Vesdre : Vers une région laboratoire

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Un naturaliste du Pays de Herve se désole : il a l’impression que les constructions continuent, comme avant les inondations. Les idées qu’il nourrit au sein de Natagora, les urbanistes du Schéma stratégique de la Vesdre les partagent aussi. Alors, on fait comment pour la suite ?

Quand il ne se passionne pas pour les avantages du miel dans les soins vétérinaires, Jean-Philippe Demonty se promène dans les paysages du Pays de Herve. Récemment, le vétérinaire et coordinateur de la section locale de Natagora a vu un panneau qui ne lui a pas trop plu.

« Là, vous voyez une prairie et la Berwinne qui coule dans le fond de l’image. Avec un bel alignement de peupliers. On est à Dalhem. Un promoteur veut bâtir sept maisons là-dessus. Mais en 2021, cette prairie-là, elle était complètement sous eau. Comment peut-on encore faire ça ? »

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Un projet de lotissements de 7 maisons. Derrière coule une rivière.
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Ce n’est pas le seul panneau de projet immobilier que Demonty a remarqué ces derniers mois. Un autre à Herve, juste au sud de l’autoroute E40, va sacrifier des belles prairies. Idem du côté de Henri-Chapelle. Une bonne vieille quatre-façades va « privatiser le paysage », comme le dit le vétérinaire, en bord de nationale à Thimister. Sans parler du dossier de la Zone d’aménagement communal concerté (ZACC) de Herve-Bolland. Ce zoning pour entreprises sur un site de 80 hectares est au coeur d’un bras-de-fer entre la commune et des opposants. Le projet se situe sur une ligne de crête côté bassin versant de la Meuse, mais juste à côté de celui de la Vesdre. « Il sera construit sur des prairies plates, c’est-à-dire qui peuvent absorber un maximum d’eau. En plus, ces prairies sont permanentes et constituent des puits de carbone. Est-ce vraiment la bonne idée ? », demande, de façon rhétorique, Jean-Philippe Demonty.

En faire plus

Lui et les autres membres de la section Pays de Herve de Natagora, l’association de protection de l’environnement, se grattent le crâne. Est-ce que les choses ont vraiment changé depuis le 14 juillet 2021 ? Un œil sur un graphique qu’il a préparé pour nous, issu des statistiques officielles wallonnes, nourrit le doute. Jusqu’au 1er janvier 2022, l’artificialisation des sols a grimpé de façon régulière durant vingt ans dans les communes du Pays de Herve. « Bien sûr, on n’a pas les chiffres de 2023, mais la tendance est là. Au niveau qualitatif, on est loin des recommandations du Schéma stratégique pour le bassin de la Vesdre. On construit encore en zone humide, d’ailleurs. »

L’échevin de l’Urbanisme de Herve, Bernard Allelyn, n’apprécie pas trop qu’on dise que sa commune serait « bétonnée ». « Quand vous regardez sur Google, le Pays de Herve, il est vert avant tout. Si on a construit des zonings dans les années 70, c’était aussi pour offrir de l’activité économique lors de la fermeture des charbonnages. L’urbanisation d’alors peut sembler incohérente en 2023, mais elle avait ses raisons à l’époque. » C’est vrai : la commune fait des efforts pour améliorer la gestion du ruissellement des eaux. Natagora collabore d’ailleurs avec elle pour replanter des haies. Mais des citoyens comme Jean-Philippe Demonty en attendent davantage.

Le vétérinaire fourmille d’idées pour sa région. Les bénévoles de Natagora gèrent déjà une réserve naturelle près de Plombières et une autre zone protégée à côté de l’abbaye de Val-Dieu. Il aimerait que 5 % du Pays de Herve soit en territoires protégés ou en réserves naturelles. « On en est loin », rappelle-t-il. 1,6 % du territoire wallon est sous protection actuellement. Il suggère aussi, comme le font les hydrologues, de repeupler la ripisylve. Il s’agit de la zone boisée au bord des cours d’eau. Y remettre des feuillus, comme cela a été fait à certains endroits des Fagnes, par exemple, permet de retenir l’eau.

Demonty se demande même pourquoi le castor, ce formidable créateur de zones humides, semble tellement exclu de l’équation des eaux en Wallonie. « On en parle que quand on en retrouve un tristement pendu à un panneau routier, mais les pays voisins l’ont déjà intégré dans la gestion du territoire. Créer des zones humides, où l’eau peut avoir de la place, c’est pourtant son cœur de métier. Et le castor est présent dans la région. »

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Prairies et maisons en quatre façades façonnent les paysages du pays de Herve.

Zéro urgence démographique

Durant la confection du masterplan, les urbanistes du Studio Viganò et de l’Université de Liège ont multiplié les rencontres citoyennes. Ils ont demandé aux habitants de placer, sur la carte de leur commune ou du bassin versant, des points d’attention. Très souvent, les participants (pas toujours très nombreux) indiquaient des projets de lotissements controversés, rognant sur des espaces restés verts. Beaucoup auraient partagé les vues de Jean-Philippe Demonty.

Une tension agite les communes des plateaux du bassin versant. Permettre des lotissements, on le sait, c’est accueillir plus de ménages sur la commune, et donc augmenter les recettes fiscales. La logique de la croissance démographique reste présente dans la gestion du territoire. Mais c’est aussi risquer de laisser le béton sur sa courbe ascendante. « Ce n’est pas une fatalité, pour Jean-Philippe Demonty. Herve a aussi su prouver, en réaménageant une école en logements, que ré-urbaniser ce qui est déjà construit est possible. » Comme pour les forestiers à Jalhay, le territoire et ses risques vont pousser les architectes, les promoteurs immobiliers et le monde du bâtiment, qui pèse son poids dans la région, à adapter leurs méthodes. Leurs idées. Leur relation avec le territoire. Enfin, ce sera le cas si l’échelon politique mène la marche.

Il n’y a pas d’urgence à construire dans le bassin-versant de la Vesdre. La croissance de la population devrait se limiter à un peu plus de 6 000 nouveaux habitants d’ici 2035. En déterminant les lieux « judicieusement situés » pour construire en fonction, par exemple, des aléas d’inondations ou des zones de captage d’eau, il reste aujourd’hui 631 hectares disponibles dans le bassin-versant. Selon les urbanistes qui ont rédigé le masterplan, on peut donc bâtir 19 000 logements. Il y a de quoi faire, surtout si l’accent est mis sur la rénovation au centre des villages. « Chaque parcelle devra gérer ses eaux même celles construites avant la mise en place du Code de l’eau », rappelle par ailleurs Etienne Schillers, architecte et chef de projet pour le schéma stratégique de la Vesdre.

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À Xhendelesse, près d’une route à risque, quelques jours avant une "Moule Party".

Vivre en constellations

Face aux risques climatiques, les urbanistes ont proposé des scénarios pour l’avenir de la vallée. Celui qui a le plus séduit les citoyens, jusqu’à se tailler une belle place dans la proposition finale, c’est celui des « Constellations ». Le terme est aussi poétique qu’il semble théorique. Que veulent donc dire les urbanistes ?

Les Constellations tissent un récit sur la manière dont le territoire de la Vesdre s’est constitué, au fil du temps. Il n’y a pas de centre évident par ici. Verviers, ville lainière parmi les plus riches du monde au 19ème siècle, a perdu de sa superbe. Les activités économiques se sont multipliées à sa périphérie. L’ouest de la rivière, à la confluence avec l’Ourthe, du côté de Chênée, est attirée par Liège. Eupen a sa propre dynamique économique et sociale. Theux est en plein essor mais ne propose pas tous les services à ses citoyens. Jalhay a son tourisme et ses terres rurales. Pepinster, un petit centre qui cherche à se retaper après 2021.

Les Constellations conçues par les urbanistes sont des « nouvelles formes d’organisation territoriale ». Entre les communes qui ne peuvent répondre à tous les défis et la Région wallonne, parfois loin des enjeux, où les décisions prennent du temps. L’échelle n’est pas politique mais basée sur les sous-bassins versants formés par les affluents de la Vesdre. C’est par là que s’exercerait une partie de la « solidarité territoriale » prônée par les urbanistes. Jalhay, Theux, Pepinster, Spa, par exemple, pourraient travailler ensemble pour mettre en place les aménagements nécessaires sur la Hoegne et le Wayai, par exemple. Mais il ne s’agit pas que de traiter l’eau. Il faudrait développer la mobilité douce, revenir à plus de transport en commun, renforcer les paysages et une agriculture locale et diversifiée.

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Les constellations seront des regroupements d’entités organisées autour des sous-bassins de la vallée de la Vesdre (d’après les cartes du StudioPaolaViganò).

Freiner la concurrence

« Les communes ont adhéré à ce scénario car elles y voient la possibilité de rééquilibrer l’organisation du territoire en le régénérant », explique Etienne Schillers. Donc en partant de leurs forces et de ce qui est déjà là, au niveau du bâti mais aussi de la nature à préserver. Les Constellations s’inspirent d’initiatives déjà en place, dont le réseau alimentaire citoyen Ratav, très actif dans la région. Ou bien encore du Groupe d’action locale du pays de Herve, qui mêle des partenaires publics (49 % de l’asbl) et privés pour défendre l’agriculture et les entreprises locales, mais pense aussi à la préservation du territoire.

Etienne Schillers y voit un autre avantage. La solidarité et la collaboration entre communes pour aller vers cette transition dans les sous-bassins versants «  peut créer de nouvelles échelles de gouvernance  », juste au-dessus des communes. Actuellement, «  on assiste à une mise en concurrence des communes, notamment dans les appels à projets proposés par les différents ministères wallons. En sachant qu’elles n’ont pas toutes les mêmes ressources pour répondre à ces appels.  » Selon l’architecte, collaborer entre communes pour obtenir les enveloppes que la région va dédier à la transition permettra une alternative à la mise en concurrence.

Vers un laboratoire de la Vesdre

Prometteur. Mais en pratique, on démarre par où ? On a demandé au ministre libéral wallon Willy Borsus, en charge de l’Aménagement du territoire, quels budgets étaient prévus pour la suite. Il déclare que « des montants conséquents ont déjà été débloqués pour financer les acquisitions et démolitions (202 millions €) » de maisons dans la vallée (voir notre article de juillet à ce sujet). La Région wallonne indique qu’elle va encore consacrer 350 millions d’euros d’ici fin 2026 à « des aménagements résilients » des cours d’eau, en majorité dans le bassin de la Vesdre. L’étude hydrologique et hydraulique qui doit les piloter est attendue pour mars 2024. Ces aménagements seront directement inspirés des travaux du schéma Vesdre, promet-on. Mais quant à la mise en place de la vision territoriale défendue par le masterplan, la Région est plus floue. Et les élections approchent à grand pas.

Fin juin 2023, nous avions demandé à Paola Viganò par où elle conseillait de démarrer. Elle avait pointé l’idée du laboratoire de la Vesdre. Les urbanistes aimeraient passer la main aux acteurs locaux (communes, société civile, notamment) mais en gardant la vision qu’ils ont développée pour la vallée. Qui doit être « au centre de toutes les réflexions », précise Étienne Schillers. Le laboratoire aura pour objectif de lancer la transition dans le bassin versant, avec, espèrent les urbanistes, du financement de la Région wallonne. Celle-ci tarde à se positionner. Pendant ce temps, dans le fond de la vallée, il devient urgent de soigner les eaux de la Vesdre.

Rendez-vous au prochain et dernier épisode. Entre un collecteur bouché et des stations d’épuration qui n’épurent plus.

Mise à jour : cet article a été mis à jour le 7 novembre 2023 pour préciser que 1,6 % du territoire wallon est sous protection et que 5 % de protection constitue l’objectif de Jean-Philippe Demonty (Natagora) pour le Pays Herve (et non pas 5 % de terres déjà protégées).

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  1. Une prairie permanente est destinée à la pâture ou au fourrage - et non pas à la rotation des cultures - durant cinq ans au moins (selon la définition de la Politique agricole commune).

  2. Fin novembre, un jugement sera rendu au tribunal correctionnel de Neufchâteau pour deux personnes suspectées d’avoir tué ce castor.

  3. Depuis 2017, le Code wallon de l’eau impose de gérer les eaux de pluies à la parcelle, notamment en mettant en place des mesures pour favoriser son infiltration et éviter le tout à l’égout.

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