12min

Soigner sa sortie

sortie-prison
Noémie Marsily. CC BY-NC-SA.

Son surnom, c’est Beh-Beh. « Voix rauque », en arabe. Rapport au timbre éraillé qui colle parfaitement à sa gueule de « serial braqueur », comme titrait la presse après l’une de ses multiples condamnations. Vingt-huit ans passés derrière les barreaux. Plus de la moitié d’une vie, racontée au parloir le temps de sept visites. On taira son nom, histoire de ne pas hypothéquer encore plus ses chances de réinsertion. On fera semblant de croire à cette idée, la réinsertion, bien que ni lui ni grand monde ne se fasse la moindre illusion. « Si je sors, je pète un câble, on ne peut pas éviter le dérapage. »

La table étroite est striée d’encre, des sillons noirs et bleus creusés dans les nervures du bois par des mains impatientes. Comme un banc d’école, mais ici les cancres ont mal tourné. « La loi ne garantit pas la justice », a griffonné quelqu’un. Un autre a gravé « Portes de l’enfer ». Deux chaises, une poubelle, une fenêtre grillagée. Un ventilateur antique, posé au-dessus de la porte, atténue à peine l’austérité monacale de ce réduit que j’ai tout le temps de détailler, depuis l’heure que j’y patiente.

En fait, ça fait un an que j’attends. Un an que j’essaie d’entrer en prison pour la raconter de l’intérieur, à travers les yeux d’un détenu. La taule, dans l’imaginaire, est un lieu dont on cherche à s’évader. Y pénétrer est également difficile : des mois de démarches avec les directions d’établissement et avec l’administration auront été nécessaires.

Jusqu’à ce jour de mars 2019 : il a fallu mener une dernière négociation à l’entrée, vider ses poches, laisser le téléphone dans un casier, franchir un détecteur de métaux, quatre portes dont deux blindées, une dernière grille, toutes gardées par un agent, jusqu’à ce couloir vétuste où s’alignent les parloirs des avocats. Un monde d’obstacles, où chaque étape dépend d’un tour de clé, où le temps s’étire d’autant plus qu’on n’a pas de téléphone pour le tuer. Attendre.

Strip-tease

Beh-Beh finit par se poser devant moi, dos bien calé sur la chaise. Sur ses gardes. « C’est vous, le journaliste ? On …

Lire, en toute liberté

Cet article semble vous intéresser. Vous pouvez lire la suite à votre aise : c’est un cadeau. Il suffit de cliquer sur le bouton blanc, ci-dessous.

Nos contenus doivent être accessibles au plus grand nombre. La période découverte (bouton jaune) vous donne gratuitement accès à l’ensemble de nos articles durant 15 jours, sans engagement.

Ensuite, si vous estimez que notre travail journalistique indépendant (vous) est utile, vous pourrez toujours nous apporter votre soutien en vous abonnant. Merci

Un journalisme exigeant peut améliorer notre société. Voulez‑vous rejoindre notre projet ?

La communauté Médor, c’est déjà 3598 abonnés et 2099 coopérateurs

Médor ne vous traque pas à travers ses cookies. Il n’en utilise que 3 maximum pour la sécurité et la navigation.
En savoir plus