La peine de vivre
Depuis une quinzaine d’années, le traitement par immunothérapie soigne certains cancers. Des personnes jadis condamnées guérissent. Mais au soulagement et à la joie se mêlent l’angoisse, la dépression. Une souffrance paradoxale quand tout le monde, autour de vous, se réjouit. C’est bien la peine de vivre.

Elle n’aime pas trop ce terme. Survivant. Non. Ça, elle n’aime pas trop. Pourquoi ? Elle sait pas. Peut-être parce que, s’il faut survivre, alors c’est plus une vie. Peut-être. Ou alors parce que cela signifie une sous-vie. Ou parce que la survie, c’est pas encore sûr. Cette foutue date. 20 octobre. Un PET-scan pour vérifier que tout va bien. Qu’il n’y a plus rien. Vraiment rien. Bon, on verra bien. Plus elle approche, plus la tension monte. Un peu. Elle doute encore. On ne va pas se mentir. Derrière elle, les avions atterrissent avec régularité. On les aperçoit de son appartement au troisième étage. Lumineux. Avec ses murs blancs. Elle et son mari ont déménagé pendant la maladie. Elle n’avait plus de souffle. Grande maison et enfants partis. Fallait installer de l’oxygène en haut, oxygène en bas. C’était l’occasion. Ils ont vendu. Acheté. Un bel appartement avec une entrée directe, dès la sortie d’ascenseur. C’est classe. Dans un coin, des jouets pour les petits enfants. Eux viennent le jeudi. À table, du café. C’est difficile de ressasser ces derniers mois. Les paroles percolent. Lentement. Guérie ? Non ça, elle ne le dira pas. Sophie ne sait pas comment elle va. Et c’est terrible de ne pas savoir. Alors elle attend le 20 octobre.
Automne
Trois ans auparavant. Octobre 2018. Un jour, Sophie se rend à la bibliothèque. En chemin, elle a oublié quelque chose. Fait demi-tour. La rue monte un peu. Arrivée chez elle, impossible …