Salia en enseignement spécialisé

[Episode 3/3] : Tu n’as pas 86 de QI ? Paie ta logopédie.

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Amélie Carpentier.

En novembre 2019, le père de Salia tombe malade. Fini les heures supplémentaires et les boulots en extra. A l’école, Salia ne suit plus le rythme et ne s’attache pas à son institutrice. Peut-être faut-il finalement se tourner vers l’enseignement spécialisé ?

Rida, cernes creux sous les yeux, dépose Salia à ses séances de logopédie. Les primaires demandent plus de travail de la part de l’enfant et d’efforts de la part des parents. Ils discutent avec la logopède. Salia est-elle capable de réussir sa première primaire ? Peut-être, si les conditions étaient réunies… Mais son institutrice ne montre ni intérêt pour sa condition ni motivation pour lui donner plus d’attention.

A l’école, Salia ne fait plus de crise de nerfs. Elle est sage et prend sur elle. Elle en perd l’appétit, elle rentre sa boîte à tartine pleine et personne ne le remarque. Quand Rida vient la chercher après l’école, elle pleure aussitôt dans la voiture. Parfois, il a besoin d’une bonne heure pour la calmer et essayer de la comprendre. Parfois, elle a juste faim. Ils ont l’impression de la déposer à la garderie, ils n’ont pas de dialogue avec le corps enseignant qui applique une pédagogie élitiste à laquelle Salia ne peut pas et ne pourra jamais répondre. Pour les parents, le but était double : “qu’elle aille au-delà de ses capacités et qu’elle développe des relations avec les autres élèves sans handicap”.

S’il est certain qu’elle doit changer d’école, ils tergiversent concernant le type d’enseignement : ordinaire ou spécialisé ? Les écoles inclusives, c’est le projet que Cynthia a toujours valorisé. Ils en ont visité deux, à Floreffe et Banneux, mais « nous avons eu cette sensation de classe d’enfants handicapés et isolés. » Malgré cet aperçu, ils ne jugeront jamais le boulot mis en place par les écoles inclusives. 

Les écoles inclusives, trop peu nombreuses et sur-sollicitées, font face à leurs propres challenges. Dans un guide intitulé “Vers un système d’éducation inclusif en Belgique” rédigé par Unia en 2019, l’association dénonce un système d’éducation belge qui « ne répond pas aux normes internationales et européennes en matière d’inclusion. Le nombre d’enfants en enseignement spécialisé est élevé et en constante augmentation, spécialement en Communauté française. En Europe, en moyenne, 1,54 % des élèves sont inscrits dans l’enseignement spécialisé. En Belgique, ce pourcentage est beaucoup plus élevé : 3,98 % en Flandre et 4,13 % en Wallonie. (…) En Communauté française, le nombre d’élèves en enseignement spécialisé a dramatiquement augmenté. En dix ans, entre 2008 et 2018, l’augmentation a été de 31 % dans le maternel, de 13 % dans le primaire et de 21 % dans le secondaire. »

Salia se trouve dans un entre-deux scolaire, juste en-dessous du niveau nécessaire pour l’enseignement ordinaire où elle a été scolarisée pendant trois ans.

Finalement, ses parents optent pour l’enseignement spécialisé en se promettant de ne pas arrêter les activités extra-scolaires. Ce changement implique qu’ils perdront le remboursement des frais de logopédie, puisque l’INAMI estime que Salia bénéficiera d’un suivi à l’école. Mais une chose est sûre : ils veulent garder Caroline, quitte à payer de leur poche. Rida ajoute : « on fait juste ce qu’on peut. C’est fort fatiguant psychologiquement, mais on sait que ce sera bénéfique plus tard. Nous avons de l’ambition pour elle. On cherche son petit bonheur. »

Caroline se souvient. Quand elle les a rencontrés, elle a remarqué comme ils se projetaient dans la future vie de leur fille, la voyant faire ses courses et vivant dans son appartement en autonomie. Bien entendu, le transfert en enseignement spécialisé n’empêche pas ces projets. Les parents pourront se reposer sur les enseignants, ayant fait le choix de travailler avec ce public. Enfin, pas si vite. Rida promet, dans un éclat de rire, « qu’ils continueront d’embêter les professeurs ».

Ils trouvent assez rapidement une école à Amay, à 15km de chez eux. En janvier 2020, Salia dit au revoir à son école pour faire son entrée dans une autre. Dès la première semaine, elle se fait des copains et se plaît dans sa classe. Elle se rend compte que ses camarades peuvent aussi avoir des difficultés scolaires. Elle figure parmi les meilleurs élèves et elle a retrouvé son sourire de petite fille joyeuse.

Malheureusement, puisqu’elle est arrivée en cours d’année, toutes les places chez la logopède de l’école sont prises et ses parents ont perdu le remboursement des prestations effectuées en-dehors de l’école. Pour rappel, il n’est pas accordé si l’enfant est en enseignement spécialisé.

Les fins de mois sont difficiles. Cynthia et Rida ont trois enfants et vivent sur la mutuelle du père. Les parents soupirent, « c’est épuisant de demander de l’aide ». Cette fois, ils demanderont au CPAS de leur commune. Rebelote, ils constituent un dossier avec l’expertise de Caroline. « Ils ont du cran, c’est un message fort d’appeler le CPAS et de leur dire : mon enfant a besoin de logopédie, je ne sais pas payer, j’ai besoin de votre soutien. »

Leur demande est acceptée, ils reçoivent une allocation de 100 euros par mois à renouveler chaque année. Cela couvre la moitié des frais de logo.

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