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Gand, ville ouverte

Numérique à brac

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julie kern donck. CC BY-SA.

Dans une Belgique qui pointe à la 35e place du Global Open Data Index, entre le Kosovo et le Kirghizistan, l’ancienne cité drapière joue le rôle de pionnière dans l’ouverture des données publiques. Avec l’ambition, depuis 2011, de s’en servir pour améliorer les liens entre l’autorité et ses citoyens.

Quatorze avril 2011. Une bande de créatifs, étudiants, programmeurs, entrepreneurs, fonctionnaires et explorateurs du monde digital se réunissent au pop-up bar « n°13 », à Gand. Ce soir se déroule la troisième soirée « GentM », initiative aux contours flottants qui gravite autour d’une question : est-ce que Gand est une ville créative sur le plan numérique ? La thématique du jour est alors relativement audacieuse pour une ville belge : l’open data. L’échevin en charge de l’informatique, Resul Tapmaz (sp.a), se lance : la Ville va ouvrir une partie de ses données au public.

Daniël Termont, l’emblématique bourgmestre sp.a de la Ville, et Tapmaz signent un texte pour expliquer ce choix politique : « Le plus important pour nous est d’améliorer les réseaux entre les services communaux et la population. […] L’open data est peut-être une expression à la mode aujourd’hui, mais son principe est bien plus durable : en tant qu’autorité, tu peux montrer ce que tu as, ce que tu fais, ce qui t’occupe. » Voilà pour les intentions. Mais l’open data, finalement, c’est quoi ? Et qu’est-ce que Gand entendait en faire ?

Le terme open data (donnée ouverte) serait apparu pour la première fois en 1995, selon la Paris Tech Review. Un document d’une agence scientifique américaine appelle à l’échange des données scientifiques pour appréhender des phénomènes globaux. Tête de pont de la sociologie des sciences, Robert King Merton militait déjà dans les années 40 pour que les chercheurs abandonnent la propriété intellectuelle sur leurs travaux. Le bien commun et l’avancée de la recherche devaient l’emporter sur les intérêts matériels.

Labo à ciel ouvert

Depuis le milieu des années 2000, l’idéal mertonien a gagné d’autres domaines que la science et rencontré le mouvement du logiciel libre et open source. Des mouvements citoyens poussent les autorités à accélérer la mise en ligne d’informations d’utilité publique : résultats d’élections, indices sur la qualité de l’eau, horaires de transports publics, informations sur les lieux publics. Des développeurs, nourris aux principes de la contribution, peuvent ensuite s’en servir pour imaginer des applications utiles. Pour être considérées comme véritablement « open », elles doivent, selon l’Open Definition, pouvoir être « utilisées, modifiées et partagées librement par quiconque et pour n’importe quel but ». Ces données ouvertes ne doivent pas poser de problèmes de vie privée et être livrées de façon structurée. Ainsi, elles peuvent être traitées automatiquement et coller au mieux à la requête d’un utilisateur.

À Gand, qui se voit comme un labo urbain à ciel ouvert, on hume l’air du temps : les citoyens désirent plus de transparence, et les outils numériques peuvent améliorer leur expérience de la ville. Derrière, bien sûr, il y a un intérêt économique pour les entreprises qui développent les applications. « J’ai découvert l’open data grâce aux sites qui, il y a dix ans, parlaient de ‘gouvernement digital’. C’était encore l’époque où l’on mettait l’utilisation des réseaux sociaux par les autorités et l’open data dans le même panier. » Bart Rosseau travaille pour la Ville depuis 1999. Aujourd’hui, il est responsable de la gestion de l’information et des données. « Grâce à la libération des données, des applications ont été rapidement développées dont les plus utilisées sont aujourd’hui liées à la mobilité, la disponibilité du parking ou bien au calendrier de collecte des déchets. »

Rapidement après Gand, des villes comme Bruxelles, Anvers, Courtrai lancent aussi leur portail de données. « Gand a pu démontrer la faisabilité d’un tel projet, poursuit Rosseau. Mais aujourd’hui, les défis techniques deviennent plus importants : le volume de données augmente. Mais aussi les tensions entre respect de la vie privée et données réutilisables. Nous essayons de trouver des moyens d’anonymiser certaines données privées qui représentent un intérêt public. Autre défi : créer de la confiance entre les décideurs, les propriétaires des données et ceux qui vont les réutiliser. » Bart Rosseau promet aussi que le budget communal et les objectifs stratégiques seront disponibles en ligne à la fin de l’année.

Rattraper la sauce

Pourtant, en 2014, alors que les grandes villes belges se bougeaient sur l’open data, la Belgique stagnait à la 53e place de l’Open Data Global Index, derrière des pays comme la Bulgarie ou la Moldavie. Son score d’ouverture était de 43 %, avec des lacunes claires en termes de publication de cartes nationales, de données de localisation (codes postaux, frontières administratives), mais aussi en matière de dépenses et de budgets gouvernementaux. Il faut dire que, entre 2011 et 2014, les deux portails open data du fédéral n’ont pas eu de mises à jour logicielles. Et comme l’Open Data Global Index ne prend en compte que le niveau fédéral, impossible pour les initiatives communales de rattraper la sauce.

Est-ce que la situation s’est améliorée depuis ? Oui, selon Pieter Colpaert, d’Open Knowledge Belgium, qui rappelle que le classement 2014 avait suscité de « grandes attentes ». En juillet 2015, le gouvernement a proposé une stratégie open data jugée « ambitieuse » par l’organisation, qui doit être atteinte à l’horizon 2020. Il s’agit en fait de la mise en œuvre, récemment votée en loi, de la directive européenne de… 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public. Cette stratégie s’engage à ce que les données publiques soient ouvertes par défaut (et, si elles doivent être fermées, ce choix devra être justifié), et la licence encouragée est la Creative Commons 0, la plus proche du domaine public. Les sociétés étatiques – SNCB, Proximus, bpost – seront aussi concernées par cette obligation de publication.

Nul doute qu’un parti d’opposition comme Écolo, qui estimait en février dernier que le mouvement open data en Belgique n’était pas assez suivi, sera attentif à l’application de la stratégie. Amorce de changement, le royaume est remonté à la 35e place de l’Open Data Global Index en 2015. En partie grâce à une meilleure ouverture (selon l’Open Definition) sur les résultats électoraux et le budget gouvernemental, mais avec encore de grosses lacunes d’accès aux dépenses de l’État, à la propriété foncière ou aux registres des sociétés.

Côté wallon, le portail open data annonce 147 jeux de données disponibles. Contre 93 sur le tout nouvel « opendatastore » de la Région de Bruxelles-Capitale. Et… 4 082 sur le portail de la Région flamande. Comme on dit : ’y a de l’ouvrage.

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