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Sur le sable

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Aurélie William-Levaux.

On ne sait pas vous, mais chez Médor, on a une furieuse envie de s’échapper. Envie de regarder les vagues. Pas celles du Covid. Les vraies. De sentir le sable couler doucement entre les orteils. Et de tremper les fesses dans un ruisseau. Ou alors de voyager, avec ou sans but, en train, à vélo ou à pied. Au bout de la rue ou en bas de l’immeuble. Ou encore plus simple : de regarder un paysage. Se perdre dans ses petits détails.

On vous voit venir : complètement bateau, cette envie. Dans une société transformée en Cocotte-Minute par les confinements successifs, qui ne brûle pas de s’échapper ? Pourtant, cette envie de rien contient peut-être tout. Il est même urgent de la revendiquer. De la défendre. De se battre pour la diffuser, à l’heure où les appels à l’efficacité, au rendement, à la productivité, à l’utile, menacent.

Les vacances, ce n’est pas qu’une histoire de crème solaire ou un luxe réservé aux nantis. Se mettre en vacances, c’est se rendre libre, littéralement, pour d’autres choses. C’est prendre la contre-allée plutôt que l’autoroute. Et courir le risque d’en sortir transformé.

En journalisme, prendre la contre-allée, c’est explorer ce qu’on appelle « les sujets du bas de la pile » pour reprendre l’expression de la reporter au journal Le Monde Florence Aubenas, qui s’est toujours jetée sur les « petites histoires » pour raconter la grande. Cette passion pour les faits divers lui vient de ses débuts dans la presse, à Libération, où elle faisait « grosso modo ce que les autres ne voulaient pas faire ». À savoir, à cette époque où les médias inspiraient encore confiance, recevoir ceux qui faisaient le pied de grue dans les halls des journaux pour exposer leurs problèmes, dans l’espoir que « ça sorte dans la presse ». Florence Aubenas a compris que son métier lui offrait une chance unique : celle de rencontrer des gens à un moment parmi les plus forts de leur vie (ils viennent de perdre un fils, de voir leur maison inondée, de décrocher la lune).

Dans la même ligne, la figure du journalisme narratif américain Alex Kotlowitz évoque « la grandeur de la petite histoire » et défend le pouvoir politique des récits intimes, les seuls capables selon lui de révéler des enjeux majeurs dans leur globalité : « Je vous invite à vous perdre sur le terrain, à vous rapprocher tellement de ce que vous observez que vous commencez à sentir, à voir et à entendre ce que font vos sujets. » C’est aussi le journalisme que nous revendiquons : celui qui accepte de perdre du temps, défriche des territoires, se laisse surprendre, essaie de penser contre lui-même et finit, parfois, par atterrir là où on ne l’attendait pas.

Dans ce numéro, le journaliste flamand Chris De Stoop a enquêté près de Mouscron sur le meurtre de son oncle, un agriculteur assassiné pour un iPhone et des Mobylette. Derrière le fait divers, l’auteur nous emmène ailleurs et révèle à quel point nous souffrons d’avoir perdu notre lien à la terre alors même que « le paysage détermine l’identité ».

L’écrivaine Lieve Joris nous raconte comment elle a passé sa vie à voyager, à mener des « conversations de train » pendant lesquelles de parfaits inconnus lui livraient d’intimes secrets. Cette figure majeure de la non-fiction a emprunté mille chemins détournés, partant d’abord au Congo sur les traces d’un oncle missionnaire, pour finir, contre toute attente et 13 livres plus tard, à raconter sa propre famille à Neerpelt, en Campine flamande, comprenant soudain que tous ces chemins empruntés avaient été un exercice pour raconter l’essentiel.

Certaines histoires font voyager loin, d’autres se passent sous notre nez (que faire quand on se découvre un aïeul rexiste ?), voire carrément à hauteur de caleçon.

D’autres, encore, restent enfermées en soi. Comme ces violences subies par de trop nombreuses femmes lors de leur avortement. Pourtant, c’est souvent un petit témoignage qui en amène un autre… et qui révèle la maltraitance systémique.

Et puis il y a ces enquêtes de plage qui transformeront à jamais votre regard sur le sable, menacé de disparition. Depuis trop de décennies, on en fait du béton. Nous voilà avec de bien belles autoroutes, mais voit-on encore le chemin à emprunter ?

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  1. Dans le podcast « Florence Aubenas : l’aventure du réel » (France Culture).

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