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Médor, c’est comme la gym

L’édito de Médor n°39

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Laura Matikainen.

Un média d’information peut-il « prendre soin » de ses contemporains ?

Pour la metteuse en scène et artiste numérique Valérie Cordy (voir notre interview), la culture joue un rôle de « soin » dans notre société. Dans l’Antiquité, les citoyens allaient au théâtre comme ils allaient aux thermes : pour causer le coup, se purifier et en ressortir en meilleure santé. Dans les années 1920, quand les ouvriers ont obtenu du temps de loisir, les élites politiques du Hainaut ont imaginé que le théâtre ou la lecture contribueraient, au même titre que l’exercice physique ou la décoration intérieure, à détourner les « masses prolétariennes » de l’alcoolisme, de la violence domestique et de l’ignorance. Dans leur esprit, la culture menait les foules vers plus de santé physique, mentale et sociale.

Un média d’information peut-il, lui aussi, participer à cette mission de « prendre soin » de nos contemporains ? Dans How Journalists Engage, Sue Robinson décrit un changement des valeurs fondamentales de la presse : l’émergence de nouvelles pratiques, pensées autour de la construction de la confiance et de l’« engagement » (au sens de « participation »). En plus de leurs fonctions traditionnelles, exercer une vigilance démocratique et raconter des histoires, les journalistes peuvent, selon elle, contribuer à reconstruire des liens au sein des communautés et à faciliter le dialogue. Pour cette journaliste américaine, l’information doit rejoindre l’« éthique du care », qu’on appelle parfois en français « éthique de la sollicitude ». Il s’agit d’un projet de société, formalisé dans les années 1980, structuré autour de l’attention à l’autre, de la prise en compte des vulnérabilités et de l’interdépendance entre les gens. Pour reprendre les mots de la philosophe Fabienne Brugère, cette éthique « donne à entendre la voix des fragiles et met en garde contre les dérives marchandes de notre société ».

À l’instar de la gym, du krump ou de l’apnée sans bouger (lire notre BD), Médor essaie donc de « prendre soin ». De vous, de nous et des autres. Comment ? En donnant la parole à des personnes vulnérables, comme ces résidents et résidentes de maisons de repos « pirates » ou ces ados qui ne peuvent pas se payer des dents bien alignées (voir notreenquête sur l’orthodontie). Mais aussi, en créant du lien, par notre bureau ouvert sur la rue ou nos enquêtes participatives.

Et c’est là que nous vous présentons le projet « Sauvons nos sentiers », qui va nous mobiliser pendant plusieurs mois. Vous êtes en effet nombreux à nous écrire, depuis des années, pour nous alerter sur la privatisation de chemins publics, qui vous empêche de vous promener ou de rejoindre facilement la commune ou le village d’à côté. D’après une lectrice qui nous a récemment contactés, il y aurait même quelque part des sangliers qui ne savent plus par où passer. Aidez-nous à cartographier ces situations d’entraves à la marche, à la course ou au vélo. Racontez-nous les luttes, individuelles ou collectives, qui se mettent en place pour défendre ces petits biens communs. Quels sont vos victoires, vos erreurs, vos conseils ? Comment peut-on engager le dialogue, avec les propriétaires, les autres usagers ou les communes, trouver des terrains d’entente, faire valoir nos droits (et ceux des sangliers) ?

De la confiance

Cette enquête participative n’est pas la première chez Médor. L’article sur l’orthodontie que vous lirez dans ces pages et qui se prolonge sur medor.coop/sourire a démarré par une récolte de devis auprès de parents d’ados. Précédemment, nous avions réalisé une enquête « Flûte, j’ai poney » sur le coût en temps, argent et charge mentale des activités extrascolaires de nos enfants (plus de 220 réponses à notre questionnaire). Il y a deux ans, vos nombreux témoignages sur les violences dans le scoutisme avaient permis de dégager des pistes, de dialo­guer avec les mouvements de jeunesse et de soutenir leurs efforts de changement.

Chacune de ces enquêtes nous oblige à présenter ouvertement nos intentions, nos hypothèses, notre méthode de travail et à en débattre avec vous. Nous recevons toujours beaucoup d’encouragements, mais aussi quelques réactions outrées, un mail d’insultes à l’occasion, qui nous permettent d’évoquer les règles déontologiques de notre profession ou les contours de la liberté de la presse. Ce travail « portes ouvertes » permet de créer davantage de confiance entre notre média et le public, ceux et celles qui nous amènent de l’info ou en bénéficient.

Enfin, chaque trimestre, nos petites annonces créent des échanges « en dur » (sans colis, sans camionnette). De la poésie, de l’amour et de la solidarité aussi. Une personne rappelle l’existence de taxis gratuits pour les victimes d’agressions sexuelles. Une autre remercie ses amis, ses collègues et ses enfants qui amènent de la joie dans ce monde morose. Ces deux annonces se trouvent page 28, sous l’onglet « soin ».

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  1. À l’origine de la Commission provinciale des loisirs de l’ouvrier.

  2. Par la philosophe et psychologue américaine Carole Gilligan.

  3. L’une des pilotes de ce numéro remercie, au passage, la très gentille personne qui lui a donné une machine à coudre suite à une annonce parue dans le dernier Médor.

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