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Derrière les couvertures de Médor

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Notre solide bibli

Médor fête un quasi-anniversaire : notre média existe depuis trente numéros. L’occasion de revenir sur nos couvertures, leurs intentions, leurs évolutions et de partager quelques secrets de fabrication.

Trente couvertures, trente gueules. Ce qui est certain (car vous nous le faites savoir), c’est qu’elles vous interpellent. Ça tombe bien, c’est ce qu’on cherche. Depuis trente numéros, notre équipe prend des risques, et il paraît que notre magazine ne ressemble à aucun autre.

Les couvertures, comme le reste chez Médor, c’est une histoire collective et des responsabilités tournantes tous les trois mois. À chaque numéro, ça démarre comme ça : les pilotes journalistes présentent le sommaire aux pilotes « iconos » et leur confient le soin de la traduction visuelle. Y a -t-il un sujet qui ressort ? Un concept qu’on veut tester ?

On tranche et les iconos passent commande à des artistes. De là, s’ensuivent des allers-retours : « couv_V2.pdf » suite à une modification de l’illustration, « couv_V5_def » pour différents essais de couleurs et « couv_V8_defdefFINAL » parce que les titres ont été légèrement déplacés.

C’est une expérience riche, mouvementée, cocasse et parfois explosive. Entre les différents corps de métiers qui font Médor, on ne se comprend pas toujours mais on se fait confiance (par exemple, les graphistes parlent de pythons qu’ils scratchent en CMS-FG à merger dans le RGB et les journalistes ne les contredisent jamais).

À chaque confection de la couverture, c’est une nouvelle expérimentation. Seul élément qui n’a jamais été délogé : notre logo. Mais d’où vient-il, d’ailleurs ? La police est une refonte de celle d’anciennes publicités Côte d’Or (parce que la marque belge rime avec Médor, voilà tout). Pour nous, cette pioche dans le patrimoine visuel du royaume dépasse largement la coquetterie visuelle. Il s’agit de faire vivre un héritage en le transformant. Les numéros de Médor sont un conservatoire de la diversité typographique.

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Médor n°1, hiver 2015-2016.

Numéros 1 à 7 : des sommaires visuels

Cette collection de typos se déploie sur notre toute première couverture. Leur diversité trace un parallèle avec la variété des sujets qui nous est chère. Enquête sur Mithra, corruption à la SNCB, un reportage sous drogue sud-américaine, portfolio sur les tueurs du Brabant… Notre premier magazine déclare que l’on s’intéresse à tout ce qui est belge, avec sérieux, plaisir.

Côté illustration, trois couleurs primaires jaune-cyan-magenta et une silhouette qui semble ouvrir une porte. Elle vous invite à découvrir ce nouveau-né de la presse belge.

Dès la seconde couverture, on peut identifier la recette qui sera en vigueur pendant les deux premières années de vie de Médor : beaucoup de titres empilés en une colonne (trop, même, vous verrez plus bas ce qu’on en pense aujourd’hui), à gauche, et des illustrations qui rassemblent plusieurs sujets, s’étendent sur les 3èmes et 4èmes de couvertures. Sur la couverture du 2ème numéro, on distingue les centrales nucléaires de l’enquête sur Electrabel et Cosa Nostra et l’avion des « bébés Ryanair ». Sur la cinquième, Stéphane Moreau est passé à la salle de sport (article « Bogosses ») et son justaucorps est flanqué du nom du politologue interviewé dans ce numéro.

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L’artiste Antoine Carbonne a réalisé une peinture monumentale, qui a été découpée sur les couvertures de Médor n°4
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Peinture réalisée par Herr Seele pour Médor n°5
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Une pâtisserie du plat pays, en couverture de Médor n°6. Un gâteau similaire a été servi à la fête de lancement de ce magazine.

Numéros 8 à 11 : « année punk »

Deux ans d’existence, la mécanique de mise en page commence à rouler. Alors, bousculons nos habitudes. Pendant quatre numéros, la direction artistique du magazine est chaque fois confiée à un·e artiste extérieur·e à Médor. Une personne qui propose une vision globale et crée un ensemble cohérent, entre couverture et articles.

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Médor n°8, automne 2017.

Pour le numéro 8, Yves Prévaux voulait prolonger la tradition du bestiaire, donner à nos articles une perspective différente. Il a embarqué le photographe Axel Korban pour un voyage en direction du musée d’histoire naturelle de Milan, où des centaines d’animaux taxidermés ont pris la pose pour l’éternité. Leurs photos ont illustré chacun des articles de ce numéro. Une façon de dépasser l’illustration littérale et repenser les liens textes-images. Un article sur la pollution de l’air à Bruxelles se retrouve associé à un duo d’autruches dans la savane, là où la logique médiatique aurait voulu une photo d’embouteillage sous ciel gris.

Autre concept, pour le numéro suivant, le 9  : l’illustration est typographique. Toutes les polices qui figurent sur cette couverture ont été collectées minutieusement par nos graphistes et typographes, avec deux critères principaux : leur lien culturel ou historique avec la Belgique et leur caractère « libre ». Le titre « Duferco » vous rappellera votre visite chez l’ophtalmo, le « bio », les plaques minéralogiques allemandes, le « sperme inconnu », une police (de caractères, hein) interdite par Hitler. Superposées, en contraste noir et blanc, les typos deviennent image et évoquent la presse d’antan.

Numéro 10, l’artiste David Evrard s’est emparé des pages avec sa montagne d’images personnelles ou extirpées de magazines, à laquelle se mélangent des éléments collectés par les journalistes. Cela donne des couches de pièces à conviction, de traces concrètes du travail, d’associations d’idées et de flâneries.

L’illustration du 11ème numéro joue avec la structure du magazine : un masque en papier-mâché d’Emir Kir sur la 1ère de couv (fabriqué pour l’occasion), son verso en 2ème, une tapisserie de muscles faciaux en 3ème et l’arrière d’un crâne, cervelle bouillonnante, en 4ème.

Numéros 11 à 18 : la lisibilité, rien que la lisibilité

Le 11ème numéro, d’été 2018, marque un basculement. On délaisse quelque peu la règle d’une illustration composite, qui rassemblerait plusieurs sujets. Plusieurs couvertures mettent désormais en avant un seul article. La 11, affiche l’enquête sur Emir Kir ; la 12, le sujet sur la chasse ; la 14, les élections ; la 15 un morceau de bidoche ; la 16, le sexisme dans les médias. (Avec des exceptions bien sûr, sinon c’est trop facile : les couvertures 17 et 18 reviennent sur la mode des premiers numéros et avec des interprétations très, très littérales.)

On capte enfin qu’une trop grande accumulation de titres peut desservir la lisibilité. On s’impose donc une nouvelle consigne : au bac la colonne de gauche qui rassemble moult titres. Désormais, quatre ou cinq feront l’affaire. Et ils se déplacent : ils flirtent avec les marges ou se regroupent au pied de couv.

Ce qui ne nous empêche pas de continuer à expérimenter : sur le 13ème numéro, il n’y en a que quatre mais ceux-ci prennent toute la place et divisent l’image en bandeaux qui invoquent les cartos et visualisations de données présentes dans le magazine.

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Médor n°14, printemps 2019.

Sur le suivant, le 14, les titres sont carrément renvoyés en 4ème de couverture. La 1ère de couv ne dit plus que « Stop ! ». À l’approche des élections, Médor souhaitait marquer un temps d’arrêt et tendre la main, comme une suggestion aux citoyens de « prendre place dans cette société de l’après-attentats, de l’après-N-VA et de l’après-déni des enjeux climatiques ou sociaux », écrivions-nous à l’époque, rêveurs.

Numéros 19 à 23 : signes de l’époque

2020 à 2021, le temps du virus. La population est confinée, Médor avec. Collectivement, on étouffe et cela se marque sur nos couvertures : le 19ème magazine mentionne « nos vies en feu » avec une tête cramée qui embrase la « couv » ; le 20ème illustre ces voix marginalisées qu’on n’écoute pas ; le 21ème, le secteur culturel belge délaissé ; le 23ème fait l’aveu d’un besoin de vacances.

Les couvertures se simplifient. Des choix visuels polysémiques, de l’ordre de la suggestion plutôt que de l’illustration littérale. Le nombre de titres se réduit toujours. Pour n’en avoir qu’un seul sur la 21ème  : « rallumez en sortant ». Ce titre sibyllin pourrait être celui d’un roman.

Mais comme Médor a sans cesse besoin de se contredire, le numéro qui lui succède, le 22ème, n’est fait que de titres, inspirés de la presse à sensation (vous connaissez le magazine « Détective » ?). « Une culture et une esthétique sans politesse », écrivait le graphiste Harisson. Au choix des articles à mettre en avant s’ajoute le rapport des mots entre eux, leur forme, leur longueur, leur résonance positive ou négative. « Poignard » devient « Poignardée ». « Daech » a toujours conservé sa place au chaud. « Cabanes » s’impose par sa neutralité. « Etre né » souffre, verbe isolé autour de quatre substantifs. Il devient définitif par la grâce de l’infinitif : « Naître ». Le faux bandeau choc d’exclusivité convainc rapidement « Exclusif, la confiance est partout ». Au moment de sa sortie, on vous racontait les coulisses de cette couverture. Poursuivez la lecture ici.

Numéros 24 à 30 : de la nécessité de faire place à l’humour

Pour le 24ème numéro, nous rêvions d’un visage, fort et capable de porter un message. Il n’y en a eu que trop peu, sur nos couvertures. Les pilotes iconos avaient repéré Naomi Waku, une artiste de 27 ans, qui fait de son visage le canevas de son art. La make-up artiste s’est laissée inspirée par la lecture d’un numéro qui rassemble des sujets où nos corps et notre planète sont mis à mal. Cette couv-là aussi, on vous la racontait plus amplement. Lire "Un visage comme canevas".

Grosse ambiance ! Il faut reconnaître que ce 24ème numéro était un exploit de déprime. Au printemps 2022, Médor instaure officieusement un « ministère de l’humour », censé ramener un poil de plaisir dans nos pages. C’est pas parce qu’on fait du journalisme avec sérieux qu’on doit être austère.

Cette logique nous amène à décomposer une pêche au thon, en couverture du 26ème numéro, shootée « presque » comme pour un magazine de bouffe, et à poursuivre les expérimentations. Le numéro 28 propose une manchette à détacher : l’aile droite de la couverture pastiche les jeux de hasards, évoquant notre enquête sur le sujet. La 29ème couverture reprend des codes rétrofuturistes et fait briller son titre d’une encre métallisée.

Et enfin, une ronronnante 30ème couverture. On a cru lire quelque part qu’un regard perçant et des couleurs étaient les composantes du succès. Ce chaton mignon sur fond rose brûlant assume de vouloir vous attendrir et attirer votre attention. Et pose cette question, l’air de rien : un média doit-il chercher à plaire ?

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Médor n°30, printemps 2023.

Que vous nous ayez découvert grâce à ce mimi félin ou que vous connaissiez toutes nos couvertures, partagez-nous celle qui a été la plus marquante pour vous, via le formulaire en haut de la page ! Que vous ayez été choqué·es, perturbé·es, charmé·es, conquis·es… on veut savoir pourquoi. Et on se fera une joie d’ajouter vos arguments à cet article.

Bisou,

La bande à Médor

Médor n°31 sort le 2 juin ! Vous êtes curieux·se de sa couverture ou vous voulez découvrir ce qui se cache derrière les 30 précédentes ? Jetez un œil à nos offres : période d’essai, tarifs préférentiels, de soutien ou groupé, vous trouverez ce qui vous convient : https://medor.coop/offre

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