"Tu as un si beau visage, dommage que tu aies un gros cul"
Anne (pseudo). Le sexisme ordinaire, les remarques déplacées, c’était relativement banal quand j’ai débuté ma carrière, il y a un peu plus de 20 ans dans un grand quotidien. En tout cas à l’égard des jeunes pigistes femmes. C’était tellement banalisé que pour tenter de le vivre le moins mal possible, j’y ai participé aussi, d’une manière ou d’une autre. Je n’ai pas réagi quand une (jeune) collègue se faisait chambrer sur sa jupe ou sur ses seins, qu’on disait que telle autre devait son engagement à ses talents buccaux. J’ai ri avec les 4 types qui avaient 20 ans de plus que moi quand l’un d’eux m’a mis la main aux fesses avec une remarque dégoûtante alors que j’étais en train de poser une question relative au boulot. Pourtant j’étais humiliée, mais dans la tête ça va très vite : tu sais que les (rares) femmes de la rédac sont soit considérées comme des boudins, des vieilles pies, soit comme des « bombasses », des « chaudasses ». J’ai eu le tort de croire que la 2e catégorie était moins humiliante que la première. Donc, tu ris et tu acceptes cette ambiance où, tant que tu n’as pas fait tes preuves sur le plan professionnel, certains gros lourds se permettent de te regarder comme un bout de viande. Ce n’était pas du tout la majorité des hommes, mais les quelques-uns qui sévissaient avaient le don de nous mettre dans une situation désagréable, d’autant plus qu’ils avaient un pouvoir de nuisance évident sur les jeunes pigistes. Plus que les remarques si grotesques qu’elles ne m’atteignaient pas vraiment – un chef de service me demandant si je ne confonds pas mon ordi avec mon vibromasseur quand je dois faire les petits matins, comparant ouvertement ma poitrine à celle de ma collègue en pleine réunion de service, etc. – c’est l’attitude faussement bienveillante d’un collègue qui m’a le plus plombée. Il faisait une fixette sur mes seins, puis sur mes fesses, j’avais l’impression d’être réduite à ces proéminences. « Tu as un si beau visage, dommage que tu aies un gros cul, tu devrais arrêter de manger ces crasses » (à l’heure de la pause café-chocolat), « j’ai encore fait un rêve érotique avec toi, cette nuit », en me saluant le matin, « tu sais que tu ressembles énormément à XX ? – une actrice porno », j’en passe et des meilleures. J’avais évoqué la chose avec mon chef de service, mais à part se dire que ce collègue était lourdingue, ni lui ni moi n’avons envisagé un « recadrage ». Aujourd’hui, je suis intimement convaincue que les lignes ont bougé.