C’est marrant. En 2019, Socfin (qui appartient au groupe Bolloré et à Hubert Fabri) a attaqué Médor en justice. Au bout des procédures, nada. Autrement dit : non-lieu pour prescription. Sauf que Médor a dû débourser 18 000 euros. Et se mobiliser pendant six années de procédure.
18 000 euros, c’est aussi un quarantième de 660 000 euros et 660 0000 euros, c’est la somme apportée par « des tiers investisseurs » au « média » 21News, lancé par un élu MR, confondant au passage journalisme et politique. Parmi ces généreux investisseurs, Louis Sarkozy et le groupe Lagardère, société de… Vincent Bolloré. C’est vraiment marrant.
18 000 euros, c’est beaucoup pour un magazine comme le nôtre. 5 % de notre budget annuel, exactement. Et ces dernières années, nos frais juridiques augmentent, car les procédures intentées contre notre média se multiplient. Mais cela ne changera rien.
Aucun actionnaire privé, aucune ONG, aucune association, aucun pouvoir public n’a d’avantage économique ou idéologique dans notre projet.
Ni ami. Ni ennemi. Ni patron (à part nos coopérateurs et coopératrices).
Grâce à vous, Médor poursuit son travail d’investigation, au service de l’intérêt public et non de celui de quelques milliardaires. Ça a l’air d’être une évidence, mais en Belgique, nous sommes aujourd’hui à un tournant dans le paysage médiatique.
Dystopie médiatique
Ce numéro consacre une bonne partie de ses pages au journalisme. D’abord à travers une enquête sur le géant belge « Rossel ». Pourquoi ? En 2026, ce groupe de presse, sauf surprise de l’Autorité belge de la concurrence, concentrera 94 % de l’audience de la presse écrite en Belgique francophone. Oui, 94 %. Ça valait la peine de se demander « qui » est Rossel et ce que son statut de « médiavore » annonce pour l’avenir. Côté flamand, nous avons porté le regard vers un autre médiavore, DPG Media. Puis on a mené une réflexion sur nos pratiques de correction, sur celles – plus lourdes – de nos pairs, et on a même tenté un jeu sur les médias en 2026.
Les perspectives sont réjouissantes… Les ventes chutent, la pub déserte et la transition numérique coûte un pont.
Et vous savez quoi ? Pire, c’est possible.
En France, en 2024, le très sérieux Institut national de l’audiovisuel (INA) s’est essayé à un exercice de projection dystopique. Et a esquissé des scénarios plausibles pour le journalisme en 2050.
Dans son scénario « obscur », « l’information est morte trois fois ». Les médias publics ont été démantelés. Les phénomènes de concentration se sont accélérés. Les conditions de l’indépendance de l’information ont été balayées. La désintermédiation déclenchée par les réseaux et couplée à l’IA a donné naissance à une industrie du faux sans précédent. Parler de « faits », de « vrai » n’est plus audible. Dès lors, « l’information liquéfiée » est devenue la norme : les algorithmes réécrivent les articles en temps réel en fonction des environnements sociaux, politiques et économiques. Pris dans un mouvement perpétuel, nous n’avons plus de bases communes, les faits sont insaisissables et les analyses impossibles. Le journalisme s’éteint de lui-même.
Mais, dans cette même étude de l’INA, un autre scénario existe. Il promet un « âge d’or » de l’information.
Un âge où les pouvoirs publics se sont engagés dans une politique active d’éducation aux médias, à l’information et à la citoyenneté numérique, critère à part entière de la responsabilité informationnelle et sociétale des entreprises.
Mieux, les algorithmes des réseaux sociaux sont audités et contrôlés en permanence par des IA, véritables commissaires qui gèrent le « droit à l’amplification ». Ce droit à la diffusion massive n’est plus fonction du caractère émotionnel – et donc outrancier, démagogique – des informations délivrées, mais de leur pertinence.
Les médias professionnels gagnent en excellence grâce à l’IA générative qui se coltine la plupart des tâches journalistiques et techniques automatisables. Les journalistes « se concentrent alors sur l’analyse, l’investigation, les choix éditoriaux, l’exploration de nouvelles thématiques, de nouveaux formats, de nouveaux services, et sur l’éducation aux médias ». Les citoyens, eux, « se mobilisent dans la construction du débat public ».
À nous de choisir. Il n’y a pas de fatalité.
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L’Écho du 2 septembre 2025.
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