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Fontinoy accusé d’avoir perçu un pot-de-vin de 50 000 euros

Episode 7/… Exclusivité Médor/Le Soir

Vastapane Fontinoy
Pauline Rivière. CC BY-NC-ND.

UPDATE 2 MARS 2021. Selon une enquête de Médor et du Soir, un témoin a accusé Jean-Claude Fontinoy, l’ancien homme de confiance du commissaire européen Didier Reynders, d’avoir accepté une enveloppe de 50 000 euros. C’était en 2017. Il s’agissait d’intervenir dans l’explosif dossier des fonds libyens. L’affaire vient d’être mise à l’instruction

Au début de l’été 2017, Jean-Claude Fontinoy, alors expert au cabinet du ministre MR Didier Reynders, aurait reçu un montant cash de 50 000 euros de l’homme d’affaires Aldo Vastapane. Pour quel motif ? Pour trouver une solution politique au litige opposant le prince Laurent à la Libye, État sommé par un jugement belge de 2014 de lui rembourser 48 millions d’euros investis à fonds perdus dans un projet environnemental.

Ces accusations de corruption figurent dans un procès-verbal réceptionné à la fin de l’année dernière par le procureur général de Liège, Christian De Valkeneer. Le P.-V. a été rédigé par un magistrat expérimenté. Celui-ci affirme avoir assisté à une réunion privée, à l’automne 2020, où un membre du groupe Vastapane a évoqué la remise de ces 50 000 euros. Selon le P.-V., la personne soudoyée est l’actuel président du conseil d’administration de la SNCB, Jean-Claude Fontinoy. Le magistrat témoin de la confidence a dénoncé les faits en vertu de l’article 29 du code d’instruction criminelle. Cet article de loi oblige « toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public (…) qui, dans l’exercice de ses fonctions acquerra la connaissance d’un crime ou d’un délit » d’en « donner avis sur-le-champ au procureur du Roi ».

Avec M. Fontinoy, on se trouve au cœur des rouages essentiels de l’État belge. Du moins jusqu’au départ de Didier Reynders pour son poste actuel de commissaire européen. De 1999 à 2019, cet administrateur de nombreuses sociétés publiques ou para-publiques a travaillé dans tous les cabinets ministériels du poids-lourd libéral. Fontinoy y avait un statut d’expert. Aux Finances, il gérait en particulier les dossiers relatifs à la Régie des bâtiments. Aux Affaires étrangères, ses centres d’intérêts se portaient sur l’Afrique. Donc la Libye. En marge de ces activités, Jean-Claude Fontinoy a souvent joué les entremetteurs politico-financiers. Le rapprochement MR-N-VA, le dîner au restaurant ‘t Fornuis d’Anvers en présence de Bart De Wever et de mandataires liégeois… Jean-Claude Fontinoy en était.

« Mon cher Jean-Claude »

Une lettre datée du 3 mai 2017 vient attester des liens personnels entre l’expert du cabinet Reynders et l’homme d’affaires Aldo Vastapane. Le baron Vastapane utilise son plus beau papier à en-tête pour adresser une missive à son ami Jean-Claude Fontinoy, qu’il tutoie. Sur deux pages, elle décrit une intention claire. Celle manifestée par l’entrepreneur fortuné de venir en aide au prince Laurent de Belgique. La lettre porte exclusivement sur les déboires princiers en Libye, où le frère du roi Philippe a voulu développer un projet-phare en matière de développement durable. C’était il y a plus de dix ans. L’asbl princière Global Sustainable Development Trust (GSDT) y a perdu beaucoup d’argent lorsque le pays, dirigé alors par le Colonel Kadhafi, a rompu brusquement le contrat en mai 2010.

Depuis un jugement prononcé en Belgique le 20 novembre 2014, les autorités libyennes sont obligées de rembourser au prince Laurent la mise initiale, augmentée d’intérêts. La Libye refuse obstinément de régler la créance. Et, sans relâche, les conseillers juridiques du prince demandent depuis au gouvernement belge d’intervenir pour faire exécuter la décision de justice. Le nouvel exécutif fédéral, après des années de palabres, vient tout récemment de valider l’issue souhaitée par la fondation en liquidation GSDT et son administrateur princier : notifier le Comité des sanctions de l’ONU de libérer les fonds libyens dus au Prince ; la cagnotte du clan Kadhafi étant gelée depuis 2011 dans les coffres (virtuels) de la banque Euroclear, à Bruxelles.

Le 3 mai 2017, Aldo Vastapane sait à quelle porte frapper : il donne du « mon cher Jean-Claude  » à Fontinoy. « Tu as eu la gentillesse de me recevoir à plusieurs reprises à propos de la créance de l’asbl GSDT contre l’Etat libyen. » Vastapane fait référence à un « dialogue de sourds » et évoque un « blocage » qui « relève plus de la politique que de la justice ». Sans citer Didier Reynders, la lettre pointe le chef de la diplomatie belge de l’époque. « Je n’ose imaginer, même si de toutes parts cette information me revient, qu’un seul homme manquerait d’élégance au point de s’opposer à une décision de justice pour des raisons obscures et, à ce jour, inexpliquées. »

À plusieurs reprises, l’auteur de la lettre demande à Jean-Claude Fontinoy de l’informer, de l’éclairer, de lui expliquer comment arriver à ses fins. Du lobbying en bonne et due forme. Aldo Vastapane suggère des pistes de solution. Il demande à son « ami » « ce qui motive ce refus de notifier la décision à l’ONU ».

Interrogé aujourd’hui sur ces contacts entre son ancien cabinettard et Aldo Vastapane, Didier Reynders déclare : «  Je recevais de l’information sur tous les dossiers que Jean-Claude Fontinoy traitait pour moi. Mais pas particulièrement dans ce contexte-là.  »

De Liège à Bruxelles

Un peu plus tard, Aldo Vastapane aurait prolongé ce courrier de mai 2017 par un paiement cash de 50 000 euros, censé motiver Jean-Claude Fontinoy à trouver une solution. Selon le magistrat qui a établi le P.-V., un membre du groupe Vastapane a assisté le patron dans ces démarches. Démarches qui pourraient être considérées comme de la corruption active (pour le chef d’entreprise) et passive (pour le mandataire étiqueté MR), si elles étaient avérées en justice. C’est cette personne qui, trois ans plus tard, a reconnu la matérialité des faits lors d’une réunion privée en présence du magistrat. D’où ce P.-V. de l’automne 2020.

« Il s’agit d’un document et d’un dossier très sensible », dit-on dans les milieux judiciaires, à Liège. Le P.-V. a été transféré au parquet général de Bruxelles. Ceci est officialisé par sa porte-parole Liliane Briers : « Je confirme qu’un P.-V. établi par un magistrat dans le cadre de l’article 29 CiC, durant l’automne 2020, nous a été transmis par le parquet général de Liège, comportant des accusations dirigées contre M. Jean-Claude Fontinoy. Nous avons transmis le dossier au parquet de Bruxelles pour suite d’enquête. »

«  Dans l’intérêt de l’enquête, nous ne souhaitons faire aucun commentaire  », dit un porte-parole du parquet de Bruxelles.

Médor et Le Soir ont rencontré le membre du groupe Vastapane qui accuse Jean-Claude Fontinoy. Cette personne-clé refuse tout commentaire.

Devant le portail du splendide château d’Aldo Vastapane, au Roeulx (Hainaut), nos deux médias ont également été poliment éconduits. À l’interphone, une voix avance des raisons de santé (l’homme a eu 95 ans lundi) et l’intérêt supérieur de l’empire Vastapane. Relancé cette semaine par courriel, M. Vastapane ou son groupe n’ont pas répondu à nos interrogations. En 2018, le groupe Vastapane a racheté deux sociétés en difficulté du prince Laurent, REC Arlon 67 et Cerbux Invest.

Questionné sur l’intervention de M. Vastapane dans le conflit relatif à son ex-ASBL, sur l’éventuelle intervention de Jean-Claude Fontinoy et le versement supposé d’un pot-de-vin, le frère du Roi répond par l’entremise de son avocat : « Comprenant qu’une enquête est en cours, S.A.R. le prince Laurent ne souhaite pas s’exprimer à ce sujet, au-delà de ses déclarations officielles antérieures dont il résulte qu’il s’est toujours opposé, et s’opposera toujours à toute autre solution que la simple exécution des décisions de justice conformément à la Constitution. »

Par « déclarations antérieures », il faut se souvenir de la lettre de janvier 2019 transmise à l’ancien Premier ministre, Charles Michel. Dans son paragraphe 14, le prince Laurent y dénonçait « les intermédiaires véreux » avides « de commissions importantes ». « Il va de soi que je ne souhaite toujours pas alimenter la corruption et encore moins d’éventuelles ‘rétrocommissions’ en Belgique », écrivait-il dans cette missive qui a fait grand bruit à l’époque.

Sollicité par téléphone, Jean-Claude Fontinoy a coupé court à nos demandes de précisions quant au P-V qui l’accuse : «  Aucun commentaire, voilà, c’est tout. J’ai pris l’habitude de ne plus en faire. C’est plus simple.  » Même chose pour le commissaire européen Didier Reynders, en charge de la Justice et de la Protection de l’Etat de droit : «  Vous m’apprenez l’existence éventuelle de ce genre de documents. Ce n’est pas la première fois que j’entends des commentaires sur le sujet, mais je n’ai aucune information.  »

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