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Chez NLMK, le syndicat perd la tête

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Théodora Jacobs. CC BY-NC-SA.

Dans la sidérurgie wallonne, on liquide les derniers irréductibles du combat social. Ceux qui luttent contre la fermeture définitive des sites. À La Louvière, la mise à l’écart d’un chef de délégation FGTB dépasse le cynisme. Sa hiérarchie l’a débarqué en laissant entendre qu’il avait des problèmes… de santé. Pile au moment où les ouvriers réclament le retour d’une aide aux travailleurs âgés qui a été supprimée.

Le courrier est arrivé dans plusieurs centaines de boîtes aux lettres. Il concerne la firme sidérurgique russe NLMK, qui exploite en modèle réduit le site abandonné à La Louvière par la famille Boël, puis par les Hollandais de Hoogovens et enfin par les Italiens de Duferco. Une des dernières unités de production d’acier de Wallonie. Qu’indique ce document qui fait jaser dans les milieux syndicaux, et pas seulement à La Louvière, première étape de notre Médor Tour ?

Lettre aux camarades FGTB NLMK

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La direction régionale du syndicat socialiste FGTB signale à tous ses affiliés que le président de sa délégation syndicale au sein de NLMK – qui défend encore les intérêts de quelque 350 ouvriers – est déchargé de son mandat. Il s’agit de Luc Dereume, 36 ans d’ancienneté dans la sidérurgie et quasi autant d’engagement syndical dans la cité des Loups. À six ans d’écart, il est l’égal de Roger Leclercq, une sommité dans la région, qui avait fini par susciter la colère des syndicalistes FGTB en acceptant la fermeture de la phase à chaud de La Louvière, en 2013. Un « traître », désormais, pour les radicaux (voir notre enquête sur Duferco, "Acier trompé").

"En accord avec lui-même". Ah bon ?

La lettre, rappelant le slogan de la FGTB « Ensemble, on est plus forts », signale que la présidence de délégation a été retirée au camarade Luc Dereume « pour des raisons principalement liées à sa santé », « mais aussi et surtout pour des raisons personnelles qui ne lui permettaient plus de faire face à son mandat de président ». Ce titre de président lui aurait été retiré « en accord avec lui-même ». La lettre insiste une seconde fois, comme pour s’en convaincre : Luc a « marqué son accord » sur « le courrier qui a été envoyé à la direction ». Une aubaine pour celle-ci.

Voilà la direction débarrassée d’une tête qui dépasse – Luc Dereume est un syndicaliste réputé déterminé –, à l’approche d’une délicate réorganisation de l’usine louviéroise, l’an prochain. Au même moment, le feu de la révolte vient d’être étouffé chez NLMK Clabecq, un autre foyer sidérurgique qui s’éteint (voir notre reportage à Clabecq, "Lutter. Renoncer"). Là, un nouveau licenciement collectif écarte au passage les syndicalistes les plus combatifs.

Mais cette affaire de président de délégation syndicale qui renoncerait volontairement à son mandat ne semble pas du goût du principal intéressé :

Le quinqua se déclare en… bonne santé, petit sourire en coin. « Je ne fume pas. Je ne bois pas une goutte d’alcool (face à nous, un coca light puis un tonic). J’ai bien un peu d’asthme, mais vous pouvez vérifier, je suis au poste depuis le début de ma carrière, en 1983. » Engagé sous les Boël en tant qu’ajusteur au service électrique, devenu leader de délégation syndicale il y a quatre ans. Un des derniers Mohicans.

À La Louvière, beaucoup d’affiliés de la FGTB accusent leurs délégués d’avoir déserté avec des avantages énormes lors de la fermeture partielle de 2013. Une enquête judiciaire a été ouverte quant à de possibles abus de bien sociaux. Luc Dereume connaît le dessous des cartes : « Moi, je défends mes hommes. Je l’ai toujours fait. »

Le silence des Métallos

Le courrier annonçant cette fin de mandat est rédigé au nom du secrétaire provincial Didier Scailquin, représentant les Métallos FGTB de la région du Centre. « Je n’ai aucun commentaire à vous faire, dit ce dernier, plutôt agacé dès la première question. Chez nous, on lave le linge sale en famille. » Ah oui ? Un président de délégation démis de force par sa hiérarchie, ce n’est pas banal. « À notre niveau, commente-t-on au sommet de la FGTB, nous ne pouvons rien dire à ce sujet. Voyez avec nos collègues qui représentent l’ensemble des métallurgistes wallons. »

On se tourne dès lors vers ceux-ci : « Oui, j’ai entendu parler de difficultés au niveau de la délégation syndicale chez NLMK La Louvière, répond Hillal Sor, secrétaire général des Métallos wallons. Mais sans connaître les détails. Adressez-vous à la régionale du Centre. » Et ainsi de suite… Courage, fuyons.

À lire la lettre entre les lignes, on comprend que les trois autres membres de la délégation syndicale ont lâché leur président. « Je les ai interrogés, dit Dereume. Ils ont baissé les yeux. » « No comment sur cette lettre ! Comment savez-vous ça ? », demande l’un d’eux, Pino Dispinzeri, étonné que ce « souci interne » ait pu fuiter jusque dans la presse. Lutter ou renoncer ? Dans l’industrie wallonne, qui tire les rideaux les uns après les autres, on a appris à se compter, comme l’indique notre récit sur Clabecq.

Le syndicaliste qu’il fallait "dégommer"

Luc Dereume affirme avoir appris il y a trois mois, auprès d’une cheffe de service de NLMK dont il cite le nom, qu’« on manœuvrait dans son dos pour le dégommer ». Il a interrogé la direction de l’usine et ses référents syndicaux. Réponses rassurantes : « Non, non, il n’y a aucune raison. »

Un tabou plombe les relations sociales chez NLMK La Louvière depuis plusieurs mois. Selon nos recoupements, la mise à l’écart du chef syndicaliste bien informé y serait liée. De quoi s’agit-il ? Le 1er juillet 2015, tous les anciens membres du personnel avaient reçu un courrier recommandé annonçant, avec effet immédiat, la suspension d’une prime historique d’« Aide aux personnes âgées » (APA). Par tranche de 500 euros annuels, le personnel recevait ce petit bonus depuis plus de quarante ans. Trop « fragile », la situation de la société ne permet plus de payer cette prime, précisait le recommandé.

Une prime envolée

Aujourd’hui, les anciens ou ceux qui approchent de la pension réclament le rétablissement de l’APA, sorte d’assurance groupe portant un autre nom. NLMK La Louvière va mieux et prévoit d’investir. De l’argent pour la prime APA, il y en aurait de nouveau. « Mon manque à gagner se chiffre déjà à 2 000 euros, raconte l’ouvrier à la retraite forcée Beppei (prénom d’emprunt). Si je vis encore vingt ans ou que mon épouse récupère mes droits après mon décès, comme c’est prévu, ça montera à plus de 10 000 euros. »

Des chiffres élevés circulent à La Louvière. Quelque 1 250 personnes seraient touchées par ce retrait de prime. Soit 1 250 bénéficiaires à multiplier par 500 euros, d’où une estimation de 625 000 euros. C’est donc ce que NLMK devrait débourser chaque année si les syndicats parvenaient à se mobiliser sur cet enjeu et à récupérer ce qui leur avait été promis. En dix ans, le coût additionnel pour la firme grimperait à plus de 6 millions d’euros, sans compter les 2 millions économisés depuis la suppression de l’APA, en 2015. A ce prix-là, on ferait tout pour dégager un emmerdeur ? La direction de NLMK refuse d’évoquer ces chiffres (elle dit étudier « différentes solutions » avec les syndicats « depuis plusieurs mois »). Dans les rangs des travailleurs ou des pensionnés, on chuchote que ce montant avait été provisionné, sous le contrôle des syndicats, mais que la caisse a été vidée. Il reste donc une question de taille : Où est cet argent ?

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