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BNG, la Base Non Gérée (1/5)
Le premier article-quizz de tout l’univers
Lectrice, lecteur ! Bienvenue dans le grand article-quizz de Médor consacré à la Banque Nationale Générale (BNG), la base de données mégalodon de la police ! Vous vous en fichez ? Ça tombe bien, la BNG aussi. Vous n’avez rien à cacher ? La BNG si. Venez découvrir combien nous sommes dans cette base de données, pourquoi, à partir de quel âge, pour combien de temps, et bien pire encore !
Cette investigation par épisodes est l’un des volets de notre grande enquête participative sur l’hypersurveillance à la belge.
C’est comme dans les films. Y’a un banc, et deux types assis dessus. Le journaliste de Médor, puis l’autre avec une bonne tête de flic, cheveux mi-longs, regard perçant, clope au bec, café fumant en mains. « On est surfichés, c’est clair ».
Voilà la conclusion d’une bonne heure de discussion avec notre flic chevelu, à propos de la BNG, la Banque Nationale Générale. La plus massive et dense des banques de données policières, l’archi-base, la référothèque ultime. LE mégalodon1 des bases de données, le T-Rex du fichage… bon, vous avez compris.
Au départ, les intentions étaient bonnes. On était bien parti.
Flash-back.
Fin des années nonante, les assassinats de An, Eefje, Julie et Mélissa bouleversent un pays qui marche en blanc, broie du noir. Dutroux est mis à l’ombre, et les dysfonctionnements de la police en lumière. Des informations policières ont été perdues, ou retenues par une police et une gendarmerie qui se sont faits la guéguerre. Il faut changer le système. Police et gendarmerie ne feront qu’une. Les accords Octopus promettent une « réforme approfondie du système policier belge » et débouchent sur une police intégrée. Et avec elle naît le projet de la BNG. Tout va aller mieux.
La BNG c’est une vaste banque rassemblant les données de tous les corps de police, les fédéraux comme les locaux. Elle ne contient pas les informations en soi. C’est plutôt une référothèque, un lieu permettant de voir où se trouvent d’autres documents, et permettant d’avoir une vision succincte des personnes et faits, avec la référence des documents à consulter si nécessaire.
Des accès différents sont paramétrés. La BNG n’est pas accessible dans son ensemble à tout le monde : seuls les enquêteurs ont accès à toutes ses ressources.
Tout savoir sur les "suspects"
La BNG n’émerge pas de nulle part. Elle existait déjà au début des années nonante. « C’était une banque de données de faits, pas de personnes. C’est important à savoir pour comprendre la suite », explique le flic au café à la main.
Dès 1997, la police va l’investir, l’adapter pour y rassembler toutes les données qu’elle détient sur les suspects du pays. Elle va collecter des faits donc, mais aussi des personnes, des lieux, des organisations.
L’encodage permet d’intégrer les « habitudes » des personnes, leurs croyances philosophiques, religieuses, politiques. Ou une présence aux manifestations extrémistes. L’outil sera formidable, il permettra de coordonner et synthétiser toutes les informations de police. Le Graal. Par ailleurs, la police est tenue de conserver des fichiers de « journalisation ». Soit qui encode et consulte quoi et quand, afin de garantir l’intégrité et la protection des données.
Le retour à la réalité est moins angélique. Au début, l’encodage est difficile. L’unification du système informatique est poussif, les PV sont rédigés sans format standard adapté à la BNG. Du coup, cet aspect disparate des informations récoltées met en péril la fiabilité des données, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.
Classe ultime, l’un d’eux utilise même les données récoltées dans un procès en divorce.
Mais ces couacs ne doivent pas masquer les avancées.
Un an auparavant, les ministres de la Justice et de l’Intérieur ont publié une directive commune pour mettre un peu d’ordre dans l’organisation de ce mastodonte de data. Dans la foulée, un vade-mecum va permettre d’encoder les données de façon uniforme.
Les procès-verbaux sont standardisés. Les interfaces des polices locales et fédérale commencent à se parler. C’est bien. Les rouages se huilent. La machine est lancée, elle ne va plus s’arrêter.
Il y a bien un truc qui chiffonne le Comité P. Un enquêteur qui consulte la BNG doit motiver sa démarche. Mais même s’il ne le fait pas, le programme donne accès à la fiche demandée. La justification de la consultation n’est pas un champ obligatoire pour accéder à la BNG. Le Comité P signale ce problème plusieurs années de suite. Sans réaction… Mais soit. Les données rentrent, s’amassent comme le souhaitait le législateur.
Depuis janvier 2005, un nouveau venu débarque en effet dans la BNG : « les informations douces » (ou les faits non concrets). Ces infos douces passent par les RIR (mais ne sont pas forcément drôles).
Les RIR, ce sont des fiches d’informations qui rassemblent des faits qui n’en sont pas. Cela peut être une dénonciation, une rumeur, un contrôle de police, un comportement suspect. Exemples : des infos d’un indic’, l’annonce de l’organisation d’une manifestation à Bruxelles ou une attaque planifiée d’hooligans envers les supporters de l’équipe adverse. Ces « informations » seront à présent encodées dans la BNG. Selon une source policière, c’est une amélioration. « Les faits « doux » étaient auparavant regroupés dans Megasys (l’ancien système informatique de base de données, Ndlr), ce qui n’offrait aucun contrôle… ». Rassurant : c’était pire avant.
C’est là que l’avertissement de notre policier sur le banc est important : la BNG est une base de données de faits. Donc pour encoder une personne, il faut la lier à un fait. L’inverse n’est pas vrai. Ainsi, si vous perdez votre carte bancaire et le signalez via CardStop, ce signalement se retrouvera dans la BNG. Un objet sans personne. Mais il n’y a pas de personnes sans fait. Cela signifie que toutes les personnes qui sont encodées dans la BNG sont considérées comme « suspecte », liée à un délit avéré ou non. Nous y voilà. C’est pour cela que notre contact insistait. C’est une banque de données de faits.
Mais pas uniquement, elle contient aussi des objets, des lieux Et des organisations.
Vous savez combien d’organisations sont à présent encodées dans la BNG ? Plus de 70 000 !
En 2009, un projet d’arrêté royal concocté par les anciens ministres de l’Intérieur, Patrick Dewael (Open VLD), et de la Justice, Jo Vandeurzen (CD&V), prévoyait d’ajouter des informations très privées : orientation sexuelle, religion, descriptions physiques et psychiques, habitudes de consommation… Face à la médiatisation de ce projet, celui-ci fut retiré.
Heureusement que cette BNG est sous le contrôle du Parlement. Enfin du Sénat. Enfin plus ou moins… Un « règlement » pour utiliser la BNG était prévu. La directive de 2002 devait rapidement être remplacée par un texte mieux charpenté, plus complet, plus solide. Parce que rien n’était réglé : les critères à respecter pour enregistrer des données en BNG, la durée de conservation des données, leurs archivages, la transparence, la transmission de données, leur indexation, leur accès…
En 2007, le Sénat a enfin mis sur pied un « Groupe 443 » pour fixer une bonne fois pour toutes les modalités concrètes de traitement des données et informations dans la BNG.
Le Groupe 44 a rendu en mars 2007 puis septembre 2008 un avis positif sur le projet d’arrêté royal, avec quelques réserves. C’est d’autant plus souhaitable qu’un accès (légal) à la BNG commence à être octroyé à des services externes (Child Focus, Office des étrangers).
Bon, il aura fallu un peu de temps pour régler les derniers détails…
Cette investigation par épisodes est l’un des volets de notre grande enquête participative sur l’hypersurveillance à la belge. Pour naviguer d’un épisode à l’autre, utilisez le fléchage en haut ou en bas de cet article. Pour découvrir l’ensemble de la thématique Hypersurveillance, c’est par ici.
1. Le mégalodon était un requin plutôt maousse costaud qui pouvait atteindre jusqu’à 20 mètres de long. Avec l’appétit qui allait avec cette envergure.
2. Le Comité permanent de contrôle des services de police.
3. Groupe de travail interministériel composé de représentants de la police, du parquet, du SPF Justice, du SPF Intérieur, mais aussi des cabinets ministériels compétents.