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Alcool à la police

Adieu, chère buvette

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Lucie Castel. CC BY-NC-ND.

Il fut une époque où la Duvel coulait à flots dans les cantines de la police. Depuis 2012, l’ex-commissaire générale Catherine De Bolle a débranché les fûts et décrété la tolérance zéro. La mesure, jugée hypocrite par certains, fait polémique.

Dans un passé proche, les bureaux de la police fédérale abritaient encore des buvettes appelées « cantines ». On y servait de la bière à des prix défiant toute concurrence, dès 16 heures. Ces cantines étaient des institutions héritées des casernes. Pierrot, ancien militaire et aujourd’hui membre des Alcooliques anonymes, s’en souvient très bien. « À l’époque, il y avait des bars partout dans les casernes. Il y avait moyen de se bourrer la gueule quand on voulait. Moi, j’arrivais en plus avec deux mallettes, dont une qui faisait “diling-diling”. » Patrick, ancien gendarme devenu policier fédéral, s’en souvient aussi : « En 1990, la Duvel coûtait 6 francs belges (0,15 euro), prix de fournisseur. » Entre 1999 et 2004, Patrick occupe un commissariat du sud du pays. « Nous étions le plus gros client du brasseur qui livrait tous les cafés du centre-ville ! Sur 35 policiers, 10 étaient de vrais alcooliques et une vingtaine de gros buveurs. Ma femme m’a dit : va-t’en de là, ton foie ne survivra pas. On sortait faire la fête avec nos flingues. Une nuit, le mien est tombé dans le caniveau… On pouvait aussi arriver bourrés sur une scène de crime. »

L’alcool, fléau de la police ? En 2012, la commissaire générale, Catherine De Bolle, jette en tout cas un pavé dans la mare et lance une « croisade » contre l’alcool policier. Sa méthode : un plan « tolérance zéro » au sein de la police fédérale. Finies les cantines. Même les pots de départ à la retraite ne sont plus autorisés, sauf exception et moyennant une autorisation écrite préalable spécifiant le nombre de bouteilles et de convives prévus. Cette interdiction de boire de l’alcool vaut pendant les heures de service, mais aussi avant et après, sur le chemin du travail, au départ de et jusqu’au domicile.

Le syndicat de la police Sypol fustige illico cette tolérance zéro. Dans une lettre adressée en 2013 à Catherine De Bolle, son secrétaire général Eddy Lebon estime cette mesure disproportionnée et stigmatisante. « Il est indéniable que l’abus d’alcool doit être interdit mais vos mesures visent également la consommation raisonnable, non problématique. […] D’une politique intégrale visant l’intégrité, nous sombrons dans l’intégrisme. »

Hypocrisie

Frédéric Fortunato, du Syndicat national du personnel de police et de sécurité (SNPS), est du même avis. « Catherine De Bolle est à côté de la plaque. La police n’est que le reflet du reste de la société. Il y a le gars super-carré, celui qui boit, celui qui balance, celui qui fait plein de sport… Il y a beaucoup de préjugés sur les policiers. »

Le syndicaliste reconnaît qu’autrefois, la résistance à l’alcool pouvait constituer une forme de rite initiatique (un phénomène qui n’est pas propre à la police). « Le tournant vers moins de tolérance vis-à-vis de l’alcool s’est opéré à la fin des années 1990. Notre syndicat enregistrait alors une vingtaine de dossiers disciplinaires liés à l’alcool chaque année. Il n’y en a quasi plus aujourd’hui, moins d’une dizaine. » En 2009, 79 policiers ont essuyé une sanction disciplinaire pour consommation excessive d’alcool, contre 27 en 2012.

Les policiers seraient donc-ils devenus sobres ? Pas du tout, selon Martine, policière fédérale. « La consommation n’a pas diminué, elle est juste plus cachée. C’est de l’hypocrisie. » Comme le personnel hospitalier, les policiers accusent un stress et une charge émotionnelle intenses. Ils interviennent souvent en urgence auprès de ceux qui ne vont pas bien, tout en devant faire face au management rigide de grosses structures. Or, d’après une étude de Securex, le stress augmente les risques d’une consommation abusive d’alcool. Entre le 1er mai 2017 et le 30 avril 2018, le service « Stress Team » de la police a effectué 3 500 consultations : 504 pour des cas de burn-out et 145 concernant des dépressions.

Et face au stress, beaucoup de policiers n’ont d’autre sas de décompression que l’alcool. « On bosse pendant que les autres dorment, mangent, font la fête. Beaucoup d’entre nous s’isolent socialement. On peut rarement prendre congé quand on veut. Cela crée des tensions à la maison, des divorces. Tu prévois d’aller voir ton gamin jouer au foot puis tu dois annuler. Pour finir, tes seuls amis, ta seule famille, ce sont tes collègues flics. »

Les menaces terroristes, les sommets européens ou de l’OTAN, les matchs de Coupe du monde et les festivals contribuent à alourdir encore la pression. « Il y a 20 ans, il n’y avait pas autant d’événements. Et pendant ce temps-là, les vols, les crimes et les accidents continuent. Les polices locales fonctionnent suivant les mêmes cadres et les mêmes enveloppes qu’en 2001, tandis que le gouvernement n’investit pas dans la police fédérale et délocalise un maximum vers les zones de police locale. On laisse pourrir l’outil et puis on dira “Vous voyez bien que cela ne fonctionne pas !” »

Une politique globale défaillante qui pousse encore plus sur le bouchon. « En fait, le plus dur, ce n’est pas le boulot mais l’organisation générale, le manque de moyens et le manque de reconnaissance de la hiérarchie », commente l’un d’eux. Quand le paquebot fédéral commence à boire la tasse, ce sont ses agents qui trinquent.

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