Vesdre : De Jalhay à Herve, des plateaux qui doivent changer

wayai_001

Modelés par l’activité humaine, les plateaux de Herve et de Jalhay ont renvoyé beaucoup d’eau vers la vallée, en juillet 2021. Trop d’eau. Les frontières communales n’empêchent pas le ruissellement, ni la sécheresse. Deux échevins de l’aménagement du territoire expliquent leur action.

Il y avait un parfum de crise le 29 avril 2019 au conseil communal de Jalhay, au sud-est de Verviers. Le ton était de plomb ; les nouvelles, mauvaises. La cause : un petit insecte de 2 à 7 millimètres, à la carapace noire et brune et à l’appétit sans fin. Le scolyte aime le bois, surtout le plus tendre. Celui qui grandit juste sous l’écorce. Il creuse des galeries qui, vues de loin, forment de somptueux labyrinthes. De près, chaque coup de mandibule marque un pas vers la mort de l’arbre. Les phéromones du scolyte attirent les congénères. Après la ponte, les larves vont descendre le tronc, le ravageant petit à petit. L’épicéa est son arbre préféré. Jalhay, commune truffée de résineux, constitue une victime idéale.

« En temps normal, l’épicéa produit assez de résine et le scolyte s’y englue. Il ne peut pas aller ronger l’arbre sous son écorce. Il s’attaque donc à l’origine plutôt aux arbres faibles », explique Yves Pieper, chef du cantonnement du Département de la Nature et des Forêts de Verviers (voir notre premier épisode). Mais un arbre qui manque d’eau devient vite un arbre faible.

Et les arbres faibles, il va falloir hélas s’y faire. En 2018, l’été a été sec et chaud, entamant l’immunité des résineux. Le scolyte n’a pas fait de quartier. L’hiver devait le tuer, grâce au froid. Mais il fut doux. Trop doux. Les scolytes ont pu rester et continuer le ravage.

scolyte-galerie
Le scolyte. Petit mais glouton. Le pire ennemi de l’épicéa.
Meyers Konversations-Lexikon, 4. Aufl. 1888, Bd. 16, S. 352. CC0

Braderie de printemps

Au conseil communal du 29 avril, Marc Ancion, échevin libéral des Forêts à Jalhay, estime les dégâts, la voix grave. « Nous avons vendu 2 350 m³ d’arbres malades. Enfin, vendus… Nous les avons bradés. Si on se rappelle qu’on vendait aux alentours de 70 ou 80 euros le m³, ici, le lot a été vendu à 12,20€. Ce qui constitue une perte financière évidente mais aussi une perte à terme, car ces arbres sont partis. On ne pourra plus les valoriser. »

Au sein du collège, l’échevin des Finances et de l’Aménagement du territoire, Eric Laurent, apparenté au MR, démarre les comptes. Le manque à gagner total du scolyte cette année-là, ce sera 300 000 euros. Son seul bénéfice : faire comprendre à toute la commune que le dérèglement climatique est bien là, même dans cette entité prospère proche des Hautes Fagnes. Et que l’épicéa, c’est peut-être fini. À l’époque, la « crise des scolytes » frappait au grand large, coûtant plus de 50 millions d’euros à la Lorraine française.

Une nouvelle épine dans le pied

Deux ans plus tard, le 14 juillet 2021, une nouvelle crise lacère Jalhay. 281 mm d’eau s’abattent sur la commune en deux jours. C’est ici qu’il a le plus plu pendant les inondations. La Hoëgne a détruit ses berges sur des kilomètres. Les eaux ont ruisselé vers les fonds de vallée, comme ce fut le cas aussi sur le plateau d’en face, à Herve. Graves en hauteur, les dégâts furent incommensurables en bas.

Scolytes et ruissellement. Sécheresse et déluge de pluies imprévisibles. Les deux faces d’un même risque climatique. La catastrophe termine d’ouvrir certains yeux, dans cette commune où la population augmente bien plus vite que la moyenne wallonne. Les épicéas ont joué un rôle, mais la bétonisation a contribué également. Même si l’on y rénove des fermes, Jalhay est encore un royaume pour les quatre façades. « On est conscient du problème, on sait qu’on doit limiter le ruissellement », s’engage l’échevin Éric Laurent.

wayai_003
Le Wayai, près de Spa. En 2018, il est sorti de son lit et a causé des inondations à Nivezé.

Quels leviers pour bloquer l’eau ?

« En 2018, on avait déjà eu une crue d’une de nos rivières, le Wayai. C’est au stade de projet, mais on aimerait créer une zone inondable dans ce coin-là. On regarde aussi comment la piste cyclable du Ravel qui traverse une partie de la commune peut aussi aider, avec ses talus, à retenir les eaux. » L’autre levier, pour une commune, ce sont les permis d’urbanisme. À Jalhay, comme dans une commune sur cinq en Wallonie, pas de permis si les haies arrachées lors de la construction ne sont pas remplacées. Pas de permis, non plus, sans mise en place d’une citerne souterraine. Éric Laurent y voit une solution « pour amortir l’artificialisation qui a été faite pour le bâtiment », c’est-à-dire le bétonnage d’une surface verte, ce qui accélère le ruissellement.

Ces citernes doivent faire 10 m³ à Jalhay et servent à récupérer les eaux de pluie. Interrogé en mai 2022 sur le bien-fondé de ces installations, le ministre wallon Willy Borsus (MR) en charge de l’Aménagement du territoire, acquiesçait. Oui, les citernes sont utiles, notamment pour la sécheresse et les inondations à venir. Mais « il n’y a pas de plan global uniforme pour l’ensemble de la Wallonie », a répondu Borsus au Parlement. Ni de cadastre pour les citernes existantes. C’est l’un des défis de l’aménagement du territoire. Trouver un équilibre entre les approches locales et les grands projets régionaux.

En 2050, la sécheresse

Quand les urbanistes et les scientifiques de l’équipe du « masterplan » ont débarqué dans le bassin de la Vesdre, ils sont venus avec non pas avec une, mais deux mauvaises nouvelles. Les modèles des climatologues annonçaient la possibilité de deux, voire trois évènements pluvieux de la trempe de 2021 dans les trente prochaines années. Mais après viendrait la sécheresse. Les plateaux seront alors plus touchés que les fonds de vallée.

Lors d’un atelier participatif tenu à Chênée, l’urbaniste Paola Viganò prévenait une vingtaine de citoyens : « La sécheresse en haut pourrait inciter les gens à se déplacer dans les fonds de vallée pour y chercher de la fraîcheur. » Voilà qui rebattrait fameusement les cartes de la région, en sachant que les plus aisés, actuellement, vivent sur les plateaux et les plus précaires en fond de vallée.

vesdre-bassin
La Vesdre est un sous-bassin versant de la Meuse. Par simplicité, nous utilisons l’expression bassin-versant. Il compte 1400km de cours d’eau et s’étend sur une superficie d’environ 700km2 (d’après les cartes du StudioPaolaViganò).

Du bois en circuit court

À Jalhay, le masterplan suggère de s’adapter à la situation, en mode « circuit court ». Les revenus du bois pourraient être sauvegardés, en partie, en remplaçant des épicéas victimes de scolytes et peu à même de retenir l’eau par de nouvelles essences, plus résistantes. Bémol : planter des chênes et des bouleaux à la place des épicéas représente une perte de production de l’ordre de 50 %. La filière de transformation locale, qui a beaucoup investi dans l’équipement ces deux dernières décennies, analyse l’ingénieure hydraulique Audrey Douinot, devrait accepter de scier moins. Réévaluer le prix du bois comme les maraîchers du coin revalorisent les légumes. Freiner la concurrence que le bois importé impose au bois local.

Quant aux nouvelles constructions, une partie importante des zones agricoles utilisées aujourd’hui peuvent être construites à Jalhay. C’est le plan de secteur qui l’y autorise. Il représente une vision fort « généreuse » de l’aménagement du territoire, héritée des années 70. Pour éviter d’ajouter du béton dans cette commune où les surfaces foncières disponibles sont légion, les urbanistes conseillent plutôt de régénérer le « tissu existant », notamment en rénovant les bâtiments agricoles et les cœurs de village.

jalhay-forets
Jalhay, une commune à moitié recouverte de résineux.

Quand on lui demande ce qu’il pense de la démarche entamée avec le masterplan, l’échevin Éric Laurent reste évasif. « C’est un gros truc pour une commune comme nous. » Les 300 pages du document offrent une série de recommandations liées à une vision du territoire. Plusieurs points de cette vision concernent directement Jalhay :

  • Retenir, ralentir l’eau.
  • Adapter l’agriculture aux inondations et aux sécheresses.
  • Restaurer le plateau éponge des Hautes Fagnes, les tourbières et les forêts de feuillus.

L’ampleur de la tâche peut faire peur à des petites entités, même bien loties au niveau financier comme Jalhay. Éric Laurent craint de « devoir sauter sur tous les subsides disponibles et de ne plus pouvoir suivre ». « C’est trop de contraintes pour la commune. »

À Herve, dans l’attente du concret

De l’autre côté du bassin versant, à Herve, une autre commune libérale, l’impatience grandit. Bernard Allelyn, échevin de l’Urbanisme, a lui aussi bien compris qu’il fallait redoubler d’efforts pour empêcher le ruissellement. « On a pris conscience de notre chance d’avoir été sur un plateau et pas en fond de vallée, ces jours-là. Nous avons pris contact avec l’équipe du masterplan, nous avons échangé avec nos voisins, Soumagne mais surtout Pepinster, qui a été extrêmement touchée. Deux ans et demi après, on n’est hélas pas encore dans le concret. »

xhendelhesse_003
Un bocage typique du pays de Herve à Xhendelesse : prairies entourées de haies et vaches paissant.
None. CC BY-NC-ND

Bernard Allelyn aimerait davantage de renforts en expertise de la part de la Région et accélérer la mise en place de zones inondables sur sa commune. « Quelques milliers de mètres cubes qu’on peut retenir font partie de la solution. Mais il y a une lenteur au niveau de l’administration wallonne pour avancer. »

Des subsides de quelques dizaines de milliers d’euros ont été reçus pour payer des missions de consultance et déterminer les mesures pratiques à mettre en place, dans la lignée du masterplan. « On ne parle pas de construire un énième barrage, mais d’un ensemble de démarches. Comme des zones d’immersions temporaires négociées avec les agriculteurs. Ou utiliser les leviers de l’urbanisme pour pousser les promoteurs immobiliers à jouer le jeu, à prendre en charge des dispositifs de retenue d’eau. »

Éviter l’étalement

Si à Jalhay, c’est l’engouement pour les résineux qui a influencé les sols, ici, c’est l’agriculture et l’autoroute. Alors que l’industrie lainière s’épuisait en fond de vallée, une nouvelle économie, plus industrielle, s’est construite autour de la E42 qui file vers Aachen. Dans les années 70, l’agriculture, elle aussi, s’est industrialisée. L’Europe et les banques ont poussé à la mutation. Le réalisateur Jean-Jacques Andrien, originaire du Pays de Herve, en a tiré un film, Le grand paysage d’Alexis Droeven, en 1981.

« C’était une époque où on subsidiait les agriculteurs pour qu’ils arrachent des haies et des vergers. Car ils gênaient les engins mécaniques. » Jean-Philippe Demonty est vétérinaire. Quand il n’aide pas une vache à accoucher, il se passionne pour la nature du Pays de Herve et rêve de voir les castors jouer un rôle dans la gestion des zones humides de la commune. Une équipe de cinquante bénévoles de Natagora s’occupe notamment de replanter des haies dans le bocage.

Mais une chose l’inquiète. Depuis les inondations, il n’a pas l’impression que l’artificialisation recule.

Rendez-vous au prochain épisode, qui démarre dans son cabinet, où il est venu avec des photos et un graphique.

Tags
  1. +36,5 % depuis 1992, contre 9,6 % en Wallonie.

Dernière mise à jour

Un journalisme exigeant peut améliorer notre société. Voulez‑vous rejoindre notre projet ?

La communauté Médor, c’est déjà 3455 abonnés et 1879 coopérateurs

Vous avez une question sur cet article ? Une idée pour aller plus loin ?

ou écrivez à pilotes@medor.coop

Médor ne vous traque pas à travers ses cookies. Il n’en utilise que 3 maximum pour la sécurité et la navigation.
En savoir plus