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Scène colère

Rencontre avec Monique Sonique

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Islena Neira. CC BY-NC-ND.

Briser Sardou, caresser l’ourson royal Laurent, parler des maux du temps, violences et harcèlements. Vicky et Simon engendrent depuis douze ans leur créature électro-pop-punk Monique Sonique. Ils ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent mais sont certains qu’ils l’auront.

Les bambins cherchaient des mandarines dans leurs petits souliers. Tout allait bien. C’était le 6 décembre 2012. Et puis soudain, Vicky et Simon, les deux créateurs de Monique Sonique, ont mis un clip en ligne sur YouTube. Une « chanson optimiste », électrique, tendue, avec un refrain plutôt optimiste, lui aussi :
– C’est la merde, on est dans la merde.
– C’est pourri, moisi jusqu’aux os.
– Rien à foutre, rien à foutre, nous on a le prince Laurent de Belgique.

Le tout scandé dans un clip où Vicky, perruque blonde, est attachée dans un laboratoire, livrée aux mains d’un savant fou qui dissèque les yeux d’une vache, pendant qu’un type en cage les observe en régurgitant des gélules. Vers la fin, des humains nus et peints en bleu reconstituent un déjeuner sur l’herbe version Schtroumpf. De quoi faire passer le film gore hongrois Taxidermie pour un épisode de Petit Ours Brun.

« Quand un ami est à plat, il se repasse Prince Laurent et reprend goût à la vie », assure dix ans après Vicky, qui aime surnommer notre auguste royal le Tom Sawyer de la monarchie. Aujourd’hui, Vicky est venue en terrasse avec Tartine, son Jack Russel. Tartine cherche à séduire hardiment un chien d’une autre race. Simon, petite moustache, voix perçante, resserre la laisse, blague avec les propriétaires de l’autre cabot. Il ramène de l’eau pétillante du bar. Vicky allume une cigarette. Et l’histoire étrange de Monique Sonique peut démarrer, racontée cent fois sans doute, mais il faut bien entamer l’affaire quelque part.

Vicky et Simon sont des artistes accomplis et à temps plein, qui ont bourlingué dans la production musicale, le théâtre, le cinéma. Ils se sont rencontrés il y a treize ou quatorze ans, lors de Kermesse, une pièce de théâtre de la compagnie namuroise Victor B. La légende raconte que le spectateur se faisait embarquer dans la vie de forains et foraines, qui tenaient des bingo-buvettes et des pêches aux nénuphars.

Durant la Kermesse, ça colle bien entre Vicky et Simon. La compagnie Victor B. leur propose un nouveau tour de force. Créer un groupe de musique fictif pour une future pièce. « On ne voulait pas juste faire un petit duo pour la pièce. On y est allé plein pot. On s’est pris un nom, Monique Sonique. On a écrit des textes, répété ensemble, produit un album. » Comme son titre ne le révèle pas entièrement, Poney for Toujours traite de la vie sexuelle des animaux, de baleines bleues qui envoûtent par ultra-sons, de femelles qu’on désire, pour lesquelles des mâles s’entretueraient. D’un chien qu’un parebrise envoie dans l’au-delà sur fond de requiem techno agressif. La pièce est présentée, à Chalon-sur-Saône, en France. « Nous étions au festival de théâtre. Le spectacle n’était pas assez rodé. Un critique local nous a descendus. »

« Sardou, tu pues »

Il suffit parfois de cela pour tuer un spectacle. La pièce n’aura pas d’autres représentations. Mais la réception de la musique est bonne. Monique Sonique devient un groupe pour du vrai, et se fait connaître par des concerts survoltés dans une kyrielle de lieux bruxellois. En fait, Vicky et Simon n’ont pas la même mère. Tout simplement parce qu’ils ne sont pas frère et sœur. Vicky, c’est Ingrid Heiderscheidt, née à Huy, diplômée en art dramatique à Liège, actrice de cinéma et de théâtre, passée par un collectif de majorettes-chanteuses, Les Vedettes, qui ont pas mal traîné avec leur parrain artistique Philippe Katerine.

Simon, c’est David Chazam, né à Poitiers en 1968 mais vivant depuis perpète à Bruxelles. Un « compositeur français omnidirectionnel », comme le dit sa bio sur Discogs, qui « travaille dans différents paradigmes de la musique et du spectacle comme : la danse contemporaine, le théâtre ennuyant, les films intéressants, la création de feuilletons à la radio, la musique improvisée et la punk music electropoppy et décomplexée jouée dans des clubs sauvages. » Beaucoup de choses à son CV. N’en retenons qu’une, par cruauté curative : un album en 1998 avec Jean-Jacques Perrey, un des pères de l’électro, le Paganini de l’ondioline, cet ancêtre du synthétiseur. Perrey a été loué par Angelo Badalamenti, le gars qui compose les musiques des films de David Lynch, et donc, Chazam a eu la chance de collaborer avec lui, entre d’autres vies. Mais revenons à Monique.

Vicky et Simon sortent Poney for Toujours en ligne, en 2011. Et enchaînent un an plus tard avec un deuxième album, King Size. On reste dans le domaine des animaux enlacés par une grosse déflagration sonore : ça parle du burn-out d’un koala et du prince Laurent. Car, derrière les tumultes de la faune, Monique Sonique voit souvent des hommes. Le koala, c’est une connaissance qui perd pied. Le prince Laurent, ce n’est pas un animal, mais un amoureux des animaux qui permet parfois d’échapper à la grisaille du quotidien.

Musicalement, on navigue dans des eaux multiples. Simon dit que c’est de l’électro-punk qui lorgne l’électro-pop. Les francophones pensent à Sexy Sushi et les Flamands à Vive la fête, mais un Vive la fête avec des textes. Toujours en 2012, le duo s’attaque à une ambulance de luxe : Michel Sardou. Mais avec une touche particulière, à l’agressivité assumée, qui ferait oublier la facilité de la cible :

– Anti-Sardou, chanteur réac, tu pues des trous, viens que j’t’éclate.

« On revendique d’aller dans nos zones de confort », dit Chazam, qui en profite pour repasser sur l’actu de Monique. « Dans notre nouvel album, il y a la chanson Fucking fils de, qui parle de jalousie ; c’est aussi une zone de confort. » Mieux : il y a une chanson qui s’appelle carrément Zone de confort. Vicky et Simon interpellent : « Toi qui m’examines dans ma zone de confort, qui es-tu pour dire si j’ai raison ou tort ? » « N2laN », qui sort pour le moment, est le premier album de Monique Sonique à sortir et à se permettre une promo tous azimuts.

Chanson militante

La meilleure pub, ça reste encore un concert qui marche. Sûr de son show, Monique Sonique envoie une grosse décharge d’énergie à chaque sortie sur scène. Simon voit dans le groupe un « instrument cathartique assez efficace et jouissif ». Vicky, elle, ose sortir le terme « militant ». « Nos chansons ne veulent pas l’être à la base, mais, à partir du moment où le public trouve dans nos textes quelque chose qui rejoint ce qui les révolte, alors on le devient un peu. » C’est vrai que « N2laN » puise dans les dérives et les recoins parfois putrides du moment. Ça scande la colère face aux despotes à tous les étages de la société (La dictature du projet), renvoie les harceleurs de rue à leur esprit tordu (Misère sexuelle), règle des comptes avec les manipulateurs (Égocentrifugeur) et tente quand même la promesse de l’amour, certes enveloppée dans une grosse ligne de basse (Pour toi).

« Certaines de nos chansons sont à prendre totalement au premier degré, même si on cherche à les envelopper dans de la poésie. Quand ma fille, adolescente, se fait harceler en rue, ça ne me donne pas envie d’être second degré », dit Simon, sérieusement, qui retourne la question : « T’en penses quoi, toi, de ce que tu as entendu ? » Je sens de la colère. Et que Monique Sonique c’est un truc qui sous ses abords bruts est en fait travaillé. « Pesé au mot près », oui, insiste Simon. Mais dont les concerts, passés et à venir, auront aussi une forte valeur d’exutoire pour le public. Ils se revendiquent du punk et disent que le punk peut être militant. Ils le reconnaissent dans ce qu’ils jugent être le meilleur slogan de ce mouvement : « Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais que je l’aurai. » À l’écoute de leur dernier album, qui sort en CD et en vinyle (Simon est fasciné par cette « crotte de plastique » liquide qui donne vie à la galette, conçue dans une usine près de Poitiers tenue par deux métalleux), on imagine que Monique Sonique serait déjà heureuse avec une société un peu moins toxique.

Après la lecture, l’écoute

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