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Droiture, entraide et vigilance
Portrait des Lasnois qui habitent et animent les quartiers PLP - autrefois appelés “Les voisins veillent”.
Il en existe trois à Lasne, 249 en Wallonie et 1 023 en Flandre. Les PLP (pour Partenariats Locaux de Prévention), chapeautés par le SPF Intérieur, visent à “renforcer la sécurité et la qualité de vie au sein d’un quartier”. A Lasne, qui est à la manœuvre ? Pour quels résultats ?
Chantal Balthazart travaillait dans une banque à une époque où le cash circulait encore en masse. Guichets, clients, transferts de fonds, bref : “il fallait faire gaffe”. C’est ainsi qu’elle est devenue “attentive” - pas tant aux personnes, “leurs vies ne me regardent pas”, qu’aux comportements ou à son environnement. Désormais pensionnée, la sécurité est restée un réflexe.
Marc Coppieters est également à la retraite. Il partage d’autres points communs avec Chantal Balthazart : du temps libre, des archives bien tenues, une envie de s’investir, une conscience législative (“que dit la loi ?”, “que ne dit-elle pas ?”) et une certaine sérénité. Même lorsqu’il raconte les cambriolages parfois violents vécus dans le voisinage.
Tous deux, Chantal et Marc, ont endossé il y a six ans, à six mois d’intervalle, le rôle de coordinateur de PLP (partenariat local de prévention) pour leurs quartiers résidentiels respectifs. Plancenoit-Lanternier pour elle, à l’extrême-ouest de la commune de Lasne ; Champ de Couture pour lui, plus au centre. Elle voulait que les cambriolages cessent ou diminuent ; il voulait connaître les bons gestes à adopter et en faire profiter les voisins.
Concrètement, Marc et Chantal sont devenus le point de contact entre leurs voisins et la zone de police de la Mazerine (Lasne - Rixensart - La Hulpe). Ils font transiter, d’un pôle à l’autre, les informations relatives à la sécurité. Pas plus tard que la semaine dernière, l’agent de quartier de Plancenoit envoyait un email à Chantal signalant qu’il n’y avait justement “rien à signaler” dans le village, outre un tournage prévu à l’église. Et Chantal transférait l’information (brute) aux soixante membres de son PLP - “je n’ajoute aucune interprétation, pas question de chercher à savoir si le tournage augmente ou diminue les risques de cambriolages”. A d’autres occasions, il lui est arrivé d’ajouter quelques “bons conseils” pour éviter les vols ou les arnaques téléphoniques.
En sens inverse, ça donne : Chantal qui écrit à l’inspecteur de quartier pour lui rapporter “une voiture avec une plaque étrangère abandonnée en début de rue” ou “un vélo resté plusieurs jours sans propriétaire”.
Il faut avoir en tête que les six rues du PLP Plancenoit-Lanternier sont tellement propres, lisses, uniformes, aseptisées - et c’est d’autant plus vrai chez Marc, à Champ de Couture - que le moindre “écart” attire l’attention. Ici, un vélo (é)garé trop longtemps “perturbe”. Ailleurs, il se fondrait dans le décor. Mais si la moindre nouveauté est assimilée à une anomalie, par des habitants déjà sur leurs gardes, où tracent-ils la frontière entre le “pas grave” et le “suspect” ? Quelles informations partagent-ils ?
Chantal Balthazart peine elle-même à définir cette frontière : “Etre louche, ça veut tout et rien dire”. Elle se souvient des débuts de son PLP : “J’ai reçu beaucoup d’appels pour beaucoup de choses, parce que chacun essayait de faire de son mieux. Mais après, on s’est calmé”. Elle affirme avoir pleinement conscience du risque que toute cette vigilance représente - d’où son investissement en tant que coordinatrice, dépositaire du cadre légal. Elle pointe ensuite un second risque lié aux PLP : augmenter le sentiment d’insécurité. A nouveau, elle y veille : “Je n’envoie pas de messages qui pourraient faire paniquer les gens”.
Chantal est donc la voisine qui veille sur ses voisins, afin qu’ils n’en fassent pas trop quand ils veillent eux-mêmes sur leurs voisins.
Mais qui sont les voisins ?
Des profils variés, selon les deux coordinateurs. Propriétaires ou locataires, familles ou pensionnés. En première instance, nous avons cependant été incapables de confirmer cette information : nous n’avons croisé personne dans les rues de Plancenoit-Lanternier, Champ de Couture et Bois Magonette. Totalement désertes. Pour ouvrir la discussion, Médor a donc rédigé un questionnaire, et sur les 200 toutes-boîtes distribués, nous avons à ce jour reçu douze réponses.
Onze relativement favorables aux PLP :
Et une missive catégorique :
Douze sur 200, ce n’est pas un maigre butin lorsqu’on sait que Chantal Balthazart, Marc Coppieters et Michel Aeby (le coordinateur du PLP Bois Magonette) n’avaient pour ainsi dire aucun contact avec leurs voisins jusqu’à la création des PLP. En gros, personne ne se parlait. Alors forcément, maintenant que le voisinage se rencontre au moins une fois l’an pour discuter de sécurité et d’insécurité, ça passe pour du vivre-ensemble. D’autant qu’entre les réunions, quand les uns et les autres se croisent, ça se salue, ça discute, ça connaît parfois les prénoms. Ça change, quoi.
“Cohésion sociale”, “contact avec les voisins”, “meilleure connaissance avec les voisins”, “créer une cohésion”, “augmenter la solidarité entre voisins”… Le même vocabulaire, en boucle. Et bien que ce ne soit pas la fonction première d’un PLP, pour nos douze répondants (merci à eux !), l’entraide est indéniablement l’un de ses avantages.
A Lasne, l’insécurité fait office de levier de rassemblement, là ou d’autres prétextes échouent à susciter une telle participation. La première réunion du PLP Plancenoit-Lanternier a réuni 68 personnes pour 100 maisons concernées - même le commissaire de l’époque fut surpris. Six ans plus tard, 60 % du quartier est toujours membre. Au Champ de Couture : 80 %. A un jet de pierre de ces deux quartiers à PLP… rien. Les habitants de la place de Plancenoit n’ont par exemple jamais été tentés par l’expérience.
De façon générale, Lasne maintient son nombre de PLP “officiels” - trois en 2014, trois autres en 2019, les premiers ayant disparu avant l’arrivée de nouveaux. Notons que ce recensement ne comprend pas le groupe (pour sûr, il y en a un) voire les groupes WhatsApp à vocation sécuritaire, fermés et animés par des Lasnois.
Evolution du nombre de PLP en Belgique
Dans le Brabant wallon, parmi les derniers arrivés : le PLP Gros Tienne, sur la commune de Rixensart, qui monte ainsi à six PLP et devrait même passer à huit dans les mois à venir. Sévère pic de croissance. Mais pour Gros Tienne, ce sont surtout le calendrier et les protagonistes qui posent question :
- Le 14 juin 2018, Bernard Remue, alors 3e échevin à Rixensart (NAP-MR), organise à son domicile une première réunion pour lancer un PLP dans son quartier. L’invitation, signée par l’échevin libéral et tirée à 200 exemplaires, ne mentionne pas son mandat politique. On est à quatre mois, jour pour jour, des élections communales.
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- Deux semaines plus tard, second courrier de Bernard Remue pour saluer le succès de la première réunion, inciter les inscriptions et ouvrir les candidatures au poste de coordinateur, qu’il ne peut assumer lui-même, vu son mandat politique (celui-ci n’est pas mentionné non plus dans ce second envoi). Au passage, notons que l’échevin Remue espère bien rempiler : il sera 4ème sur la liste libérale.
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- Le 8 janvier 2019, signature festive de la charte du PLP Gros Tienne à la maison communale de Rixensart. Patricia Lebon, bourgmestre (NAP-MR), Bernard Remue, désormais 4e échevin, Alain Rummens, chef de corps de la zone de police de la Mazerine et Herman Bertrand, coordinateur du PLP Gros Tienne (élu à son plus grand étonnement) sont forcément présents, ainsi qu’une vingtaine de membres du nouveau PLP (sur 42 inscrits).
- Ce 23 octobre : première visite nocturne du quartier, organisée par Julie Rasmont, responsable PLP pour la zone de police de la Mazerine, afin de transmettre des conseils de sécurité (l’essence du PLP). Nombre de participants : trois. Dont le coordinateur. Aucune trace de Bernard Remue. Le dirigeant communal n’est pas membre du PLP qu’il a pourtant initié avec beaucoup d’entrain.
On constate : un manque de participation dès la concrétisation du PLP. Des motivations diverses (on nous a autant parlé de barbecues entre voisins que de sécurité). Un PLP à 500 mètres du commissariat de la Mazerine. Peu de vols ou de tentatives de vol ces quatre dernières années… Autant d’éléments qui ne collent pas avec le scénario classique d’un nouveau PLP.
On se demande : qui en avait besoin ? Pour quelles raisons ?
Le développement des PLP figurait parmi les promesses électorales du candidat Bernard Remue. Le 4e échevin de Rixensart nous répond qu’il “ne faut pas tout mélanger”, que le lancement du PLP Gros Tienne s’est tenu “bien avant les élections communales”. Qu’il a depuis lors simplement “oublié” d’en devenir membre, et qu’il n’était “pas au courant” de la balade nocturne du 23 octobre. Il insiste enfin sur le fait que le PLP Gros Tienne répond à une demande citoyenne, comme le prévoit la législation.
C’est effectivement la procédure : d’abord l’initiative citoyenne, puis le soutien communal et policier. Mais dans les faits - et Rixensart l’illustre parfaitement - la frontière est poreuses entre les trois parties concernées, chacun y trouvant son compte.
Laurence Rotthier, la bourgmestre libérale de Lasne, ne s’en cache pas : “les PLP sont une réussite”. Une petite pile de prospectus est d’ailleurs disponible à l’entrée de son bureau. Jean-Michel Duchenne, ex-commissaire de la Mazerine, tête de liste pour le parti centriste DéFi aux élections d’octobre 2018 et conseiller communal depuis un an : “Les PLP ? Cela nous a servi, on a pu déjouer des coups. Et ça responsabilise les gens. Faire uniquement confiance à la police, c’est bon dans la tête mais en pratique, ce n’est pas faisable.”
Nombre de vols et tentatives de vol à Lasne, La Hulpe et Rixensart
Si les PLP apparaissent généralement après une vague de cambriolages (comme en 2017 à Bois Magonette, cfr tableau), l’inverse reste à prouver (que les cambriolages disparaissent après une vague de PLP).
Pour Lasne, Julie Rasmont joue la prudence : “ Même en étudiant les six ans d’expérience du PLP de Pancenoit, je constate une diminution du nombre de vols, mais je ne suis pas en mesure de dire si celle-ci est uniquement le fruit du PLP. Il faudra des études sur du long terme .” Ça tombe bien, l’université de Gand commence à s’y atteler, à la demande du SPF Intérieur. Chantal Balthazart et Marc Coppieters sont, eux, déjà totalement convaincus de l’utilité de leurs PLP.
Charles Boseret aussi. Au point d’en paraître complètement nostalgique. Il était le coordinateur du RIQ du centre de Lasne (pour Réseau d’information de quartier, donc, l’ancêtre du PLP), mais ce RIQ mixte (commerçants et habitants) n’existe plus. Le panneau de signalisation “Les voisins veillent” a survécu, en face de la brasserie La Tartine, mais parce que personne ne semble vouloir le déterrer.
L’ancienne farde de Charles Boseret existe, elle, toujours bel et bien. Elle est chargée de bulletins d’informations de la police et d’indications sur les membres des PLP du coin.
La police de Lasne n’est pas dupe : elle sait que des informations circulent entre les PLP, et même au-delà (Internet, tout ça). Ça la dérange. Elle limite donc désormais les informations qu’elle transmet. Et ça le dérange, Charles Boseret : “Maintenant, je suis prévenu uniquement par le PLP de Plancenoit (où il n’habite pas). Ils me tiennent au courant de ce qu’il se passe, parce que la police ne veut plus rien me dire.”
Il poursuit : “C’est fini l’époque où l’on connaissait les agents de quartier. Au moindre problème, on ne connaît pas les policiers qui interviennent”. Ce qui ne l’empêche pas d’entretenir le contact : “Si on me signale quelque chose, je transfère l’info aux policiers.”
A titre d’exemple, il cite “des camionnettes qui restent là des heures, avec des gens qui rentrent et qui sortent”, “des gens un peu basanés”, “des comportements bizarres”. “Ce n’est pas de la délation. On donne l’information puis la police fait son boulot. Elle vérifie ou ne vérifie pas. Elle ne nous dit pas ce qu’elle a fait de cette information, et ce qu’il en est advenu.”
Citoyen policier ? Charles Boseret bondit. “Non, vous n’avez rien compris. C’est de la vigilance. Quand on a été cambriolé, on est sur ses gardes.”
Le RIQ du centre de Lasne ne devrait pas revoir le jour de si tôt. La zone de police de la Mazerine constate en effet qu’il n’y a actuellement aucune demande des commerçants ou des habitants du centre en faveur d’un tel retour.
Le PLP de Plancenoit, de son côté, est en train de vivre une forme d’expansion thématique. Lors de sa réunion annuelle, le 25 septembre dernier, un projet de créer une zone de circulation ralentie à 30 km/heure est monté à l’ordre du jour, au milieu d’autres idées pour améliorer la sécurité (au sens large, du coup) sur le chemin du Lanternier. Six ans après sa création, le PLP s’assimile de plus en plus à un “simple” comité de quartier.
Qui sait, Lasne est peut-être en train de vivre un transfert intégral. Avec des Lasnois qui ne se parlaient plus, mais qui ont recréé de l’entraide. Avec de l’entraide qui découle directement d’un projet sécuritaire. Avec un projet sécuritaire qui risque d’augmenter l’isolement des Lasnois. Avec des Lasnois qui veillent bénévolement sur leurs voisins, parce qu’ils en ont marre du manque de réactivité des services publics. Avec des services publics qui se reposent en partie sur des citoyens pour gérer la sécurité d’une commune.
Aujourd’hui, à Lasne, qui est public, qui est privé ? Qui est ouvert, qui est fermé ?