IVG. Un accueillant ou une accueillante (psychologue, assistant ou assistante sociale) accompagne la femme pendant l’intervention et fait le lien avec le médecin afin que l’IVG se déroule dans les meilleures conditions possibles.

Dans les hôpitaux, en revanche, les médecins et leurs équipes peuvent être amenés à pratiquer à la fois des IVG et des accouchements. Un désaccord avec la pratique d’un avortement peut se traduire par des propos ou des actes violents. Cela commence par des remarques culpabilisantes : « Elle n’avait qu’à être fidèle », « Elle n’avait qu’à prendre sa pilule », etc.

Les équipes médicales semblent parfois oublier que, pour plus de 40 % des avortements, une méthode contraceptive était bien utilisée (inefficacité ou mauvaise utilisation) et que prévenir une grossesse ne repose pas uniquement sur les épaules de la femme. Préservatifs mal mis ou percés font aussi partie des échecs de la contraception.

Un stérilet et tais-toi

Il y a aussi des pratiques qui peuvent rendre l’IVG très pénible. Dans les centres hospitaliers, « une femme qui vient d’avorter peut se retrouver en chambre avec une femme qui vient d’accoucher », relate Miriam Ben Jattou. Une patiente lui a même confié avoir eu l’impression de ne pas recevoir suffisamment d’antidouleurs pour le curetage (IVG chirurgicale par aspiration, NDLR).

Les yeux rivés sur la lumière blafarde, Lya se concentre sur sa respiration. Inspirer, expirer. Ses jambes sont écartées de part et d’autre du médecin. Assis sur un tabouret métallique, ce dernier tient une sonde entre ses mains. Un bruit de moteur vrombit. Inspiration. La sonde, d’abord transparente, se colore d’un rouge sang. « Voilà, c’est fini », conclut le médecin. Expiration. « Avant de vous laisser, je vais vous poser un stérilet. » Lya reste interdite : le médecin ne lui en avait pas parlé auparavant. Le temps d’une respiration et le stérilet est posé.

Un tabou dans un tabou

Le cas de Lya n’est pas isolé. Sophie Peloux, d’O’YES (Organization for Youth Education & Sexuality), qui sensibilise les jeunes à la santé sexuelle, a recueilli d’autres témoignages sur la pose forcée d’un contraceptif, dans des centres de planning familial, sans aucun dialogue préalable entre le médecin et la patiente. « La pose d’un moyen de contraception peut être proposée après un avortement mais ne doit être forcée en aucun cas », rappelle-t-elle.

Elle poursuit : « Les femmes qui sont dans le milieu militant ont des clefs pour se défendre. Mais toutes les femmes ne savent pas toujours comment réagir dans cette position de vulnérabilité. » Et n’ont pas forcément le réflexe d’en parler ensuite. Les violences gynécologiques dans le cadre d’une IVG, « c’est un tabou dans un tabou ».

Les violences gynécologiques et obstétricales, précise le guide d’autodéfense « Zone à défendre », « sont toutes ces petites et grandes misères que nous devons subir lors de nos rendez-vous, consultations et procédures chez le gynécologue ou dans les services de santé sexuelle et reproductive ».

Depuis quelques années, les langues se délient pour les dénoncer, notamment grâce au travail de Marie-Hélène Lahaye. Son blog « Marie accouche là » a mis en lumière les violences commises autour de l’accouchement. Mais, encore très peu de récits, positifs ou négatifs, émergent autour de l’IVG.

Redonner du « super-pouvoir » aux femmes dans des situations où elles peuvent se sentir inférieures face au « personnel en blouse blanche » : voilà l’objectif du guide « Zone à défendre », réalisé par Femmes et Santé asbl, en collaboration avec différentes organisations féministes. Il décrit de multiples situations de violences gynécologiques et obstétricales et donne des clefs pour libérer les femmes des situations qu’elles ont pu vivre : « Il est […] important de faire quelque chose avec ce vécu difficile pour qu’il ne continue pas à nous faire du mal et qu’il puisse prendre du sens. »

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Mariavittoria Campodonico. CC BY-NC-ND

« Dans la majorité des cas, rappelle Miriam Ben Jattou, les femmes cherchent à comprendre ce qui s’est passé. » Elles ne souhaitent pas entrer dans de longues procédures. Sur demande, les hôpitaux peuvent organiser une médiation entre la patiente et le médecin. Une plainte peut aussi être adressée à l’Ordre des médecins, mais celui-ci n’informe pas la patiente du suivi. Enfin, l’asbl Femmes de droit propose un accompagnement juridique pour les femmes qui font le choix de porter plainte.

Former plus et mieux

La bienveillance est au rendez-vous dans les centres de planning familial. Ils représentent souvent une solution face aux violences gynécologiques mais manquent toutefois de recrues. Ce manque d’intérêt des médecins pour la pratique des IVG dans les centres de planning familial a différentes origines. Vingt-cinq pour cent des médecins qui pratiquent l’avortement aujourd’hui en Belgique francophone ont plus de 57 ans. Depuis le passage de la loi de dépénalisation de l’avortement en 1990, le combat s’est assoupi. Les médecins militants et militantes de la première heure arrivent à la retraite et la relève des jeunes médecins pratiquant l’IVG n’est pas assurée.

« La formation de médecine est orientée vers la pratique en milieu hospitalier », estime Aurélie Piessens, chargée de mission politique à la Fédération laïque des centres de planning familial. Il s’agit d’une deuxième raison qui explique le manque d’engouement pour la médecine sociale dans les centres de planning familial.

Dans le documentaire Les mains des femmes, réalisé par Coline Grando, des médecins pratiquant l’IVG se succèdent à l’écran et racontent leurs expériences. Produit par le Centre vidéo de Bruxelles et la Fédération laïque des centres de planning familial, ce documentaire se veut être un outil de sensibilisation auprès des étudiants et étudiantes en médecine. « Il y a un manque de valorisation par les pairs de l’IVG », déclare Aurélie Piessens. Beaucoup de jeunes médecins ont des idées préconçues sur ce type d’intervention. Ce n’est qu’après avoir fait un stage dans un centre de planning ou dans un service de gynécologie que leur vision peut changer.

En parler

Permettre aux femmes de se faire avorter dans de bonnes conditions. C’est le leitmotiv de Sarah, salariée dans une structure de soutien aux centres de planning familial à Bruxelles. Son militantisme trouve son origine dans sa propre expérience, douloureuse, de l’avortement. Elle l’a racontée sur Facebook pour libérer la parole sur ce sujet tabou. Ça s’est passé il y a huit ans, dans un hôpital en France. Elle avait déjà des enfants. Elle a senti qu’on décidait pour elle. Qu’il n’y avait pas de place pour discuter sereinement. Elle « s’est fait » avorter. Pourtant, dans son dossier médical, il est écrit, noir sur blanc : « La femme ne souhaite pas avorter, c’est son mari qui veut. »

Pour prolonger ou accompagner la lecture, Pointculture nous propose 4 heures du matin du groupe Lous And The Yakuza, ainsi qu’une médiagraphie autour de la thématique.

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