4min

Marie-Madeleine Mpembe : « Philosophe, mais surmenée »

marie-madeleine-mpembe.jpg
Famille Mpembe.

Médor documente la vie et le travail des soignants belges. Chaque semaine, durant l’été, nous publierons de nouveaux portraits de ceux d’entre eux qui ont succombé au Covid-19. Aujourd’hui, Marie-Madeleine Mpembe Olongo, une religieuse congolaise qui, fuyant la guerre, est devenue aide-soignante en maison de repos et cumulait deux mi-temps.

Métier  : aide-soignante en maison de repos
Lieux de travail  : le Val des Roses (à Forest) et la Résidence Jean Van AA (à Ixelles) Jour du décès  : 8 avril 2020
Âge  : 56 ans
Passion  : la couture

Joseph Oyombo est le dernier collègue à avoir côtoyé Marie-Madeleine Mpembe Olongo, avant qu’elle ne tombe malade. Leur ultime nuit de garde, à la fin du mois de mars, fût à l’image de nombreuses autres : drôle. Le duo aimait se charrier, se taquiner, rire.

«  Cette nuit-là, je passais devant l’infirmerie lorsque j’ai entendu des pleurs d’enfant. Étrange, pour une maison de repos… Je suis entré dans la pièce et j’ai lancé en rigolant à Marie-Madeleine : “Mais qui amène un enfant au Val des Roses en pleine nuit ?” Son téléphone portable était devant elle, sur haut-parleur. Elle berçait, depuis Forest, son neveu ou sa nièce qui se trouvait à Denderleeuw. Je suis retourné travailler en rigolant… Et je pense qu’elle est parvenue à endormir le bébé. »

Marie-Madeleine était «  un pilier pour sa famille », précise Joseph Oyombo. Elle téléphonait quotidiennement à sa soeur Ornella, jusqu’à dix fois par jour, pour tout ou trois fois rien, parfois simplement pour le plaisir de s’écouter. Aînée d’un clan de huit, originaire de Lotoko en République démocratique du Congo, Marie-Madeleine veillait sur ses soeurs, ses frères, ses cousins et tous leurs enfants - qu’elles et ils vivent en Belgique, en RDC ou au Canada.

Religieuse en RDC, aide-soignante en Belgique

Elle était mère, dans tous les sens du terme. Mère de ses quatre enfants. Mère pour ses soeurs et frères depuis le décès de leurs parents, et dès lors surnommée « mami » par ses nièces et neveux.

Elle fut également la mère supérieure d’une communauté catholique au Congo (la congrégation des soeurs servantes de l’Eglise du Christ) jusqu’à la fin des années 1990, lorsqu’un groupe armé s’en prit violemment aux religieuses, Marie-Madeleine y compris. Elle quitta alors la RDC pour la Belgique, en 2000. Son diplôme congolais d’infirmière n’étant pas reconnu ici, elle décrocha divers emplois en milieu hospitalier, mais comme aide-soignante (assister le personnel infirmier, effectuer des tâches d’hygiène, distribuer les repas…).

« Je ne l’ai jamais entendue se fâcher », indique Joseph Oyombo. «  Elle n’avait de problème avec quiconque », estime Lambert Oyongo, le frère de Marie-Madeleine,. «  Elle prenait la vie avec philosophie, malgré le poids du travail », reprend son collègue. Famille et amis recourent aux mêmes qualificatifs pour la décrire : «  douce », «  conciliante », «  humble », «  calme ».

Marie-Madeleine Mpembe Olongo ne travaillait pas uniquement dans l’unité de soins pour personnes désorientées du Val des Roses, la maison de repos gérée par le CPAS de Forest. Elle cumulait un second mi-temps à la Résidence Jean Van AA d’Ixelles, également comme aide-soignante. Vu ces deux emplois et le contexte COVID-19, elle a travaillé plus que d’ordinaire en mars, témoigne une personne proche : «  On lui a demandé de faire des remplacements et elle n’a pas voulu refuser. En mars, elle travaillait tous les jours. »

Huit jours à l’hôpital

Le 31 mars, de retour à Charleroi après le travail, Marie-Madeleine commence à tousser et à se sentir courbaturée. À cette période, se souvient son frère, deux voire trois résident.e.s d’Ixelles ou de Forest étaient déjà décédé.e.s du Coronavirus.

Le lendemain, Marie-Madeleine contacte un médecin généraliste, qui l’envoie se faire tester à l’hôpital civil Marie Curie de Lodelinsart. Ne trouvant pas de taxi pour l’y emmener, elle prend les transports en commun. Ses proches sont persuadés qu’ils la reverront presque aussitôt, une fois le test effectué. Mais il est positif. Et Marie-Madeleine ne sortira plus de l’hôpital.

Ornella et Lambert sont les seuls membres de la famille à être entrés dans la chambre occupée par Marie-Madeleine aux soins intensifs. Elle y est maintenue dans un coma artificiel. Le 8 avril, Lambert Oyongo, lui-même médecin, accompagne sa grande soeur - sa binôme, celle qui écoutait ses secrets et lui partageait les siens – «  jusqu’à ce qu’elle rende l’âme ». S’en suivra, le 11 avril, une petite cérémonie funéraire, bien loin des rassemblements d’envergure chéris par la communauté congolaise.

Les deux CPAS, Ixelles et Forest, communiquent rapidement le décès de leur employée, en interne et/ou vers l’extérieur. Un portrait de Marie-Madeleine Mpembe Olongo, entouré de fleurs, restera plusieurs jours à l’entrée de la Résidence Jean Van AA. Du côté du home de Forest, plusieurs messages circulent publiquement, parmi lesquels un texte à tendance poétique signé par le directeur de la maison de repos. En voici un extrait :

«  Aujourd’hui le Val des Roses n’est plus le même.

(…)
Demain nous continuerons votre travail sur le terrain.

Demain nous affronterons l’invisible.

Demain nous avançons ensemble.

Demain nous allons vaincre… en votre mémoire. »

« Un appel à des mesures d’urgence »

En parallèle, Nicolas Lonfils, président du CPAS de Forest, et Gert De Ceukelaire, secrétaire général, s’adressent à l’ensemble du personnel du Val des Roses : «  Nous voulons vous exprimer notre immense reconnaissance pour le travail accompli dans des conditions extrêmement difficiles pour toute la communauté du Val des Roses. »

Une semaine auparavant, le 3 avril, une précédente communication partagée sur le blog du Val des Roses, indiquait ceci : «  Nous nous trouvons dans une situation particulière et pas facile… tant pour vous, que pour notre équipe qui travaille au sein de notre Maison de Vie. Suite aux mesures d’enfin tester les résidents ET les travailleurs en maison de repos, actuellement 4 résidents ont été testés positifs. » Ce chiffre ne tenait alors pas compte du cas de Marie-Madeleine, déjà hospitalisée à Charleroi.

Chegdani Hassan, président du CPAS d’Ixelles, précise de son côté que : «  Durant la période de confinement, sur 158 résidents, 23 sont décédés, parmi lesquels 10 cas de covid confirmés”. Pas de réponse à nos questions concernant le nombre de cas positifs au sein du personnel soignant, outre le décès de Marie-Madeleine.

« Un accident qui aurait pu arriver à d’autres »

Si un membre de l’entourage de Marie-Madeleine Mpembe Olongo souligne les conditions de travail difficiles qu’elle a connues en mars («  des masques FFP2 qu’elle devait garder 48 heures”, “des blouses à partager avec des collègues »), son frère, Lambert Oyongo, ne cultive aucune colère. «  Je ne suis pas fâché. Je vis ceci comme un accident qui aurait pu arriver à d’autres. »

Joseph Oyombo, collègue infirmier, est quant à lui fort affecté par la rapidité du décès de Marie-Madeleine. «  On travaille ensemble, tout va bien, puis une semaine plus tard, on m’annonce son décès. Ce n’est pas comme après une longue maladie... »

Il regrette que leur duo, drôle et taquin, n’ait pas eu l’occasion de faire aboutir leur dernière idée lumineuse : confectionner un costume sur mesure, taillé et cousu par les doigts agiles et experts de Marie-Madeleine, dans un tissu qu’ils auraient choisi ensemble à Matonge, à deux pas de la Porte de Namur, à Bruxelles. «  J’aurais aimé garder un tel souvenir d’elle », dit-il. Un vêtement en guise de mémoire vive, tangible et coloré.

Tags

Dernière mise à jour

Un journalisme exigeant peut améliorer notre société. Voulez‑vous rejoindre notre projet ?

La communauté Médor, c’est déjà 3392 abonnés et 1859 coopérateurs

Vous avez une question sur cet article ? Une idée pour aller plus loin ?

ou écrivez à pilotes@medor.coop

Médor ne vous traque pas à travers ses cookies. Il n’en utilise que 3 maximum pour la sécurité et la navigation.
En savoir plus