Souvenirs d’un pays oublié
Ci-gît Moresnet neutre (1816-1919), État minuscule et anarchique lové entre la Prusse, la Hollande et la Belgique, capitale mondiale du zinc et (presque) de l’espéranto, terre de contrebande, de convoitises et de fantasmes. Bienvenue à Kelmis/La Calamine. Belge peut-être, neutre toujours !
C’est une route nationale de Wallonie comme les autres. Anonyme. Au sortir des crêtes verdoyantes de l’Ardenne bleue, l’automobiliste distrait en route vers Aix-la-Chapelle ne verra rien à La Calamine. Tout au plus remarquera-t-il des enseignes gothiques et l’ancien poste de douane. Comment se douterait-il que cette route fût elle-même une frontière ? Que les maisons à sa droite étaient jadis en Prusse, et que débutait à gauche Moresnet neutre, micro-État qui pendant un siècle vécut au rythme d’un flou juridique absolu, de bars interlopes, d’utopies et trafics en tous genres et d’un brassage inédit de nationalités ? Comment deviner aussi que le zoning de béton qui précède le village se dresse sur les ruines d’un des plus riches berceaux de la révolution industrielle ?
Au panthéon des accidents de l’Histoire, Moresnet neutre devance la Belgique. Né sur la table des négociations du Congrès de Vienne (1815), ce triangle de terre de 3,44 km2 désiré tant par les Pays-Bas que par la Prusse conquérante, fut décrété par ceux-ci « territoire neutre ». Censé être cogéré par ses deux voisins, ce triangle ne serait ni prussien ni néerlandais. En fait, personne ne savait ce qu’était Moresnet neutre. Seule chose certaine, il y avait là une mine à ciel ouvert : l’Altenberg, la Vieille Montagne.
« L’Altenberg fournira du zinc à toute l’Europe pendant 1 000 ans », prédisait l’ingénieur liégeois Jean-Jacques Dony. Auteur d’un procédé révolutionnaire permettant d’extraire de la roche calaminaire non plus du laiton mais ce métal léger, souple …