"Pour les hommes, journaliste est un métier. Pour les femmes, c’est un loisir"
Julie. C’était il y a huit ans environ. Je n’avais pas 30 ans. Je venais de quitter un job de salariée pour me lancer en indépendante. Je frappais à la porte de différentes rédactions. J’ai été reçue ce jour-là par un rédacteur en chef d’une bonne cinquantaine d’années, à la tête d’un magazine d’un progressisme au-dessus de tout soupçon, à forte valeur sociale ajoutée. Il m’a directement entreprise – attaquée devrais-je dire – sur ma collaboration régulière avec un magazine “féminin”. Dans sa bouche, c’était forcément de la merde, ce type n’ayant jamais pensé que dans un monde où la presse généraliste est encore peu égalitaire (dans le choix de ses sujets et de ses intervenants comme dans la composition de ses équipes), la presse féminine n’est pas forcément une aberration satanique. Et que parfois, il faut juste faire des piges, sinon on ne mange pas. Soit, le pire était à venir. Le type m’a fait comprendre que j’étais bien gentille mais qu’en tant qu’indépendante, je ne m’en sortirai jamais, il ne fallait pas rêver : je devais certainement avoir un compagnon qui faisait rentrer l’argent à la maison, non ? Mais oui, un mec, et même plusieurs ! Je brûlais de le lui dire, mais j’ai senti que j’allais m’enfoncer – les rédacteurs en chef progressistes n’aiment pas tellement que ça déconne niveau moralité. Comment lui expliquer que non, je ne comptais pas sur le salaire d’un homme pour m’en sortir ? Aurait-il jamais posé cette question à un jeune confrère ? Je ne le crois pas. Mais c’est bien connu : pour les hommes, journaliste est un métier ; pour les femmes, c’est un loisir. Je sens encore la rage de ce jour-là : un homme qui vous fait la morale et la leçon, il me semble que c’est parfois aussi violent qu’un homme qui vous met la main aux fesses.