Personne ne se fait seul
Le 9 juin 2024, c’est la fête des Pères. Le même jour, la Belgique se glissera dans les isoloirs pour « la mère de toutes les élections ». On votera pour élire nos personnalités politiques au régional, au fédéral et à l’Europe. Une fois en place, elles seront bien payées pour défendre l’État, le fonctionnement de nos services publics, protéger les citoyens et les citoyennes en situation de fragilité. Ça, c’est dans l’idéal et, comme Alain Souchon, on a soif d’idéal.
Ces futurs élus n’auront pas la tâche facile. Le diktat de l’immédiateté, l’invective facile, le raccourci de ceux et celles qui savent n’aident pas. En Wallonie et selon une étude récente de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, la confiance dans le monde politique oscille entre 30 et 40 %. Et pendant ce temps, le nord du pays scrute la vague d’extrême droite.
Au bar de l’analyse lapidaire, l’engagement politique est perçu comme une démarche intéressée, cynique, stratégique. Mais il ne faut pas oublier les politiques qui portent des convictions, pensent à l’urgence d’agir collectivement. Cela existe aussi. Ils et elles sont les plus nombreux.
Les contre-pouvoirs, dont les médias, doivent plus que jamais taper juste, non pas sur les individus (sauf quand leur responsabilité est personnelle ou qu’ils ont agi illégalement) mais surtout sur les structures et mécanismes qui génèrent cette perte de confiance.
Dans ces réflexions sur notre avenir collectif, les politiques ne seront pas seules. Gouverner n’absout pas d’écouter. Mais écouter qui ?
Nos dettes
Que ces personnes qui « monteront au pouvoir » ou le contrôleront au Parlement se souviennent que nous les avons élues. Elles, et non pas des cabinets de consultance ou des bureaux d’expertise (voir notre article sur la consultance dans le rail belge).
Engranger des savoirs pour décider est essentiel. Se faire braquer par des consultants aux tarifs indécents, nourris au biberon anglo-saxon de l’efficacité, de la réduction de dépenses et de l’optimisation managériale en est une autre.
Ces têtes pensantes auraient donc la connaissance suprême pour « améliorer » nos structures publiques, elles qui ne grandissent que dans le privé ? Alors que bien souvent ces oracles ne tâtent le terrain que quelques jours, le temps de la mission. Les talents qui évoluent au quotidien dans l’administration et les sociétés publiques, eux, se sentent mis sur la touche.
Quand des analystes internationaux (voir notre article sur la visite du FMI en Belgique) débarquent ici et rabâchent leurs « conseils » économiques sur nos pensions sans jamais prendre le pouls de notre société plus longtemps que deux semaines sur l’année, ne serait-ce pas une vision du monde qu’on nous fourgue plutôt que de bons tuyaux ?
On ne demande pas aux politiciens de dessiner eux-mêmes les plans d’un métro (voir notre enquête sur la débâcle de la ligne 3 à Bruxelles). Mais quand des études soulèvent des doutes, nous leur demandons de ne pas foncer dans le tas pour valider leurs propres convictions. Leur rôle est de mettre en place le cadre pour permettre l’échange, construire la consultation, réussir à synthétiser, à renoncer ou à persévérer, enfin, décider. Trancher sans être borné. Bref, penser aux citoyennes et aux citoyens. Alors, le politique n’est plus un fer de lance obstiné mais devient un passeur. Une sorte d’ombudsman, c’est-à-dire, comme on le traduit en France, un défenseur des droits.
Grandir plutôt que s’agrandir, c’est la proposition du biologiste Olivier Hamant. Mais comment ? En pensant et en agissant ensemble. Notre singularité n’existe que dans les collectivités. Oubliez les histoires de « selfmade », personne ne se fait seul. On a tous une dette envers les autres, et elle n’est pas d’argent. Elle est faite de services publics, de soins, de soutiens, de partages, de souvenirs, de savoirs (non facturés) et d’idées.
Alors écouter qui ? Reprenons la conversation avec les politiques. Reprenons la parole aux publicitaires et aux experts qui vendent. Racontons-nous ensemble. On n’a pas vraiment le choix, sauf à devenir des New Kim. Soit le pigeon à quelques millions.