Médor 22 : l’histoire d’une couverture

Le bouclage de Médor dure trois semaines. Durant cette période, la confection de la couverture est toujours un moment particulier. Voilà l’histoire de celle du numéro 22.

On voulait du blanc. Il a dit « Détective »

Quand Harrisson arrive le lundi 1er février, toute l’équipe l’attend pour une première discussion sur ce qui sera le visage du numéro. Ce sont Antoine et Quentin, les pilotes icono (directeurs artistiques du trimestre) qui ont dégoté l’artiste. Il est prof, un maître de la typographie, paraît-il.

La couverture de décembre était un dessin sombre, habillé d’une phrase sibylline (« Rallumez en sortant »). Pour mars, le printemps, le moment du renouveau, l’idée était de s’orienter vers l’exact contraire, une couverture lumineuse, blanche, avec beaucoup de texte. On voyait bien un truc léger, épuré. Mais chez Médor, on est les champions pour remettre nos envies en question. Et Harrisson avait déjà réfléchi, lui aussi. « J’aimerais bien m’inspirer des covers des années 70 du style Détective. » Non mais sérieux ? ? ?

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Fallait oser

Une semaine plus tard, lundi 8 février. Harrisson revient avec… huit propositions de couvertures. D’abord, un même type de couverture à décliner six fois, à la manière des affichages anglais dans la rue. Avec un seul titre.

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Il propose ensuite une 2e couverture avec pour seule illustration cinq titres qui occupent toute la page.

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Et enfin un « hommage » à Détective. Cette dernière proposition, la plus audacieuse, fait couler beaucoup de salive. Nous sommes sept autour de la table (trois graphistes, deux pilotes icono et deux pilotes). L’idée tente. Harrisson pousse. Et s’explique : « Dans l’histoire de la presse populaire, les recettes sont simples et radicales, les tabloïds à scandales en ont fait une culture et une esthétique sans politesse. Que pour une fois, cette efficacité graphique soit retournée sérieusement, voilà une position que la philosophie Médor peut aujourd’hui assumer, en un clin d’œil, un hommage, une distance, un humour, une intelligence, une volonté, une ironie sans cynisme. »

Deux groupes se divisent. Les radicaux (faut copier à la lettre pour accentuer le contraste People/Médor), les nuancés (faut faire un pas de côté pour se réapproprier les codes). On demande 48 heures de réflexion. Chacun sonde autour de lui. Seule la cover « Détective » est envoyé en test aux collègues et ami·es. Le mardi 9 février, à 21h43, un long mail est envoyé à Harrisson. Fallait oser. On n’ose pas. « (…) Sans doute qu’il manque une réappropriation des codes, on répète de trop, ce ’pas de côté’ou pas de plus évoqué lors de la réunion du matin. Or ce pas plus loin, peut-être dans l’ironie, se prête mal avec les sujets de ce numéro qui pourraient sembler être des faits divers ! Et dont il est difficile de se moquer sans blesser. » On part sur la couverture ’titres’. Rendez-vous est pris jeudi 11 pour une nouvelle discussion sur les mots à mettre en avant.

Poubelle ou ordures ?

Bordée de rouge, la couverture sera composée de mots. Plusieurs points d’attention s’imposent. Au choix des articles à mettre en avant s’ajoute le rapport des mots entre eux, leur forme, leur longueur, leur résonance positive ou négative. « Poignard » devient « Poignardée ». « Daech » a toujours conservé sa place au chaud. En challenger, « Cabanes » s’impose par sa neutralité. « Etre né » souffre, verbe isolé autour de quatre substantifs. Il devient définitif par la grâce de l’infinitif. « Naître ».

Reste les dernier mot. On sait qu’il évoquera l’article sur Bruxelles Propreté. Il nous faut sept ou huit lettres. « Propreté » tient la corde. Mais trop positif. On opte pour « ordures ». Le seul mot à double sens de la cover. Joue-t-on l’’accroche’à fond ? Cela dérange. La combinaison « Naitre » « Ordures » « Daech » enterre le choix. Après une heure à balancer les mots, « Poubelle » s’extirpe de ce tri sélectif. Le faux bandeau choc d’exclusivité convainc rapidement (« Exclusif, la confiance est partout »). On a nos titres. Harrisson travaille les 2e, 3e et 4e de cover. Reste le choix de la couleur. Et puisqu’on tente vaille que vaille de garder un ou deux éléments récurrents sur les covers, NON Harrisson, on ne met pas « les yeux ouverts » en diagonale !

Bon, il va quand même pouvoir assumer

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Fait péter le fluo

Toute la recherche de la couverture s’est faite avec un rouge assez lumineux et chaud. Mais dans la dernière ligne droite, les trois graphistes, les deux pilotes icono et Harrisson décident qu’elle ne convient pas. Les pilotes, ignares en la matière, constatent l’unanimité. C’est souvent comme ça entre nos métiers. On ne se comprend pas mais on se fait confiance (par exemple, les graphistes parlent de pythons qu’ils scratchent en CMS-FG à merger dans le RGB et les pilotes ne les contredisent jamais). Le rouge rappelle décidément trop le Nouvel Obs, ou Libé, ou en tout cas ce qui se fait déjà. De plus, on a décidé de faire une couverture avec une seule couleur qui n’est pas le mélange des trois couleurs de la quadrichromie (cyan, magenta et jaune), mais qui est directement appliquée sur la couverture. Le procédé renforce la densité de la couleur. Alors renforcer pour renforcer, on part dans de l’orange fluo fêtard, loin du rouge coincé prétentieux.

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On a le concept, on a les titres, les mots, on a les couleurs. La construction du visage de ce numéro a été comme le reste. Un processus collectif, où à force de s’égarer, on (se) trouve.

Et même Harrisson s’y retrouve. « Dans la dizaine de propositions faite, la sensibilité collective éditoriale a su placer le ton entre question et provocation. A leur vue néanmoins, un ami regrettait que nous n’ayons pas fait un tirage a part, placé spécifiquement dans les gondoles des caisses de supermarché, dans l’idée et l’espoir que sa tante puisse aussi enfin se faire retourner l’esprit. »

Après ce petit tour dans nos cuisines, ouvrez-vous l’appétit avec l’édito et le sommaire de ce numéro…

Bonne dégustation !

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