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Ados et GSM : je partage et je checke
La parole des ados
Interview (CC BY-NC-ND) : Chloé Andries
Illustration (CC BY-NC-ND) : Sarah Fabre
Interview (CC BY-NC-ND) : Olivier Bailly
Publié le
En remplissant notre questionnaire, des ados ont accepté qu’on les rappelle (merci !). On a sauté sur l’occasion. Voici deux paroles d’ados issues de ces échanges. L’une traque sa mère, file son GSM à pas mal de potes et les géolocalise. Elle jure n’avoir rien à cacher. L’autre a carrément changé d’identité sur les réseaux pour déjouer la surveillance parentale. Elles ne sont pas des exceptions.
« Comment j’ai changé d’identité »
June
À 14 ans, Marie (prénom d’emprunt) a fait une crise d’ado carabinée. Pour échapper au contrôle de ses parents, elle s’est transformée en June sur les réseaux. Aujourd’hui, elle a 25 ans, et plus personne (à part sa famille) ne connaît son premier prénom. Elle a répondu à notre questionnaire, et nous a laissé ses coordonnées. On l’a rappelée.
« J’ai eu un GSM vers 12 ans juste pour aller à l’école, car je devais m’y rendre en covoiturage. Mes parents ça les rassurait. Mais ils ne me surveillaient pas. Il faut dire qu’à l’époque, c’était un bête GSM, je n’étais pas sur les réseaux sociaux, etc.
Mes parents n’ont jamais regardé dans mon téléphone, jusqu’à ce qu’ils sentent que je faisais une grosse crise d’ado, que je faisais pas mal de bêtises. J’avais 14 ans, je ne pensais qu’à faire la fête, sortir en cachette, rien de bien méchant mais l’ado quoi.
Il me regardait genre "Non j’ai pas touché à ton tél"
Leurs techniques étaient vraiment bidon : genre, je sortais de la pièce et quand je revenais, l’écran de mon GSM était allumé. Mon père me regardait genre, « non j’ai pas touché à ton tél ». Ça a créé peu à peu une guéguerre. Une de mes copines avait balancé les conneries qu’on faisait ensemble sur un blog, ils l’avaient trouvé et lu, c’était des trucs comme ça. Quand t’épies tes enfants alors que tes enfants maîtrisent beaucoup mieux internet que toi, t’es perdu d’avance. Je crois qu’ils le savaient, et ils ont eu la frustration de voir leur gosse s’échapper constamment. Ils n’ont jamais réussi à me contrôler.
Ils me l’ont confisqué
Pour eux, il fallait que je décroche de mes potes et de mon copain – il avait quatre ans de plus que moi, ça les stressait un peu je crois. Comme j’étais toujours sur mon téléphone, leur solution était simple : il fallait m’en décrocher. Et donc ils me l’ont confisqué. C’est là que ça a commencé vraiment. Mon mec de l’époque m’avait trouvé un autre téléphone, un truc à carte pas cher que tu rechargeais.
Mon frère était la seule personne qui le savait, du coup, il m’avait encodée comme « Aaron » dans ses contacts. C’était le premier nom de ses contacts qui s’affichait, c’était son moyen mnémotechnique. J’ai pris de fil en aiguille cette identité "Aaron". Puis quand je me suis inscrite sur les réseaux, que je savais que mes parents chercheraient à m’identifier. Cette fois j’ai pris June, un prénom qui venait d’une blague qu’une copine m’avait faite dans une soirée.
Les historiques ont défilé
Une fois, j’ai fait une recherche internet avec mon père dans son bureau, sur son ordi. Il a commencé à taper un truc et là, tous les historiques ont défilé, j’ai vu qu’il avait essayé plein de prénoms pour me trouver, il avait tapé tous les prénoms féminins d’Indochine, un groupe que j’adorais.
Avec mes amis, par contre, je n’ai jamais rien caché. Au début où j’avais un téléphone, j’avais pas trop d’amis. Puis j’ai changé d’école, j’avais plein de potes. Avec mes copines, c’était très culture gossip, on se montrait les messages les unes des autres, genre « qu’est-ce que tu vas lui écrire, qu’est-ce qu’il t’a écrit ». Je racontais aussi beaucoup ma vie sur mes Blogs, je postais beaucoup sur les réseaux.
J’ai pensé jusqu’à super tard que sur le net, il n’y avait aucune barrière à mettre, j’avais normalisé ça, dans ma vie sociale. J’ai un peu honte de le dire, mais c’est seulement depuis mes 22-23 ans que j’ai eu un déclic. C’est arrivé quand j’ai rencontré mon nouveau mec : pour lui, la vie privée c’est super important, il n’avait pas envie que mes potes aient accès aux conversations et échanges qu’on avait tous les deux. C’est là que j’ai capté qu’il y avait des barrières.
Fouiller ou tromper ?
Maintenant, je ne donne plus mon téléphone. Par exemple, imaginons que je veuille montrer une photo à une pote. Avant, j’aurais ouvert ma galerie et je lui aurais passé mon téléphone. Maintenant, je vais sélectionner la photo, et lui montrer, mais le téléphone reste dans ma main.
Aujourd’hui, la relation avec mes parents sur les réseaux respecte nos vies très indépendantes et très privées. Je suis amie FB avec mon père, on se like nos photos, on s’envoie des messages. Il me suit sur insta aussi, mais j’ai bloqué les stories. Je sélectionne les paramètres.
Ah, j’ai oublié de dire un truc :
Quand j’étais ado, mes parents ont divorcé : la raison de leur séparation, c’est que ma mère a eu une relation hors mariage et mon père l’a découverte en fouillant sur son téléphone, dans ses mails. C’est devenu le sujet d’une énorme dispute. Avec cette question : qu’est-ce qui est le plus grave : fouiller dans l’intimité de quelqu’un ou le tromper ? »
Retrouvez notre mini-série sur la famille Rienacacher, une fiction basée sur les résultats de notre questionnaire, nos travaux de recherches et des entretiens menés avec des parents, des ados et des experts.