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J’ai 25 ans, je suis très bien entourée, j’ai une famille présente et de nombreux amis. La grossesse était un accident. Ni moi ni l’autre personne concernée ne voulions l’enfant à ce moment-là. Ce qui n’empêche que c’est quelque chose qui comptait énormément pour moi. J’avais envie de cet enfant. Soit, tout ça pour dire que c’est avec cette tension intérieure que je me suis rendue au planning familial, 2 jours après les résultats de mes deux tests de grossesses. Le père (appelons le Y) n’était pas en Belgique à ce moment-là. Il était néanmoins clair que lui n’en voulait pas. Et moi ? Je n’en savais rien ; des enfants, j’en voulais, et beaucoup. Me voilà donc dans la salle d’attente, en pleurs. Je me souviens avoir dû attendre pour avoir un rendez-vous et avoir dû revenir dans la journée pour mon premier rendez-vous. Le médecin qui devait me recevoir avait plus d’une heure de retard, j’ai pleuré pendant une heure dans la salle d’attente. J’ai ensuite été reçue, j’ai expliqué que je ne savais pas, que j’étais perdue, que je ne m’y attendais pas… et que j’avais surtout besoin de parler avec la personne avec qui je devais prendre la décision. Le médecin qui m’a reçu la première fois n’était pas habilité à dater une grossesse, il a dû appeler une de ses collègues. Suite à cette entrevue, j’ai eu 3 semaines de congé et l’on a fixé un rendez-vous « pré », comme ils dénomment cela, pour entrer dans la procédure : frottis, rendez-vous avec la psychologue du planning, etc. Il me semblait évident qu’avant que je n’aille rejoindre Y, je ne savais pas quoi faire. Le garder ? Oui, j’y ai beaucoup songé, au début. Mais au fur et à mesure que le temps passait, je ne savais plus. Il m’était impossible de décider. Je suis donc partie pendant 2 semaines, rejoindre Y et en discuter avec lui. Au cours de ce séjour, nous avons pris la décision de ne pas le garder. De là ou nous étions, nous avons téléphoné pour prendre le rendez-vous pour l’avortement. Il devait avoir lieu un mardi, le lundi nous avions rendez-vous pour la « pré » médication. Personne ne nous a re-posé la question concernant la certitude de notre choix, on ne m’a pas proposé un autre rendez vous avec la psychologue, vu que j’avais déjà été reçue au cours de la procédure « obligatoire ». Après cette mise en contexte, je voudrais revenir sur le fait que pour moi on ne peut pas laisser quelqu’un qui hésite sans suivi. Même si en effet j’étais bien entourée. Même si j’étais soutenue, ça n’a pas été facile. Je ne me suis jamais sentie aussi seule, aussi malheureuse. Je pense qu’on a tendance à négliger l’importance de parler avec quelqu’un d’extérieur à la situation ?, quelqu’un de professionnel. Après l’avortement, je n’ai pas réussi à prendre appui sur les personnes de mon entourage qui étaient là pour moi. Même s’ils ont été très importants. J’avais quand même le sentiment d’être seule et incomprise. Qui connaît le sentiment de perdre quelque chose qui fait partie de nous à ce point ? L’horreur de se faire aspirer un « enfant » de l’utérus, la violence de l’acte ? J’ai longtemps regretté mon choix, des mois durant, je n’arrivais pas à faire le deuil. Et je me sentais tellement mal que j’avais l’impression que si je l’avais gardé, j’aurais été mieux. Plusieurs personnes m’ont dit que je me sentirais soulagée après, que c’était souvent le sentiment qu’on avait. Je n’ai jamais rencontré ce sentiment, je ne me suis jamais sentie soulagée et je ne le suis toujours pas. Je travaille dans le social, ce qui implique, pour moi, de donner énormément de soi-même aux autres. Mais je n’en n’étais plus capable. Lors du rendez-vous de contrôle deux semaines après, je l’ai exprimé au médecin du planning, je pleurais et je disais que je regrettais, que j’étais épuisée émotionnellement. Je n’arrivais plus à travailler correctement, je travaille avec des enfants, je n’avais plus aucune patience. Ce médecin m’a répondu que je devais faire mon deuil. Et que je pouvais également prendre rendez-vous avec la psychologue du centre. Je n’ai pas pu descendre à l’accueil et demander ce rendez-vous. Pourquoi ? Je ne peux l’expliquer. Peut-être que j’estimais que çe n’était pas ce dont j’avais besoin. Je me souviens avoir eu le sentiment de juste vouloir me reposer, j’étais au bout de mes forces. Une des choses qui m’a le plus marqué dans ce rendez vous post-IVG c’est la réflexion du médecin qui, lors de l’échographie, m’a dit fièrement que « y avait plus rien ». Ça a été très dur pour moi de l’entendre, je nourrissais peut-être l’espoir qu’il y ait encore « quelque chose ». Je me suis demandée si on pouvait être à ce point là insensible à la détresse de quelqu’un que pour dire quelque chose comme ça. Je ne veux pas dramatiser les choses, je pense que chaque personne le vit différemment. Mais pour moi les conséquences ont été importantes. Je ne suis jamais retournée travailler, je ne dormais plus la nuit, j’ai dû prendre des somnifères et des calmants importants car l’angoisse m’habitait. Je n’ai jamais eu de crise d’angoisse auparavant. Je ne pouvais plus dormir seule. Je me souviens très bien du sentiment de me sentir « à côté de moi-même ». Je n’avais plus l’impression d’être moi. Alors que je suis plutôt de tempérament souriante et positive et je n’arrivais plus à retrouver ces côtés-là de moi. J’ai été suivie de très près par mon médecin généraliste et par une psychologue que je voyais toutes les semaines et qui m’a énormément aidé à surmonter cette épreuve. Malgré ça, il y a des jours où je me sens au bord du gouffre. Même s’ils sont de plus en plus rares. La question du futur me taraude régulièrement, j’ai l’impression que je ne pourrai plus jamais supporter une grossesse. Pour le moment, je ne m’en sens psychologiquement pas capable. Et j’ai l’impression d’avoir perdu l’occasion, la chance. L’impression de ne plus avoir le droit, d’avoir bousillé la seule chance que j’avais. Je n’arrive plus à m’imaginer plus tard avec des enfants. Je me vois seule. Avant c’était un de mes rêves les plus chers. Et maintenant ? Quel travail je vais devoir fournir pour me retrouver la confiance en moi ? Les deux premières semaines qui ont suivi l’IVG j’ai essayé d’écouter les paroles rassurantes du médecin : « ce n’est pas grave, pleins de femmes le font et le vivent bien » je pense que c’est vrai pour certaines femmes j’en suis sure. Je peux dire maintenant que moi je ne l’ai pas bien vécu. Et je pense qu’il y a un dysfonctionnement dans le suivi post-IVG. J’ai le sentiment de ne pas avoir été écoutée ni comprise par des professionnels qui, j’estime, auraient dû entendre ou du moins voir ma détresse et proposer un meilleur accompagnement. Le but de cette lettre n’est pas de stigmatiser un planning ou un autre mais plutôt de pousser à poursuivre la réflexion sur un sujet où les femmes resteront plus à risque d’être blessées dans ce type d’aventure.

Mon avortement, si violent

Si vous avez été victime de violence(s) lors de votre IVG, à travers des mots ou des actes du personnel soignant, n’hésitez pas à livrer votre témoignage. La parole libérée contribue à ce que de tels agissements ne se reproduisent plus.

Ce mur de témoignages fait écho à notre article "Un avortement, deux claques", paru dans le numéro 23, en juin 2021.

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