Quand un Catalan se frite
Rappeur en exil
Le rappeur Valtònyc vitriole le Roi d’Espagne, se planque en Belgique et fait tomber la Couronne belge de son piédestal.
17 mai 2018, le hashtag #CompraunbilleteparaValtonyc (« achetez un billet d’avion pour Valtònyc ») apparaît sur Twitter. Le rappeur catalan Valtònyc s’apprête à fuir l’Espagne. L’homme est pourchassé par la police espagnole. Ses données personnelles fuitent sur les réseaux sociaux. Aux cris de « vive la république », ses fans embrayent le pas, commandent des billets à son nom pour égarer les poursuivants. 23 billets, 11 destinations et un vol pour la Belgique plus tard, Valtònyc se retrouve devant un tribunal… à Gand. On rembobine ?
Dès ses premiers textes, écrits à 18 ans, Josep Miquel Arenas Beltran, de son vrai nom, vante les actions des groupes armés indépendantistes ETA ou marxistes GRAPO. Cet Espagnol d’expression catalane dézingue des membres du gouvernement madrilène, des mouvements de droite – Parti populaire (PP) en tête – et le « voleur » Juan Carlos Ier.
Ses punchlines ne font pas dans la dentelle. « Qu’ils aient peur comme un garde civil au Pays basque », « Qu’un bus du PP explose avec de la nitroglycérine. » Avant de proposer au Roi de lui passer la corde au cou. Basta. En 2017, l’enfant terrible de Majorque, dont le catalan est l’une des deux langues officielles avec le castillan, est condamné par la Cour des Baléares à trois ans et demi de prison ferme pour apologie du terrorisme et insulte à la Couronne.
« Demain, ils vont frapper à ma porte pour me mettre en prison. Pour des chansons. […] Je ne vais pas leur faciliter la tâche », avait-il prévenu sur Twitter. Visé par un mandat d’arrêt européen, Valtònyc termine sa cavale à Gand et décide de se rendre à la police. À n’y rien comprendre ?
C’est que le rappeur reçoit le soutien du cabinet d’avocats flamand Paul Bekaert, également défenseur de l’ex-président catalan indépendantiste Carles Puigdemont, exilé à Waterloo. La bataille va être dure pour Madrid. Car, avant de pouvoir extrader Valtònyc, la justice belge doit déterminer si les faits pour lesquels il a été condamné sont également répréhensibles en Belgique.
Ce qui n’est pas le cas de l’apologie pour terrorisme. En septembre 2018, le tribunal de première instance de Gand refuse donc l’extradition. Un jugement confirmé par la Cour de justice de l’Union européenne.
Laisse, majesté
Et les charges pour offenses graves envers la Couronne espagnole ? Elles sont bien punissables chez nous. « Quiconque se sera rendu coupable d’offense envers la personne du Roi sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans », détaille l’article premier de la loi belge du 6 avril 1847. Dans le langage courant, on appelle cela le crime de lèse-majesté. « Il s’agit en réalité d’un délit, rectifie Alain Strowel, avocat et professeur de droit à l’UCLouvain et Saint-Louis. Mais ces régimes spéciaux ont déjà été mis en cause par la Cour européenne des droits de l’homme. Suite à la condamnation de Jean-Marie Colombani pour offense au roi du Maroc, notamment, en 1995. »
L’ex-rédacteur en chef du journal Le Monde et l’un de ses journalistes étaient poursuivis pour un article assassin sur Hassan II et son rôle présumé dans le trafic de haschich. Mais la Belgique surprotège aussi ses monarques. En 2007, un habitant de Lommel a été condamné à un an de prison et 5 500 euros d’amende pour avoir écrit à des politiques en insultant le roi Albert II et en l’accusant de complicité d’enlèvement d’enfants.
Une voie s’ouvre donc vers l’extradition de Valtònyc. Mais la justice gantoise renvoie une question à la Cour constitutionnelle : une condamnation de Valtònyc pour crime de lèse-majesté est-elle bien compatible avec la liberté d’expression ? Non. Le rappeur ne sera pas extradé et le roi Philippe et ses successeur·e·s perdent par la même occasion une protection vieille de 175 ans. Devant les yeux ébahis de la N-VA, notamment, qui réclame depuis dix ans l’abolition de ces prérogatives.
« La Cour constitutionnelle estime que cette loi ne colle plus à l’air du temps, que le roi n’est pas une personne si différente des citoyens et qu’il n’existe donc plus un besoin impérieux de lui accorder une protection particulière, commente Stéphanie Wattier, professeure de droit constitutionnel à l’UNamur. Le roi n’est donc pas un surhomme. N’en faites pas pour autant un sous-homme.
« Le monarque bénéficie toujours, comme tout le monde, des dispositions pénales en matière d’injure ou de diffamation, par exemple », souligne Alain Strowel (UCL). Et Stéphanie Wattier ajoute que, si la loi reste ici lettre morte, elle n’est pas non plus enterrée. « Contrairement à ce que beaucoup pensent, cette loi n’a pas été abrogée. Ni la Cour constitutionnelle ni le Parlement ne l’ont demandé. Reste que, si un cas similaire se présente, cet arrêt pourra faire jurisprudence. »
Un rappeur catalan sous mandat d’arrêt international qui fait évoluer les lois belges, la performance reste impressionnante. D’autant que ce Valtònyc n’est pas non plus Damso – viré de la bande originale du Mondial de foot 2018 en raison de propos jugés sexistes. Sur Spotify, le Catalan glane à peine 200 000 écoutes pour Fuego y Rabia (« Feu et Rage »), son titre phare.
Désormais installé à Bruxelles comme développeur web, il enchaîne les albums autoproduits, dont Moules & Frites. Et, s’il n’a rien perdu de sa rage politique, il ne va plus au clash et dissimule désormais ses cibles derrière des métaphores et des hyperboles. Comme dans le titre Le Roi du Nord où il menace (« je veux tuer le roi ») ce monarque hypothétique au blase biblique.
Laurent en catalan ?
« L’année dernière, écrit-il en 2021 dans le quotidien The Guardian, j’ai fait un album avec un financement du gouvernement belge. Ils me donnent de l’argent pour faire exactement ce que le gouvernement espagnol veut m’empêcher de faire. » Des subsides de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Négatif, nous répond l’Administration générale de la Culture.
Le rappeur refuse désormais toute demande d’interview, mais accepte de nous répondre au sujet de ce financement. Et nous envoie pour réponse la pochette de son album Piet Hein flanquée… du logo de la FWB. Après revérification, il apparaît en effet que cet opus a été produit par Homerecords, label subventionné à hauteur de 140 000 euros. Le Royaume de Belgique subsidie donc des œuvres qui critiquent la monarchie. Cocasse.
Notre pays kiffe Valtònyc et il le lui rend bien. Le compte Instagram du rappeur ressemble aujourd’hui à un spot pour l’office du tourisme. Du quartier chinois d’Anvers au square Sainctelette à Molenbeek, en passant par le bois de Hal (en pleine floraison des jacinthes sauvages, évidemment), le château de La Hulpe, le très huppé golf des Sept Fontaines ou… Walibi, l’ex-fugitif anticapitaliste est sur tous les fronts. On risque donc de devoir patienter encore longtemps avant son premier rap catalan sur le prince Laurent.
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