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Petites fuites, grands problèmes

En Wallonie, plus d’un ménage sur deux se chauffe au mazout. Dans nos caves et jardins, les citernes vieillissantes ou mal installées provoquent chaque semaine des pollutions. Problème : le gouvernement régional n’a pas de vue d’ensemble et peine à légiférer sur le sujet.

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Arnaud Aubry. CC BY-NC-ND

La couleur irisée de l’eau et les taches argentées glissant sur la surface lisse du ruisseau Saint-Jean ne laissent guère place au doute. Du ponton en bois, Isabelle Delgoffe doit se rendre à l’évidence : la pollution aux hydrocarbures qui touche ce ruisseau n’est toujours pas résolue. Attachée de projet au Contrat de rivières Dyle-Gette, elle contrôle visuellement le boudin absorbant en polypropylène, situé quelques mètres en aval. L’incident étonne peu cette passionnée de nature, elle qui veille sur 1 000 kilomètres de cours d’eau répartis dans une vingtaine de communes. Depuis le début de l’année, seules quelques entités n’ont pas été impactées par une pollution. Celles-ci sont diverses et variées, mais la majorité d’entre elles impliquent des hydrocarbures. Avec, à chaque fois, la même question : d’où vient le problème ?

Pour le savoir, il faut remonter le cours d’eau dans l’espoir de localiser la source. Mais la tâche est ardue. « Souvent, on ne trouve pas l’origine », se désole Vincent Bulteau, conseiller environnement à la commune de Beauchevain. En dépit des difficultés, les acteurs de terrain ont une même cible dans le viseur : les citernes à mazout. D’un côté, les réservoirs vieillissants de l’après-guerre, victimes de l’oxydation et du temps qui passe, de l’autre, les installations bâclées qui favorisent le risque de fuites. Selon les chiffres de 2016 (les derniers en date, hélas), les pollutions provoquées par des débordements et fuites de citernes entraînent une intervention par semaine du département de la Police et des Contrôles. Un chiffre qui pourrait augmenter sensiblement dans le futur. Livreurs de mazout, contrôleurs de cuves, dépollueurs, chacun y va de son pronostic. Tous s’accordent sur un point : le temps est un ennemi. Chaque année, les citernes prennent de l’âge, avec les risques que cela engendre.

Entre méconnaissance et déni

Il fait encore nuit lorsque Rudy Lucas entame sa tournée. Équipé d’un compresseur, d’un manomètre et de longs tubes en plastique, il pousse son diable sur le terrain pentu d’une maison rurale en direction de la citerne à mazout, enterrée dans ce jardin brabançon. Sa mission : contrôler l’étanchéité de la cuve. Après avoir vérifié la chambre de visite, le sifflet (dispositif antidébordement) et l’absence d’eau dans le fond de la citerne, ce contrôleur agréé par la Région wallonne place la cuve en dépression. Le compresseur vrombit, l’air se parfume d’une odeur de gasoil et les chiffres du manomètre défilent. Si la cuve est étanche, la citerne reste sous dépression. En cas de fuite, la pression remonte. Chaque année, le département de la Police et des Contrôles de Charleroi – une des quatre directions territoriales de ce service régional couvrant les arrondissements administratifs de Thuin, Charleroi et Nivelles – reçoit une centaine de certificats indiquant des défauts d’étanchéité.

Pour moins de 200 euros, ce contrôle périodique permet parfois d’identifier une fuite avant que le mazout ne s’échappe dans la nature. Il est obligatoire pour les propriétaires de citerne d’un volume égal ou supérieur à 3 000 litres. Sans plaquette verte synonyme de test réussi, ils ne peuvent pas remplir leur réservoir. En théorie. Par peur de voir filer un client à la concurrence et malgré leur responsabilité juridique engagée, certains distributeurs sont peu regardants. Résultat, des propriétaires passent entre les mailles du filet. « En cherchant la source d’une pollution, on fait du porte-à-porte dans des quartiers, explique Isabelle Delgoffe. De nombreuses personnes ignorent la législation. Ces incidents nous permettent de régulariser des ménages, mais également de trouver d’autres fuites. » Puis il y a les gens négligents ou dans le déni. Un pari risqué. Outre l’impact environnemental, les travaux d’assainissement des sols peuvent coûter des dizaines de milliers d’euros. Peu d’assurances couvrent les frais de dépollution, aucune ne soutient un propriétaire pris en défaut.

L’inquantifiable problème

Tout cela n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Dans cette matière régionalisée, la Wallonie n’impose des obligations qu’aux citernes égales ou supérieures à 3 000 litres. Il est illusoire d’imaginer que toutes ces cuves XXL sont déclarées à la commune et contrôlées. Il faut surtout mentionner que la majorité des réservoirs des particuliers sont de volume inférieur. Une « jungle » où chacun fait ce qui lui plaît. Puis il y a les installations inutilisées qui doivent, légalement, être neutralisées ou enlevées (pour un coût de 1 000 à 1 500 euros). Mais des cuves croupissent dans le sol sans avoir été mises hors service. L’inactivité de ces citernes ne faisant que retarder la détection de la pollution, lorsqu’un fond de gasoil se fait la malle.

En résumé, la Wallonie navigue à vue. L’information commence à remonter avec les contrôleurs et les notaires (lors des ventes de maisons), mais le tableau reste bien incomplet. Invité à quantifier le nombre de citernes défectueuses, le cabinet de la ministre de l’Environnement wallonne, Céline Tellier (Écolo), se rapporte aux estimations réalisées pour le compte du ministre précédent. Carlo Di Antonio (cdH) était alors au pouvoir. En 2016, le nombre de réservoirs ayant entraîné ou susceptibles d’entraîner une contamination des sols est estimé entre 65 et… 12 000 ! Trois ans plus tard, le chiffre de 5 500 est évoqué. Bref, « on ne dispose pas de données suffisamment précises », conclut le cabinet de l’actuelle ministre. Où l’on annonce, dans la foulée, la réalisation d’un cadastre au départ de données de terrain, « une étape essentielle pour phaser et prioriser la mise en conformité des citernes » et « construire une législation mieux adaptée aux réalités de terrain ».

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Arnaud Aubry. CC BY-NC-ND

L’impossible réforme ?

Mais sur ce sujet peu porteur électoralement, où tout changement pourrait impacter des centaines de milliers de ménages, le monde politique reste hésitant. « Cela fait vingt ans qu’on me parle d’une nouvelle législation », relate Olivier Neirynck, porte-parole de la Fédération belge des négociants en combustibles et carburants. Pour clarifier le travail des livreurs, le secteur pétrolier est demandeur de changements. Carlo Di Antonio est le dernier à s’y être essayé. Un arrêté, adopté en juillet 2019, décide d’imposer des règles similaires pour tous les réservoirs de 500 à 24 999 litres. Le texte étend les tests d’étanchéité, oblige une double paroi pour les nouvelles citernes et généralise les dispositifs antidébordements. En mai 2020, alors que 46 % des ménages wallons (727 400) sont concernés par les nouvelles dispositions et risquent de ne pas pouvoir remplir leur citerne, la ministre Tellier décide, logiquement, d’abroger un texte controversé. « Nous avions identifié de très nombreuses difficultés, incertitudes et interrogations qui rendaient cet arrêté tout simplement inapplicable sur le terrain », justifie-t-on à son cabinet. La révolution attendra.

Essentielle pour l’environnement, la réforme est délicate sur un plan social. La mise en conformité implique des frais supplémentaires à l’installation et à l’entretien. Des ménages pourraient être contraints de remplacer leur matériel (pour un coût de quelques milliers d’euros). Or, aujourd’hui, aucune aide publique n’existe pour les accompagner. Le statu quo l’emporte. Les gouvernements successifs patinent sur l’huile. Une avancée réelle : le dossier « Promaz », du nom de ce fonds ayant pour but de soutenir financièrement les particuliers victimes d’une fuite de mazout, vient de se débloquer. Les premières indemnisations devraient tomber au printemps
2022.

De quoi ramener de la sérénité et ouvrir la voie à une réforme sur les citernes ? Le secteur pétrolier l’aimerait. La ministre Tellier dit travailler sur un nouveau texte « aux ambitions écologiques au moins équivalentes » au texte abrogé. Aucune date ni précision sur les mesures ne sont communiquées. Une certitude : en 2035, la vente de chaudières au mazout sera interdite en Belgique marquant, à terme, la fin de ce combustible dans nos contrées. En attendant, l’eau continue de couler sous les ponts. Le mazout aussi.

Illustration musicale proposée par Point Culture

Interview de l’auteur par Charlotte Dekoker dans Week-end Première

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  1. Une organisation visant à protéger et à améliorer les eaux du bassin versant. Un arrêté wallon régit son fonctionnement.

  2. Cette « police wallonne de l’environnement » est chargée de constater une pollution et de demander une dépollution des sols, sous la supervision d’un expert agréé. Ce service peut infliger des amendes, mais c’est peu fréquent lors de fuites accidentelles.

  3. Via un permis environnement de classe 3.

  4. Sauf dans les zones de protection de captages d’eau, destinées à être consommées.

  5. Sauf, à nouveau, dans les zones de captage d’eau, destinée à être consommée.

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