Frank Vandenbroucke avance ses pions

Données de santé et vie privée

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Sarah Fabre. CC BY-NC-ND.

EXCLU Voici le dossier médical « fourre-tout ». Une base de données XXL où le ministre fédéral de la Santé aimerait mixer nos maladies, nos humeurs et notre « fonctionnement mental ». Le coup en douce porté par l’éminence grise du gouvernement De Croo, l’omniprésent Frank Robben ?

Cet article s’insère dans l’un des volets de notre grande enquête participative sur l’hypersurveillance à la belge.

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Le cabinet du ministre fédéral de la Santé travaille sur un avant-projet de loi très particulier. D’abord, il touche à la loi sur la qualité des soins, qui vient à peine d’entrer en vigueur. Ensuite, il propose de créer un nouveau « dossier multidisciplinaire du patient ». Un DMP numérique, qui serait connecté à une base de données de santé plus ancienne et très sensible : BelRAI. Parmi les infos récoltées : nos humeurs, nos comportements, notre fonctionnement mental et, oui, l’état de notre peau… Tout se joue à deux doigts des vacances parlementaires, par le biais des fameuses « lois fourre-tout ». À la lecture de cet avant-projet de loi, beaucoup de questions : qui aura réellement accès à ces données de santé ultra-sensibles ? À quelles fins seront-elles utilisées ? Puisque c’est extrêmement flou, c’est très inquiétant.

À première vue, ce jeudi 1er juillet 2021 est une date-clé pour la pratique de la médecine en Belgique.

Une loi relative «  à la qualité de la pratique des soins de santé  » entre en vigueur. Ce texte a été adopté par la Chambre deux mois avant les élections législatives de mai 2019, et un an à peine avant l’urgence sanitaire qui a forcé la plupart des États à prendre des mesures exceptionnelles suite au développement viral du Covid-19, apparu en Chine. La ministre de la Santé s’appelait alors Maggie De Block – une libérale flamande controversée, toubib de formation.

Ce qui s’est passé en 2018 et 2019 :

Au Parlement fédéral, les débats furent philosophiques et politiques, relatifs à la qualité et à la sécurité des soins de santé. Chaque parti représenté a eu l’occasion d’avancer ses arguments. Le Conseil d’État a été consulté dans les formes. L’Autorité de protection des données (APD) s’est exprimée sur une notion chère à ses yeux : le respect d’un cadre strict, légal et conforme au RGPD européen, dès qu’on touche au partage d’informations relatives à la vie privée des individus.

Ainsi, dans son courrier du 26 septembre 2018, l’APD rappelait avec instance l’importance fondamentale du consentement de chaque patient·e, à la circulation de ses données de santé. Le consentement, rappelait le courrier, doit être « une manifestation de volonté, libre, spécifique, éclairée et univoque ».

Message entendu côté politique : la notion de consentement éclairé se trouve aujourd’hui bétonnée par cette loi classique. Un bon point… pour le précédent gouvernement.

Autre aspect important, dans l’exposé des motifs de cette loi du 22 avril 2019, les sept droits des patient·es ont été formellement rappelés. Parmi lesquels : « Le droit d’être informé et de consentir librement à toute intervention médicale », « le droit à un dossier de patient soigneusement tenu à jour et conservé en lieu sûr », « le droit au respect de la vie privée et au respect de son intimité ».

Prenons le cas de quiconque se rend à l’hôpital, pour la première fois, suite à un accident sportif ou autre. L’équipe médicale l’accueille et doit lui demander son accord - de manière explicite - à ce que les radios éventuelles, le diagnostic, le debrief des soins prodigués puissent être partagés avec d’autres prestataires de soins - celles et ceux qui poursuivront l’encadrement de la personne hospitalisée.

Ce qui se passe en 2021 :

Seulement voilà, deux ans et une pandémie plus tard, les éminences grises qui orientent les choix sanitaires et numériques de l’actuel gouvernement fédéral - composé de libéraux, de socialistes, d’écologistes et de chrétiens démocrates flamands - ont d’autres intentions. Alors que la loi qui entre en vigueur ce 1er juillet 2021 légifère déjà sur un dossier électronique du patient - dans lequel se retrouvent entre autres nos antécédents personnels et familiaux, l’évolution de nos maladies et nos schémas de médication - Médor a découvert que le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), veut imposer un nouveau dossier médical électronique, qui semble bien plus large que les précédents.

Ce qui risque d’arriver :

Dès lors, et aussi incroyable que cela puisse paraître, le cabinet du ministre socialiste Frank Vandenbroucke propose aux autres ministres fédéraux d’adopter un bout de loi qui élargirait déjà la toute nouvelle législation sur la qualité des soins, avec l’apparition de cet OVNI : le DMP.

Plusieurs sources confirment cette volonté de faire émerger le dossier multidisciplinaire du patient. Le principal intéressé n’a pas souhaité nous répondre.

Notons que l’avant-projet de loi qui nous préoccupe ici n’est pas la première tentative en la matière, de la part du cabinet de Frank Vandenbroucke. Médor a pu lire une autre tentative légèrement moins récente (elle remonte à la fin du mois de mai) qui visait également à injecter une section entière dans la loi approuvée il y a deux ans et d’application dès ce 1er juillet.

Le contenu de l’avant-projet de loi :

La première tentative était très concise et dès lors, peu précise. La seconde, qui date de la mi-juin, entre davantage dans les détails du projet de « DMP ».

L’une comme l’autre prévoient de créer légalement un « dossier multidisciplinaire du patient » par le biais d’un nouvel article de loi, qui porterait le numéro 35/1, et qui serait intégré à la loi du 22 avril 2019, comme en atteste ce document :

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Extrait de l’avant-projet proposé par le cabinet du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit) qui vise à créer un nouveau dossier numérique de santé.

À lire l’avant-projet de loi, on comprend que l’idée générale est d’élargir fortement le spectre des données centralisées par les prestataires de soins.

Ainsi, les données reprises dans le « dossier multidisciplinaire du patient » concerneraient d’abord les « objectifs de vie du patient » (sans préciser ce que cela signifie). Ensuite, le texte parle des « objectifs de soins de santé du patient » (même problème). Et enfin - attention, drapeau rouge - le DMP fait le lien avec une base de données de santé existante depuis un certain temps en Belgique, mais quasi passée aux oubliettes : la base de données BelRAI.

BelRAI, c’est « un vieux projet fédéral dans lequel beaucoup d’argent public a été investi », nous indique un connaisseur. C’est en tout cas un « outil d’évaluation multidisciplinaire », comme l’indique l’avant projet de loi, qui récolterait beaucoup de données sensibles : des informations sur « l’humeur » et le « comportement » d’un·e patient·e, son « bien-être psychosocial » et son « fonctionnement mental », son « fonctionnement dans la vie quotidienne », sa « continence » (sic), l’ « état buccal et nutritionnel » ou encore l’ « état de la peau ».

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Dans l’avant-projet de loi proposé par le cabinet du ministre de la Santé, il est question de stocker de nombreuses données ultra-sensibles telles que l’humeur, le comportement et fonctionnement mental des patients.

Des données sur notre humeur, notre comportement, notre bien-être psychosocial… Est-ce Big Brother qui s’invite dans les cabinets médicaux ?

À moins qu’il ne s’agisse de Frank Robben, l’administrateur général de la plateforme eHealth et ancien conseiller du Premier ministre le plus influent de la fin du XXe siècle, Jean-Luc Dehaene. Depuis bientôt deux ans, ce fonctionnaire de l’ombre récupéré par l’actuel gouvernement fédéral est suspecté de militer en coulisses pour la confection de bases de données fédérales les plus larges possibles. Regroupant des informations liées à l’état civil, à l’emploi et à la santé, entre autres. Permettant à terme des croisements de données susceptibles de distinguer toute personne « hors des clous », pourrait-on craindre.

Concernant les algorithmes, et pour le cas qui nous préoccupe ici, le projet d’article 35/1 y fait très clairement référence. Voici ce que le texte indique : « Sur la base de ces données, des algorithmes au sein de l’application BelRAI (…) déterminent les risques possibles pour la santé du patient selon des protocoles d’analyse clinique et les scores sur un certain nombre d’échelles de soin pertinentes pour le patient. »

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Toujours au nom d’un service amélioré, il s’agirait de trier les données grâce à des algorithmes.

À ce jour, il n’a pas encore été question de ce « dossier multidisciplinaire du patient » au Parlement fédéral, ni au gouvernement fédéral.

Pour le Parlement : c’est probablement volontaire. Tout porte à croire que la stratégie politique du cabinet Vandenbroucke s’inspire des vieilles recettes utilisées à la rue de la Loi. L’objectif consiste à faire passer cette suggestion dans une « loi portant des dispositions diverses », comme on dit dans le jargon. En clair : on appelle ça une loi fourre-tout, ou une loi d’été.

Le déroulé des jours à venir :

Juste avant les vacances parlementaires, qui débutent traditionnellement le 21 juillet, l’exécutif a l’habitude de faire voter aux député·es une loi souvent indigeste et hybride, mélangeant des projets soudain débloqués, des points de détail ou des arbitrages politiques douteux. « On » fait ça fissa, en comptant sur l’appui de tous les groupes parlementaires de la majorité, qui y trouvent bien l’un ou l’autre élément de leur programme. Pas besoin de passer en commission de la Santé, en l’occurrence. Ce qui éviterait aussi d’alerter l’attention des syndicats médicaux, des groupements de patient·es ou des organismes luttant globalement pour une meilleure protection de la vie privée.

Il n’est, à ce stade, pas encore certain que le DMP figurera à l’agenda de la dernière séance plénière, avant les vacances parlementaires. Selon nos informations, les tentatives du cabinet de Frank Vandenbroucke sont actuellement bloquées au niveau des cabinets ministériels. Une source francophone indique ceci : «  Il y a déjà eu plusieurs tentatives du tandem Vandenbroucke/Robben. Ceux-ci veulent gonfler la fameuse plateforme eHealth. Nous nous attendons à d’autres essais.  »

Seule certitude au niveau du calendrier :

L’Autorité de protection des données (APD) a déjà été sollicitée pour se prononcer début juillet sur cet avant-projet de loi, et sur cet article 35/1. L’APD est sous pression. Deux membres de la direction avaient dénoncé début 2021 la présence en son sein de Frank Robben et de trois autres mandataires publics. Malgré cette composition d’équipe douteuse, gageons que l’Autorité de protection des données soulignera début juillet le flou qui entoure cet hypothétique dossier multidisciplinaire du patient, mais aussi le danger d’un oubli (volontaire ?) de la notion de consentement, si le texte devait être adopté en l’état dans la moiteur de l’été.

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  1. Oralement, par écrit ou en cochant une case sur un formulaire en ligne.

  2. On l’a vu, 86 % des Belges - soit 9,5 millions de personnes - sont aujourd’hui considéré.es comme consentant.es à la circulation électronique et protégée de leurs données de santé, sans toutefois que leur accord (tel qu’il est prévu par la loi) ait été donné de manière explicite.

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