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Entre partage de paroles et… de localisation
Parents et GSM : bienveillance sous contrôle
Illustration (CC BY-NC-ND) : Sarah Fabre
Texte (CC BY-NC-ND) : Olivier Bailly & Chloé Andries
Publié le
En remplissant notre questionnaire, des parents ont accepté qu’on les rappelle (merci !). On a sauté sur l’occasion. Voici deux paroles de parents. Deux femmes (7 répondants sur 10 étaient des répondantes) qui ont une fille. Elles veillent et dialoguent. Elles tentent de contrôler. Sans culpabiliser. Pas facile.
« Il faudra bien que je lâche du lest. »
Sophie
Sophie (48 ans) arrive à payer ses factures et à se faire plaisir de temps à autre. Elle a prévenu sa fille des risques des réseaux sociaux. Elle est bien consciente des risques mais de là à lire les conditions d’utilisation avant d’installer une appli, faut pas exagérer.
« Ma fille a 13 ans. Le téléphone est avant tout un moyen de communication entre nous. Je suis séparée de son père et c’est la possibilité de pouvoir directement rentrer en contact avec elle. Mais c’est vite devenu un problème de gestion de temps.
Le soir, nous mettons les téléphones sur le palier, ils doivent rester hors de la chambre mais l’adulte doit jouer le jeu et ce n’est pas toujours facile parce qu’on est bien accro aussi ! Et elle met en avant nos incohérences. Elle rappelle les règles. Comme je suis aussi sur mon téléphone, il y a une question de réciprocité. Je dois aussi respecter la restriction. Elle peut prendre mon téléphone, je peux prendre le sien mais on demande.
On discute beaucoup de l’usage du téléphone. Elle culpabilise. Je lui explique que ce n’est pas facile d’avoir de bonnes habitudes numériques. A sa décharge, tout est fait pour la rendre accro aux réseaux sociaux (RS). Je vois ces discussions comme un accompagnement dans l’apprentissage.
Taillé sur mesure
Elle installe les jeux ou les RS elle-même et je reçois la notification (grâce à un outil de contrôle parental, NDLR). Je lis le titre de l’appli et sur cette base, je cerne ce dont il s’agit. Par exemple elle a téléchargé une app’sur le stylisme. Le but est de choisir les vêtements de personnes qui vont à une soirée. Je lui ai demandé si elle avait du plaisir à le faire et quelles intentions il y avait derrière cette app’? Je lui expliqué que ce type de jeu est une manière de l’habituer, la préparer à la consommation, la mode. (Y’a pas que les app’qui sont genrées, les réseaux aussi, comme le souligne la sociologue Laura Merla !). On en a discuté, on a parlé de la mode, d’envie de coudre. Maintenant qu’elle connaissait l’intention, je n’ai pas enlevé l’application et… elle l’a retirée au final.
Je travaille aussi sur la restriction du temps (2h30 max par jour). Mais elle me dit qu’elle parvient à la contourner. Elle arrive à déverrouiller les restrictions. Je ne me m’obstine pas. C’est l’occasion d’une conversation avec elle. Samedi dernier ? ? ?, elle a fait 7h30 d’écran ! Je sais voir le détail. Elle a joué, été sur les RS, parfois elle fait ses devoirs. Elle passe par YouTube aussi. C’est compliqué.
Avant, on avait un truc qui s’appelait les « CD ». On pouvait écouter de la musique pendant des heures. Maintenant, tout passe par le smartphone, même l’écoute de la musique. Cela devient difficile à gérer. On ne sait pas tout contrôler.
Immédiateté, compliquée à gérer
Parfois, je regarde ce qu’elle fait chez son père. Elle y a moins d’activités. J’avoue que cela peut être intrusif. Quand je remarque qu’elle est trop sur son téléphone, de toute façons, je lui en parle. Je lui dis ’glande, rêve’. C’est encore gérable à son âge. Quand je lui demande son téléphone, elle me le donne. Je n’ai pas l’historique. Je n’ai peut-être pas bien paramétré l’application de contrôle mais il y a des limites par rapport à la confiance. Il faut aussi la rendre responsable.
Le contrôle, cela prend quelques secondes, mais cela devient aussi un réflexe de la vie de tous les jours. Je localise son téléphone visuellement. Si elle va 10’aux toilettes, je regarde si elle l’a pris. (ceci dit, les ados aussi contrôlent leurs parents).
J’essaie de gérer, je lui retire le téléphone deux heures pour qu’elle fasse autre chose, découvre des différents rythmes, puis je lui rends et elle peut aller à fond sur l’écran si elle veut. La notion d’immédiateté est compliquée à gérer.
Jamais de mauvaises blagues
Maintenant elle fait du basket, deux entrainements et un match. C’est précieux. Des cours particuliers de néerlandais et… de français. Elle lit beaucoup aussi. Je n’ai jamais utilisé la géolocalisation. Elle sait que c’est possible et le compromis, c’est qu’elle rentre directement. Bon, si elle se prend une gaufre sur le chemin ou traine un peu, elle me prévient.
La notion de confiance est essentielle. FamilyLink est terminé à 13 ans ! Bon, on a convenu qu’on le faisait encore cette année mais elle a caché l’icône de l’app’sur son écran pour que ses copines ne la voient pas. De toute façon, il faudra bien que je lâche du lest. J’applique la communication. On vise les bonnes habitudes. On mange ensemble, les soupers, les activités, c’est sans écran. Des attitudes sont déjà installées.
Cela m’est arrivé deux ou trois fois de regarder dans son téléphone. J’étais inquiète. J’avais un doute sur quelque chose. Je voulais lire le dernier message avec une personne précise. J’en ai discuté avec elle. Le mot confiance est tout de suite sorti. « Tu ne me fais pas confiance, je ne suis pas débile. » Elle s’est sentie trahie. Je lui ai dit mes émotions. J’ai reconnu être dans le contrôle.
Pourtant, c’est vrai. Je n’ai jamais eu de mauvaises blagues avec elle, des dépenses sur internet, ou des trucs comme ça… »
Découvrez la série de quatre épisodes de la famille Rienacacher, dont l’histoire est basée sur les réponses du questionnaire "téléphone en famille"