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Un chat sur un monde brûlant

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Sarah Vercheval. Tous droits réservés.

Médor est jaloux des chats. Déjà, Charles Baudelaire n’a jamais dédié de vers enivrés à un chien. Mais nous ne sommes pas un chien. Par contre, un magazine qui, contre toute attente, atteint son trentième numéro, ça, ça nous dit bien.

Médor est jaloux des chats. Déjà, Charles Baudelaire n’a jamais dédié de vers enivrés à un chien. Qui aurait l’idée d’écrire : « Viens, mon beau chien, sur mon cœur amoureux » ? Ensuite, il n’y a aucune chaîne YouTube de chiens qui fait 619 586 260 millions de vues, comme celles de Motimaru, félin japonais aussi mignon qu’insignifiant. Motimaru a 195 000 followers Instagram, dix fois plus que Georges-Louis Bouchez et son toutou Liloo. Mais, en retour, il ne suit personne. Même Elon Musk suit 178 personnes sur Twitter. Motimaru, lui, n’en a pas besoin. Il est son propre guide.

On est jaloux à crever. Mais Médor n’est pas un chat. Pas plus qu’il n’est un chien. Nous avions d’ailleurs cru bon de le préciser dans la première phrase de notre premier édito. Et nous en sommes à notre 30e numéro. Oui, 30 numéros ! ! Ça en jette des croquettes, ça, hein Motimaru ?

Qui aurait dit, à part nos coopérateurs confiants, qu’on irait jusque-là ? Qu’on pourrait (osons le dire) bousculer quelques lignes et faire vivre un titre de presse sans dépendre d’une poignée d’actionnaires tout-puissants ? Entre le numéro 1, que la firme pharmaceutique Mithra avait stupidement tenté de faire censurer par la justice, et ce numéro 30 où, de retour à Liège via Las Vegas, on vous raconte comment la Fabrique nationale vend, sans vergogne, des armes quasi militaires aux Américains, il y a eu des joies et des doutes. Et une question lancinante : à quoi sert-on, dans un monde en brasier ?

La réponse est simple : nous sommes des porteurs de nouvelles, à côté de milliers d’autres porteurs de nouvelles. Là où, raconte la légende, Phidippidès, au Ve siècle avant J.-C., était seul pour courir et aller annoncer la victoire des Athéniens sur les Perses à la bataille de Marathon, nous sommes désormais des légions à construire l’information. Dans le flux du jour, de Facebook aux chaînes de newsletters, il n’a pas fallu se démarquer par vanité, mais bien par utilité.

À quoi sert-on ? La réponse n’est pas si simple, en fait. Pendant un an, nous avons confié à une agence-conseil de l’économie sociale, la SAW-B, une étude de l’impact que nous avons sur nos publics. Ses conclusions nous aident à comprendre notre utilité, et donc notre spécificité. Nos lecteurs et lectrices disent par exemple se sentir « bien informés, mieux équipés pour prendre part à la société et en meilleure capacité d’agir » sur elle. Voilà qui est bon à prendre dans un monde où, comme le souligne l’historienne Marie Peltier, la prudence empêche souvent les défenseurs des droits et de la démocratie d’affirmer leurs valeurs, laissant toute la place aux complotistes.

Ce numéro ne sera donc ni tendre ni tiède. Il ne se veut pas spécialement porteur de bonnes nouvelles. Il sert, juste, à porter des nouvelles pour nous mettre en capacité d’agir. Il pointe, une fois encore, la lenteur de la justice face aux violences subies par des locataires pauvres, victimes d’un marchand de sommeil. Ce numéro explore, aussi, des pistes de solutions, tel le potentiel des crèches pour lutter contre les effets de la pauvreté des enfants ou l’avenir écologique et social qui pourrait se dessiner dans la vallée de la Vesdre, après les inondations de l’été 2021. Il porte un regard critique sur la déforestation, toujours à l’œuvre au Ghana, pour que nous puissions, peinards, manger notre chocolat.

Dans notre premier numéro, nous écrivions : « Médor n’est pas un chien. Mais il commence à avoir une gueule. » Huit ans plus tard, il n’a toujours pas la gueule de l’emploi et n’entre dans aucune cage. Derrière la mignonnerie de notre petit chat de canapé, en couverture, nous continuons à arpenter les replis de notre vaste pays pour en comprendre les reliefs.

Baudelaire a consacré plusieurs poèmes enflammés aux chats, frileux et sédentaires. Mais à son ami belge Joseph Edouard Stevens, peintre de chiens, il a aussi chanté la ténacité des vigoureux canidés que, parfois, l’on croise dans la « paresseuse Belgique ». « À travers la brume, à travers la neige, à travers la crotte, sous la canicule mordante, sous la pluie ruisselante, ils vont, ils viennent, ils trottent, ils passent sous les voitures, excités par les puces, la passion, le besoin ou le devoir. Comme nous, ils se sont levés de bon matin, et ils cherchent leur vie ou courent à leurs plaisirs. » Plaisir de fouiller, plaisir d’écrire et de mettre en forme, nous persévérons dans notre métier de messager.

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