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Maladies professionnelles : le jeu de lois

En Belgique, faire reconnaître sa maladie professionnelle est un véritable parcours du combattant. Rejoignez l’aventure et tentez de gagner une indemnisation de l’Agence fédérale des risques professionnels (Fedris) ! But du jeu : éviter de tomber dans le trou.

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Statistiques de jeu

Chaque année, entre 7 500 et 10 000 demandes d’indemnisation sont introduites, pour le secteur privé. En 2019, il y en a eu 7 848. Et chaque année, Fedris indemnise les victimes à hauteur de 230 millions d’euros. Mais qui sont celles et ceux qui ont le plus de « chance » d’être indemnisés ?

★★☆
Joueurs « liste »

Ce sont donc tous ceux qui souffrent d’une des 150 maladies professionnelles reconnues par la loi. Résultat : 4 184 rejets pour 2 227 décisions positives, soit un taux de refus d’environ 65 %. Parmi les « chanceux », 550 se sont vu octroyer une incapacité permanente, 1 109 une incapacité temporaire et 568 personnes ont vu leurs soins curatifs remboursés.

★☆☆
Joueurs « hors liste »

En 2019, il y a eu 909 rejets pour… 7 décisions positives. Soit un taux de refus de 99,23 %.

☆☆☆
Joueurs fantômes

Il n’y aurait que 2 200 malades du travail en Belgique par an ? Ça, c’est si on suit la logique de Fedris. Le phénomène de sous-déclaration est aussi notoire qu’impossible à chiffrer. Les manques d’argent, d’information ou de temps des malades sont les principaux freins.

★★★
Joueurs acharnés

Votre maladie s’est aggravée ? Une nouvelle pathologie s’est développée ? Vous pouvez réintroduire une demande auprès de Fedris. C’est pénible mais les décisions positives sont plus régulières : 513 sur les 798 demandes de 2019, soit un taux de refus de 36 %.

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Morgane. Tous droits réservés

L’espoir fait mourir

La surenchère judiciaire ralentit les procédures, au détriment des malades. Mais à quel point ? Sergio était un ancien minier et ouvrier dans une entreprise de démolition. Il a manipulé des marteaux-piqueurs, dont les vibrations ont déglingué ses muscles, cartilages, ligaments et os. Il s’est battu de longues années pour faire reconnaître et indemniser des maladies professionnelles. Il a obtenu gain de cause en 2022. Plus de 20 ans après sa mort.

1983 Trois ans après sa pension, Sergio introduit une demande d’indemnisation au Fonds des maladies professionnelles (FMP, ancien nom de Fedris) pour sa maladie ostéo-articulaire.


1984 Le FMP refuse sous prétexte qu’il n’y a pas d’exposition au risque de vibrations mécaniques (selon ses critères). Sergio saisit le tribunal.

1985 Premier jugement. Le tribunal mandate un expert qui rend un premier rapport en 1986. Celui-ci confirme que Sergio est atteint d’une maladie d’origine professionnelle au niveau des épaules. Il constate également la maladie de Dupuytren au niveau des mains.

1988 Deuxième jugement. Suite à ce rapport, le tribunal octroie à Sergio 12 % d’incapacité pour sa maladie aux épaules. Concernant la maladie de Dupuytren, le tribunal sollicite un avis de la Cour de justice des Communautés européennes.

1989 Après cet avis, Sergio fait valoir que sa maladie de Dupuytren n’est qu’une « forme différente […] mais de nature identique » des maladies ostéo-articulaires.

1990 Troisième jugement. Le tribunal demande à un expert une mission complémentaire pour faire la lumière sur cette demande.

1990 Le FMP interjette appel sur les deuxième et troisième jugements.

2000 Sergio décède.

2002 Sa femme et ses deux enfants poursuivent la procédure.

2003 Premier arrêt de la Cour. L’indemnisation définitive pour les ayants droit est fixée à 7 % pour le dossier concernant les épaules. Affaire close. Pour la maladie de Dupuytren, la Cour confirme la nécessité d’une expertise complémentaire.


2006 L’expert indique que la relation entre la maladie de Dupuytren et l’usage d’outils vibrants est imprécise et insuffisante. Les ayants droit contestent ces conclusions.

2008 Quatrième jugement. Le tribunal écarte le rapport complémentaire et désigne un nouvel expert. Le FMP fait appel de ce jugement.

2012 Deuxième arrêt. La Cour confirme que le tribunal a bien fait d’écarter le rapport d’expertise complémentaire.

2013 L’expert désigné en 2008 dépose un rapport de carence : il n’a pas pu établir de conclusions dans les délais faute d’éléments (peut-être parce que Sergio est… mort).

2014 Cinquième jugement. Le tribunal désigne un nouvel expert pour une mission remodelée. Le FMP fait appel.

2015 Sans attendre la décision de la Cour, l’expert remet son rapport. Il reconnaît à Sergio un taux d’incapacité de 20 % pour la maladie de Dupuytren.

2016 Troisième arrêt. La Cour confirme la nécessité d’une mission d’expertise.

2018 L’expert rend un rapport complémentaire.

2018 La veuve de Sergio meurt.

2019 Sixième jugement. Le tribunal acte que Sergio était atteint de la maladie de Dupuytren au titre de maladie professionnelle.

2019 Fedris interjette appel.

2022 Quatrième arrêt. La Cour confirme le jugement de première instance. Les ayants droit sont indemnisés, 39 ans après la première demande, plus de 20 ans après la mort de leur père.

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Morgane Somvile. CC BY-NC-SA

Fedris, mauvaise joueuse ?

On connaît tous cette sœur, cet oncle ou parent qui essayent de s’arranger avec les règles quand la partie leur échappe. Pour vous éviter une mauvaise surprise et mieux aborder votre prochaine partie du « Jeu de lois », voici trois tactiques controversées de Fedris.

1. La Charte de l’assuré social ? Quelle Charte ?

La Charte de l’assuré social garantit à ce dernier l’accès à ses droits. Bref, la panacée. Mais Fedris est accusée par plusieurs experts de la bafouer. En théorie, l’agence fédérale doit être proactive pour rassembler l’ensemble des éléments nécessaires au dossier. Soit un devoir d’instruction administrative. Mais en pratique, la responsabilité reposerait sur les malades, qui doivent prouver leur exposition au risque professionnel. Un volet qui demande une grande expertise et une approche multidisciplinaire, dont une connaissance fine des subtilités de l’épidémiologie. N’est pas Marius Gilbert qui veut.

2. Mon jeu, mes règles

Les maladies professionnelles sont fixées par la loi. Mais les critères d’évaluation de ces maladies sont, pour la plupart, définis par l’administration chargée de les indemniser. Ils ne sont pas tous publics, ne sont donc pas connus des médecins et encore moins des malades. Une exigence de Fedris est cependant connue : lorsque vous êtes exposé à un risque professionnel précis, vous devez avoir deux fois plus de chance de développer une maladie que le reste de la population. Un critère suspecté d’être guidé par des raisons budgétaires. Fedris s’en défend (voir ci-après). Heureusement pour les malades, la justice n’est pas tenue à ces critères. Ce qui conduit parfois à un renversement de la décision administrative.

3. La surenchère judiciaire

Avec 1 000 procédures chaque année, Fedris connaît bien les arcanes judiciaires. Bien qu’elle perde dans environ 50 % des cas, Fedris fait durer la procédure et initie la moitié des 100 appels annuels. En 2021, l’agence fédérale a dépensé 2 millions d’euros en avocat et expertise. Tout (ou presque) fait l’objet de discussions, de recours, de conclusions entre avocats. Même une « simple » expertise devant le tribunal. Le délai de clôture de dossiers se rallonge, notamment suite à ces procédures interminables. Et pour nombre de malades obligés de s’entourer d’avocats et de médecins, les procédures deviennent impayables. Ce qui les contraint parfois à renoncer à leurs droits.

Cartes sur table

Fedris a répondu aux critiques.

1. Chacun ses responsabilités

Accusée de ne pas respecter la Charte de l’assuré social, Fedris assure faire sa part, tout en attendant que l’autre partie fasse la sienne. « Il appartient à l’assuré social d’établir avoir été exposé au risque de contracter la maladie dont il demande la reconnaissance. » Pourquoi l’administration ne procède-t-elle pas systématiquement à une analyse du lieu de travail ou un examen clinique des malades ? Ce n’est pas prévu par la Charte et puis, au vu du nombre de demandes, Fedris n’en a pas les moyens. C’est pourquoi l’agence travaille sur la base des pièces du dossier ou « par analogie », c’est-à-dire avec des cas similaires déjà traités.

« L’institution réclame toutes les pièces nécessaires par courrier recommandé. Lorsqu’elle l’estime nécessaire, l’institution invite le demandeur à un examen médical et/ou un ingénieur fait une enquête de risque. »

2. L’argent, le risque et les critères

Fedris le jure : la politique d’indemnisation ne dépend ni d’une volonté politique ni d’une limite budgétaire.

Que l’exposition doive doubler le risque d’apparition de la maladie n’est « que la traduction concrète de l’exigence à laquelle les lois coordonnées conditionnent l’établissement du risque professionnel ». Puisqu’une maladie est toujours multifactorielle, il s’agit de s’assurer que le risque professionnel est la cause prépondérante de cette maladie. Ce x2 est donc « la simple application d’une règle statistique ».

Par ailleurs, pour certaines maladies, les critères d’exposition sont repris en annexe d’un arrêté royal. Pour les autres, « les critères se basent sur les connaissances médicales générale­ment admises. Les études réalisées sont de plus en plus publiées sur notre site web ». Cette section web est en cours de révision depuis… août 2021. Seule une dizaine de documents y est disponible. Mais Fedris « entend continuer ces efforts de communication ».

3. Question de perspective

Fedris perd souvent au tribunal. Mais l’administration note que seules 6 à 8 % des décisions sont contestées devant la justice où « un peu moins de 50 % aboutissent à un jugement négatif pour Fedris ». « Cela implique qu’entre 96 et 97 % des décisions prises par Fedris ne sont pas judiciairement remises en cause », se félicite-t-elle.

Concernant la contestation intempestive de l’expertise, Fedris juge normal de défendre la position prise lors de l’examen administratif du dossier et rappelle que « les honoraires des experts et spécialistes sont toujours à charge de l’institution ». « Accepter de manière automatique la désignation d’un expert constituerait une attitude fautive de la part de l’administration qui ferait un mauvais usage des deniers publics. » Et puis, « dans un certain nombre de dossiers, le magistrat a effectivement suivi [notre] position. Cela prouve que l’attitude de Fedris n’est en rien abusive ».

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Morgane Somville. CC BY-NC-SA

Avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

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