Son avocat : « Ce n’est pas un hasard. Il était Noir »

Episode 3/3

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Paul Peyrolle. CC BY-ND.

La famille de Dieumerci Kanda est convaincue que la police a commis des erreurs. Son avocat de l’époque parle de racisme. Une plainte avec constitution de partie civile est déposée et le juge d’instruction est saisi.

Début 2019, le juge d’instruction Tassin conclut l’enquête judiciaire entamée début avril 2015 et remet le dossier à la chambre du conseil. Celle-ci établit, à la demande du procureur du roi, que rien ne peut être reproché aux agents concernés.

Le 19 mars 2019, un non-lieu est prononcé. Il n’y aura pas de procès. Me De Quévy, le deuxième avocat de la famille, peut alors interjeter appel, mais il laisse expirer le délai. La famille Kanda n’est au courant de rien et n’apprend la décision que plusieurs mois plus tard. À ce moment, le parquet de Bruxelles a déjà clôturé l’affaire définitivement.

« Nous estimons avoir été gravement trompés par l’avocat De Quévy », regrette Bijou. « Nous pensions qu’il mettrait tout en œuvre pour que justice soit faite, mais mis à part facturer de grosses sommes, il ne s’est pas du tout occupé de l’affaire. »

Me De Quévy n’a pas souhaité faire de commentaire. Son prédécesseur, Me Deswaef, livre en revanche une réaction. Il dit regretter que la famille en soit venue à changer de conseiller. « J’ai probablement été trop peu joignable pendant la longue durée de l’instruction et je leur ai donné trop peu d’explications. L’affaire s’est terminée de façon très soudaine. Dès le moment où la famille fait appel à un autre avocat, les règles de déontologie m’interdisent de reprendre contact avec elle. »

Me Deswaef est horrifié par ce qui s’est produit. « La police n’avait absolument pas à arrêter Dieumerci. Si j’allais, moi, déclarer la perte de mon portefeuille, j’aurais très peu de chances de me retrouver en cellule. Le racisme et la discrimination jouent un rôle dans cette affaire. Ce n’est pas un hasard si c’est arrivé à Dieumerci. Il était Noir. »

« La police est responsable de l’intégrité et de la santé de ceux qu’elle arrête », poursuit l’avocat. « Personne n’a regardé les écrans de surveillance, alors que l’homme a plusieurs fois appelé à l’aide. Ce manque de vigilance est une faute grave de la police. Selon moi, il s’agit ici manifestement d’un cas d’homicide involontaire. L’article 418 du code pénal est clair. »

Me Deswaef trouve incompréhensible qu’un non-lieu ait été prononcé. « Le procureur a tendance à se ranger du côté de la police, et la chambre du conseil suit la réquisition du procureur. »

Nouvelles règles 

Alphonse Peeters, le chef de corps de la zone Midi, démissionne un an après les faits. Selon des sources anonymes, il est poussé vers la sortie pour cause de dysfonctionnements. Le commissaire A.B., qui avait confirmé l’arrestation de Dieumerci, se retrouve lui aussi sur la sellette. Selon le journal Het Laatste Nieuws, à la fin de 2017, plus de soixante plaintes avaient été déposées à son encontre par des collègues pour humiliation publique et excès de pression au travail. L’homme a depuis été transféré dans une autre zone de police.

Pendant l’été 2020, Jurgen De Landsheer est nommé comme nouveau chef de corps. Lui ne pense pas qu’il soit question de racisme et de discrimination dans l’affaire Kanda. « L’équipe compte divers collaborateurs d’origine immigrée. Tous sont très ouverts aux cultures et ethnies différentes. » Le chef de corps De Landsheer dit attacher une grande importance à la bonne communication.

Lors d’une visite guidée du poste de police de la rue Démosthène, le vendredi 19 mars, il insiste sur les nombreuses caméras installées partout. « Nous enregistrons autant d’images que possible pour qu’aucun litige ne puisse survenir. La transparence est essentielle à la confiance entre les citoyens et la police. »

J’emprunte l’escalier vers le sous-sol et me retrouve devant la cellule où Dieumerci a été incarcéré et s’est suicidé. Comment est-il possible que quelqu’un aille déclarer la perte d’un portefeuille puis s’ôte la vie trois heures plus tard ? « L’enfermement est une expérience très intense », explique le chef de corps. « Il n’est pas rare que la personne ait une réaction de panique et se fasse du mal. Le risque d’un tel scénario est plus grand si l’intéressé a peu d’interactions avec la police. »

Si l’incarcération d’une personne peut provoquer de telles réactions, ne faut-il pas justement redoubler de vigilance ? « Je ne connais pas les détails de l’affaire Kanda », se défend De Landsheer.

« Chaque année, dix mille personnes sont arrêtées et placées en détention dans la zone Midi. Dans la grande majorité des cas, tout se passe bien. Mais parfois pas. Peut-être la charge de travail était-elle énorme ce jour-là, ce qui s’est répercuté sur la surveillance. Nous faisons tout pour limiter les risques au maximum. Nous ne pouvons évidemment pas enfermer des gens sans raison valable. »

Après la mort de Dieumerci, la surveillance a été renforcée. Dans la petite pièce du chef de poste se trouve désormais un agent veillant au grain. « Sous ma direction, ce poste de contrôle est toujours occupé », souligne De Landsheer. « Nous voulons prévenir tout risque de répétition. » Le chef de corps souhaite éliminer les cellules au poste de police. « Chaque poste est équipé d’un certain nombre de cellules. À l’avenir, il serait préférable qu’elles soient centralisées en un seul et même endroit et gérées par une équipe formée à la tâche. Nos agents de police doivent assumer de nombreuses fonctions différentes. L’accompagnement de détenus exige une expertise que tout le monde ne possède pas. »

Concernant l’arrestation, De Landsheer dit ceci : « Une personne ivre ne peut être arrêtée que si elle constitue un danger pour elle-même ou pour son environnement. Les agents peuvent aussi choisir de l’accompagner jusque chez elle. Mais dans ce cas, elle ne doit pas poser de danger et doit être accueillie comme il se doit à son domicile. Dans une petite zone de police, il arrive régulièrement qu’on dépose quelqu’un chez lui. C’est l’inconvénient d’une grande ville : du fait de la charge de travail, l’engagement de la police au service du citoyen est parfois moindre. »

« Nous continuerons »

La famille a entretemps fait appel à un troisième avocat. Me Jehosheba Bennett est parvenue, elle, à mettre la main sur les images de la cellule. Elle en a transmis une partie à la famille Kanda. Mais la vidéo n’a pas dissipé les doutes. La famille reconnaît à peine Dieumerci sur les images de mauvaise qualité. « Mon mari est en souffrance, c’est clair », clame Bijou. « Pourquoi n’a-t-il pas été soigné ? Que lui a tendu l’inspecteur J.P. à travers les barreaux ? Pourquoi a-t-on prétendu que les images avaient été effacées ? Peut-être fallait-il d’abord en supprimer une partie ? Pourquoi les agents de police n’ont-ils pas essayé de le réanimer ? Ils sont pourtant formés pour le faire. »

Bijou essaie aujourd’hui de reprendre le fil de sa vie. « Heureusement, les enfants vont bien. Mais ils sont abîmés. Quand ils voient la police, ils se cachent. »

Bijou et Nicole refusent d’accepter que les agents n’aient pas été sanctionnés. Elles ont récemment collé des affiches dans le quartier du poste de police incriminé. Plusieurs personnes les ont contactées en disant y avoir subi des discriminations et des humiliations.

Selon Me Bennett, des éléments nouveaux seront nécessaires pour rouvrir l’affaire. Mais Bijou et Nicole n’abandonnent pas. « Nous continuerons jusqu’à ce que les agents doivent répondre devant un tribunal. Le dernier mot n’est pas encore dit sur cette affaire. »

Avec le soutien du Fonds Pascal Decroos pour le journalisme. Cette histoire a initialement été publiée par Apache.

Le Conseil de déontologie journalistique a constaté une faute déontologique dans cet article. Son avis peut être consulté ici

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