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Le mensonge de Huy (épisode 2)

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Serena Vittorini. CC BY-NC-ND.

Depuis son séjour, début de semaine, Médor cherche les points de rencontre entre les habitants de Huy. Entre les communautés ? Entre les pauvres et les riches ? Avec une surprise. On s’est fait gruger par l’apparence de la ville, tranchée par un fleuve. On a voulu y lire deux rives, l’une pauvre, l’autre riche. Nostra culpa. Nous nous sommes trompés. Huy n’est que pauvreté grandissante.

La rive gauche est désertée ? « On n’y a jamais autant investi » assure le bourgmestre Collignon (PS). La rive droite est cossue ? De ce côté de la ville, la rue sous-le-Château et le quartier Sainte-Catherine ont dépéri en quelques années.

En attendant le verdict de l’analyse des cartes subjectives de Huy, Médor a cherché les endroits de rencontres entre publics différents. Et il en a trouvés. La Grand Place évidemment, avec la brasserie l’O’Malley, où l’on voit tant un public jeune et ivre que la pensionnée Anne-Marie prendre un verre.

Il y a le parc des Recollets, les familles dans la pelouse, les ados à la fumette sur les jeux d’enfants, pendant que les pensionnés du quartier tapent la carte dans le local vitré avoisinant. Les ateliers du Centre culturel, le bénévolat au Service d’Entraide Familiale (SEF) ou à la Croix-Rouge. Micheline y bosse depuis 2002. Vêtements pastels, cheveux courts blancs, bijoux argentés, elle se met au service du vestibule, à quelques mètres de la soupe fraîche à 50 cents. La mixité se niche aussi à la piscine où la Maison médicale Cap Santé organise des sorties. Elle crèche aussi, sans doute, au Rallye du Condroz, à la Foire à un Euro, au 15 Août. Dans le hall omnisports, au bowling, au Quick. Et enfin à la gare, aux arrêts de bus. Il manque des parcs aménagés, une piste de skateboard, mais soyons de bon compte, la mixité n’est pas tant empêchée par le fleuve.

Les rives ne sont pas si différentes que cela. Pour une raison pénible. Huy se ressemble de berge en berge car Huy s’appauvrit de partout.

L’info sera accueillie avec un soupir d’évidence par les Hutois et une surprise par les visiteurs qui croient encore à la ville carte postale.

Sceptique ?

  • Taux d’emploi administratif des 15-64 ans ? 56,3 % à Huy pour une moyenne de 60,6 en Wallonie.
  • Part de bénéficiaires du RIS (revenus d’intégration sociale) parmi les 18-64 ans ? 5,79 % à Huy pour une moyenne de 1,79 % en Wallonie.
  • Part de mineurs vivant dans un ménage sans revenus d’un travail ? 16,5 % à Huy contre 9 % e moyenne pour la Wallonie.
  • Part de ménages des femmes isolées ? 21,9 % à Huy pour une moyenne de 16,7 en Wallonie.
  • Encore une statistique qui fait mal ? Part des majeurs admis en règlement collectif de dettes (soit une faillite individuelle) ? 2,81 à Huy contre une moyenne de 1,15 en Wallonie.

La pauvreté ne touche pas que les plus démunis. Les classes moyennes perdent aussi des plumes.

Par an, l’agent immobilier Benoit Rasquain assure une centaine de ventes sur la ville Huy. Avec son bureau à quatre pavés de la Grand-Place, l’homme est bien placé pour évoquer les revenus des Hutois, incarnés par l’achat immobilier. D’abord, la Ville n’attire plus que les siens. A l’inverse des villages aux alentours, « 85 à 90 % des ventes en villes sont le fruit d’achat d’Hutois. » Ensuite, le prix des opérations est 10 % moins cher que la moyenne de la Province de Liège. Et, si vous êtes rive gauche, ajoutez encore 15 % de différence, même si la localisation et la qualité du bien doivent nuancer le constat. A noter que la proximité de la Centrale n’est jamais sujet de conversation. « Huy est un joyau, avec un potentiel esthétique, architectural patrimonial, mais c’est aujourd’hui une ville de transit. Dans le Brabant wallon, on me parle encore de la grandeur de la ville, il y a encore une croyance que c’est une ville bourgeoise. Mais quand on la vit au quotidien… »

Ça va là ? La carte postale est déchirée ?

Huy, c’est la folie !

Cette carte postale est depuis longtemps dans la poubelle des services de première ligne qui doivent accueillir la pauvreté hutoise.

Au SEF (Service d’Entraide Familial) qui héberge des personnes en difficultés, ils accueillent chaque année 60 à 70 personnes pour plus de 200 demandes. Les bénéficiaires sont à peine 20 à 30 % de Hutois. Alors petite provoc : SEF, importateur de pauvreté ? « C’est provoc’en effet, soutient Jean-Luc Breda, directeur du SEF. Je ne suis pas certain que les personnes qui viennent restent à Huy. C’est une population qui bouge beaucoup. »

A « Cap Santé », le public de cette maison médicale se trouve dans un rayon de huit kilomètres. Et les inscriptions viennent à peine de se réouvrir. « Depuis quelques mois, il y a une grosse augmentation d’inscrits avec des situations problématiques, avec énormément d’assuétudes » assure Romane Delmotte, assistante sociale. Les 2 177 patients inscrits bénéficient de soins de santé forfaitaire, d’activités communautaires variées (potager, piscine, tricot, marche,…) La psy est à tarif réduit, 10 euros la séance. Mais ce n’est pas le tarif qui empêchera les plus démunis d’avoir une séance. C’est l’attente d’un an avant d’avoir un RDV. « Du coup, on a arrêté les réservations et on renvoie vers le planning familial  ». Qui selon l’assistante sociale Romane Delmotte, a également arrêté de prendre des RDV. Il ne fait pas bon être fragile à Huy. « C’est une urgence, assure Genevieve Nizet, présidente du CPAS. Il y a une partie de la population qui est à la limite des troubles mentaux et elle n’est pas prise en charge. » Cette ’précarité mentale’ne provient pas forcément de la précarité financière. « Ces personnes ont l’argent pour leurs besoins, mais souffrent d’isolement, jusqu’à se sentir exclues de la société ».

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Au parc des Recollets, des publics variés se croisent
Serena Vittorini. CC BY-NC-ND

L’avenir douloureux

De nos visites au service de prévention de la ville, au CPAS, à Cap Santé, à la Croix Rouge, au SEF, le constat est le même : la précarité augmente. Parfois de manière douce, mais continue comme au SEF. Parfois de manière affolante comme au CPAS. 500 personnes bénéficiaient d’un revenu d’intégration sociale en 2012. Elles sont 923 en 2019.

« La pauvreté est autant rive gauche que rive droite, assure Mireille d’Allessandro, fonctionnaire « prévention » à la Ville. Il y a de plus en plus de précarité chez les enfants. Chez les personnes isolées, les travailleurs pauvres, les familles monoparentales ».

L’argent manque pour affronter le défi de la précarité. Geneviève Nizet, présidente du CPAS, termine d’expliquer que son CPAS, financièrement exsangue, est réduit à assurer les seules obligations légales. Le magasin social ? Fermé. Le lavoir ? Fermé. Elle parle d’un « avenir douloureux ».

Pourtant, Huy avait une arme de destruction massive de pauvreté : la centrale nucléaire. Chaque année, la Ville touchait entre 12 et 15 millions pour accueillir sur ses terres Tihange 1, 2 et 3. Qu’a-t-il été fait de cet argent ? Et surtout, comment la Ville va-t-elle se déployer sans ces rentrées, dans quelques années ?

Dans le prochain article, le fric du nucléaire et les constructions de la Ville

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