Caméras ANPR : tout bonus pour Proximus (1/2)

S’équiper pour surveiller. Épisode 5

Les services de police belges utilisent des milliers de caméras ANPR, à reconnaissance automatique de plaques. Suite aux attentats de 2015-2016, un « bouclier » caméra a ainsi été mis en place sur les autoroutes, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. C’est Proximus qui installe ces caméras, plutôt bien financées. Problème : le Comité P vient de constater publiquement les failles de ce bouclier.

Chapitre 1 : fonctionnement et adoption.

Cet article s’insère dans l’un des volets de notre grande enquête participative sur l’hypersurveillance à la belge.

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36,5 millions d’euros. C’est ce que l’État belge a déboursé depuis 2018 pour créer un « bouclier national de caméras ». Et le grand maître d’œuvre de ce bouclier, c’est tout simplement une des plus importantes entreprises publiques (autonome, précisons-le) de ce pays : Proximus.

Le bouclier est constitué de centaines de caméras intelligentes ANPR (à reconnaissance automatique de plaques minéralogiques) disposées le long des autoroutes belges. Elles constituent une partie des 4000 caméras ANPR actuellement utilisées (ou utilisables) par la police sur le territoire belge, selon l’Organe de contrôle de l’information policière (COC), cité par Sudinfo. Si vous n’aviez jamais entendu parler de cet incroyable projet de « bouclier », vous avez peut-être lu que son efficacité a été lourdement attaquée, début du mois de février par un rapport du Comité P, en charge du contrôle du fonctionnement des services de police.

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Sarah Fabre. CC BY-NC-ND

Hit the road

Sur Google, quand on tape Proximus et ANPR, le cinquième résultat, venu du site de la société publique, nous promet « des caméras ANPR partout ». Ok, mais pour quoi faire en fait ? Commençons par le commencement : comment marchent ces caméras et comment sont-elles arrivées en Belgique ?

Les caméras ANPR ne font pas que du traitement de l’image, c’est-à-dire enregistrer et stocker. Placées sur un pont d’autoroute, fixées près d’un feu rouge, ou dans une voiture de police banalisée ou non, elles vont filmer l’environnement global et prendre des images en temps réel de chaque plaque qui passe devant elles. Les caméras les plus récentes peuvent prendre des images non seulement des plaques mais aussi de la voiture. Les plaques sont lues à l’aide d’un lecteur de reconnaissance optique de caractère (OCR ou Optical Character Recognition).

Après cette lecture, les numéros sont croisés avec différentes bases de données policières. « Dès qu’il y a une correspondance avec une plaque renseignée dans une base de données spécifique, une alerte, un hit dans le langage policier, se déclenche et la police en est directement informée, explique Sébastien Servais, de la faculté de criminologie de l’Université de Louvain dans un mémoire de fin d’études publié en 2019 et consacrés aux caméras ANPR. Ces bases de données reprennent les signalements pour des véhicules volés ou signalés, en défaut d’assurance, de contrôle technique, de plaque d’immatriculation et même les taxes de circulation impayées. En outre, il existe également des listes dédiées pour la recherche et le suivi d’un véhicule particulier, pour un individu recherché ou surveillé par la police ».

Big Flanders

Parmi ces bases de données, il y a évidemment la BNG, la Banque de données nationales générales, qui reprend des données sur trois millions de Belges (et est très mal archivée, comme l’a montré notre enquête). Au-delà de tenter de repérer les nombreuses infractions listées par Sébastien Servais, les caméras ANPR, ajoute-t-il, peuvent également servir comme composante pour des systèmes de contrôles d’accès comme les zones basses émission, dans les centre-villes de Bruxelles ou Anvers par exemple. Ou encore à l’entrée des parkings. Aujourd’hui, la liste des infractions qu’une caméra ANPR peut constater, sans présence d’un agent qualifié, a de quoi faire trembler les guiboles de tout automobiliste, puisqu’elles peuvent même identifier quand vous ne vous remettez pas sur la bande de droite après un dépassement.

Selon le Comité P, la Flandre dispose de bien plus de caméras ANPR que la Wallonie. Elles sont utilisées en Belgique depuis 2011, environ. À l’époque, selon Het Belang Van Limburg, l’adoption (comme souvent pour les outils de surveillance en Belgique) se fait surtout en Flandre : 25 % des communes ont recours aux ANPR ou affirment qu’elles y auront recours dans un futur proche.

Les villes en pointe, côté flamand, ne vous étonneront pas si vous avez lu nos enquêtes précédentes. En 2011, Malines annonçait travailler à un « nouveau système de caméra moderne et novateur » qui permettrait de repérer les véhicules présents sur une « liste noire ».

Courtrai à côté de la plaque

En novembre 2013, Courtrai, alors dirigée par Vincent Van Quickenborne, actuel ministre de la justice, affrète un véhicule équipé de trois caméras, qui se positionne à divers endroits de la zone de police. Il va enregistrer les plaques de 19 000 véhicules et y déceler 180 véhicules suspects durant trois semaines d’opérations. Un tiers sont présents dans la BNG, le reste n’est pas en ordre d’assurance ou de permis.

Pourtant, à l’époque, la loi sur l’utilisation des caméras de surveillance ne permet pas de mettre une telle caméra dans un véhicule de police, sauf pour des grands rassemblements. Comme souvent, en Belgique, on expérimente des solutions de surveillance de masse sans avoir mené un débat légal sur leur utilisation.

La Commission de Protection de la Vie Privée (aujourd’hui Autorité de protection des données) rappellera la loi aux zones de police, et pressera le législateur de trouver une solution. Il faudra attendre 2018 et l’intégration de la réglementation des caméras de police dans la loi sur la fonction de police pour régler le problème. Une nouvelle catégorie de caméras apparait alors : les caméras intelligentes. Seules les ANPR sont autorisées dans cette catégorie.

Attentat et caméra

Bien installées dans le paysage des zones de police, les caméras ANPR vont définitivement rentrer dans l’arsenal de surveillance manié par le monde politique après les attentats du 13 novembre 2015, à Paris, et du 22 mars 2016 à Bruxelles. Ceux-ci propulsent les ANPR comme « fers de lance » des mesures antiterrorisme, dixit le Comité P.

La commission d’enquête en charge des attentats de 2016 insistera même, dans ses recommandations, « sur la nécessité d’optimiser l’ANPR », quant à la sur la précision dans la reconnaissance des plaques et les interactions entre les services, notamment une fois qu’un « hit » a été constaté.

Fin 2017, un système national d’ANPR est déployé, rappelle le Comité P dans son rapport de janvier 2022 sur les caméras ANPR. Il doit « permettre à la police intégrée, soit d’intervenir en temps réel, soit d’effectuer de meilleures et plus rapides recherches via le traitement en différé. »

Hit connexion

C’est Proximus, qui va obtenir le contrat pour le système national ANPR, début 2018. L’opérateur public de téléphonie a été chargé, à l’époque, de coordonner, mettre en place et administrer un « système de gestion centralisée, l’installation et la maintenance des portails ANPR » sur les autoroutes. Proximus installe donc des caméras sur une série de sites autoroutiers. « Toutes les informations provenant de ces caméras intelligentes seront envoyées à un système de gestion centralisée, peut-on lire sur leur site. Un réseau de données ANPR reliera les zones de police concernées, les équipes de recherche et les villes qui travaillent déjà avec ce type de caméras. Il permettra entre autres le partage en temps réel des listes intelligentes de signalements (inter)nationaux, l’intégration du traitement des ‘hits’ et le soutien de la recherche et des services de police opérationnels. Par ailleurs, une partie des caméras intelligentes seront affectées aux contrôles routiers par le biais de radars tronçons. »

À l’époque, Proximus n’en est pas à son coup d’essai dans l’ANPR. Au ton de ses communiqués sur la question, il s’agit d’un marché technologique et de transmission de données comme un autre pour une société qui n’est plus un simple opérateur de téléphonie. Pour mettre la main sur ce marché ANPR, Proximus a monté une association momentanée avec la société Trafiroad, spécialisée en signalisation et technologie routières basée à Lokeren. Trafiroad, c’est Glenn Janssens. Celui que l’on surnomme, dans la presse flamande, De keizer van de wegwijzer, l’empereur du panneau. Un homme controversé, au nord du pays, qui a déjà eu affaire à la justice et qui empoche pas mal d’argent public grâce au marché de l’ANPR. Rendez-vous au prochain épisode pour en savoir plus. Car dès 2019, des premiers signaux montraient qu’il y avait quand même quelque chose qui cloche, au royaume si efficace de l’ANPR.

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  1. Nous avons demandé le chiffre exact à la Police fédérale, sans succès. Au parlement, en 2019, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Pieter De Crem, évoquait 250 caméras déjà installées et d’autres à venir en phase 2. D’autres sources évoquent un millier de caméras.

  2. Il apparaît aussi en troisième résultat sur DuckDuckGo.

  3. Quelle est l’influence des caméras ANPR sur l’organisation du travail policier ? Surveiller plus ou surveiller mieux ?, Sébastien Servais, Faculté de droit et de criminologie, Université catholique de Louvain, 2019

  4. https://leblogdumono.be/cameras-anpr/

  5. Il est toujours bourgmestre empêché.

  6. Il y a « hit » quand une lecture de plaque renvoie à une infraction potentielle, comme un véhicule volé ou non assuré.

  7. La police locale intégrée comprend la police fédérale et la police locale, qui sont autonomes mais censés travailler en étroite collaboration.

  8. Les caméras ANPR peuvent mesurer la vitesse sur un tronçon plutôt qu’un point fixe, permettant, selon la zone de police du Pajottenland, équipée par Proximus, de surveiller les véhicules 24h24, 7 jours sur 7 et que « les gens conduisent plus prudemment »

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