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Thérèse Atango : infirmière de nuit, elle a voulu soigner jusqu’au bout

Portrait des soignant·e·s victimes du Covid

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Médor documente la vie et le travail des soignants belges. Chaque semaine, durant l’été, nous publierons de nouveaux portraits de ceux d’entre eux qui ont succombé au Covid-19. Aujourd’hui, Thérèse Atango Okapenge, une infirmière de nuit qui a voulu aller jusqu’au bout.


Métier :
Infirmière de nuit

Passion : Cuisine (africaine - européenne)

Lieu de travail : Site Etterbeek-Ixelles des Hôpitaux Iris-Sud.

Jour du décès : 21 juin 2020

Âge : 47 ans

Le 20 mai dernier, Thérèse Atango est partie travailler en unité Covid alors qu’elle ne se sentait pas très bien. Elle avait dit à ses parents qu’elle était très fatiguée. Mais elle avait les soins de santé dans la peau. Sa fille lui a demandé : « Maman, pourquoi tu pars travailler dans cet état ? » Thérèse a répondu, simplement : « Parce que les autres ont besoin de moi. »

« Elle n’aimait pas l’idée de déranger le planning en s’absentant », explique sa demi-sœur Sylvie.

Thérèse, née à Kinshasa et arrivée en Belgique à 8 ans, a fait des études de marketing, avant de se rendre compte que ça ne lui plaisait pas. À 32 ans, « voulant avoir un impact pour les gens », elle reprend des études d’infirmière. Sylvie, elle-même médecin, n’a pas été étonnée par ce choix : « Elle a toujours voulu prendre soin des autres. Nous avons le même papa et Thérèse s’est occupée de moi et de mon jumeau durant toute notre enfance. »

Depuis cinq ans, elle travaillait dans cet hôpital, d’abord comme intérimaire et puis à 3/4 temps au service T31 de cardiologie et pneumologie. En service de nuit, c’est un boulot un « peu spécial », comme le dit son infirmière-cheffe, Patricia Blondelet, « où l’on voit moins les collègues, car on est seul dans l’aile, et où on repart tôt le matin. » Thérèse rentrait à la maison, yeux plissés, pour s’assurer qu’il ne manquait rien dans les sacs de ses trois enfants, aujourd’hui âgés de 17, 15 et 13 ans.

« Je n’ai jamais eu à relever une remarque négative d’une collègue sur elle. Elle avait toujours un mot gentil pour tout le monde. C’est quelqu’un qui était sans cesse occupée. Vivante, sociable. Son téléphone sonnait toutes les trois secondes avec un message. »

Soigner dans une bulle

À sa demie-sœur, Thérèse demande des conseils, raconte son métier, sans cesse. Elle peut parler de ses actes de soin durant des heures. « Elle se tracassait pour savoir pourquoi elle avait du s’y reprendre pour poser une perfusion, me demandait des explications pour mieux comprendre les directives des médecins. »

Dans la famille élargie, s’il fallait quelqu’un pour faire un buffet lors d’un évènement, c’était Thérèse qu’on appelait en premier. Elle maniait aussi bien les recettes congolaises que les plats européens. Elle était aussi très impliquée dans son église évangélique.

Quand le Covid-19 est arrivé en Belgique, « Thérèse a vécu la situation un peu comme nous toutes, explique Patricia Blondelet. Avec l’impression de rentrer dans une bulle. » C’est dans un autre site des hôpitaux Iris-Sud, Molière Longchamp, que la première victime belge du Covid-19 est décédée. «  L’hôpital a été réorganisé très vite. Au début, on s’est dit : ‘ah, ce n’est que ça’, puis tout s’est accéléré. Tout le monde ici a avancé sans savoir réellement ce que nous réservait cette maladie inconnue. On a encaissé le choc. » Le service de nuit est passé d’une à trois infirmières.

« Cardio-pneumo », c’est, déjà en temps normal, un service « très lourd moralement et physiquement », où la confrontation à la mort des patients est permanente, explique l’infirmière-cheffe. « Nous n’avons jamais manqué de matériel de protection, même si parfois nous avons été déboussolées par les fluctuations au niveau des recommandations de protection émanant du fédéral. Le Covid a surtout amené une tension psychologique supplémentaire, avec une relation aux proches des patients très différente, à distance, via des appels par tablettes qu’on tenait pour eux une fois par jour. »

Le 20 mai, donc, malgré les conseils de ses proches qui lui disait de « lever le pied », Thérèse s’est rendue, après avoir pris quelques jours de récupération, dans son aile Covid. Au fur et à mesure du service, elle a eu de plus en plus de mal à respirer. « Elle voulait continuer, mais à un moment, ses collègues lui ont dit que ça n’allait plus, qu’elle ne tenait presque plus debout. » À 4 heures du matin, elle est partie se faire tester. Positive. En fin de journée, elle partait aux soins intensifs. Elle y est restée un mois.

Sur le site hospitalier, un appui psychologique a été mis en place durant tout le Covid. « Quand Thérèse a été intubée, rappelle Patricia Blondelet, un psychiatre est venu un dimanche pour discuter avec l’équipe, amortir l’angoisse. »

Pour l’infirmière en chef, Thérèse n’a « jamais eu peur de la maladie, elle a toujours voulu rester avec nous ». Juste avant qu’elle soit intubée, elle a pu parler une dernière fois, par tablette interposée, à se demi-sœur, qui entendit à peine sa voix. Thérèse a été soignée et veillée jusqu’à la fin par les collègues qui partageaient sa vie d’infirmière.

Pour en savoir plus sur notre démarche d’hommage aux soignant.e.s victimes du coronavirus, par ici.

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