Le sexe quand on a un TDA(H)

Les personnes qui ont un trouble du déficit de l’attention s’envoient plus souvent en l’air. Avec ou sans partenaire.
Selon l’association TDA/H Belgique, 3 % des adultes en Belgique vivent avec un trouble du déficit de l’attention, avec ou sans hyperactivité (TDAH), qui se manifeste par des symptômes d’inattention, d’hyperactivité ou d’impulsivité. Sans compter toutes les personnes qui n’ont jamais franchi le cap du diagnostic – un cap à 400 € environ. On sait de plus en plus comment ce trouble impacte la vie scolaire, professionnelle et sociale. On sait moins que le TDAH a aussi des répercussions sur la vie sexuelle.
Ekila, 30 ans, est libraire à Bruxelles. « Si l’envie me prend de me masturber une fois, j’ai besoin de le faire non-stop. C’est comme une drogue. À d’autres périodes, je peux ne pas le faire pendant des mois. » Antoine, musicien de 36 ans, se souvient s’être masturbé compulsivement durant ses examens. « Ça me soulageait, un peu comme la drogue ou l’alcool. Quand il faut être productif, vaut mieux se masturber que se mettre une race. »
Des études initiées par Lorenzo Soldati, responsable de l’Unité de médecine sexuelle et sexologie des Hôpitaux universitaires de Genève, montrent que les personnes TDAH ont un désir sexuel et une fréquence de masturbation plus élevés que la moyenne. L’explication est simple : le sexe augmente la dopamine, ce qui apaise les symptômes du TDAH.
Solution masturbation
La créatrice de contenu bénino-canadienne Jessica Prudencio (30 ans) se définit comme une « grosse féministe intersectionnelle et pro-black, antiraciste, anti-diète, fat positive et sex positive ». Elle est aussi TDAH et est l’une des premières à évoquer ouvertement l’impact de ce trouble sur sa vie sexuelle. « J’ai utilisé le sexe pour me réguler émotionnellement quand je n’avais pas d’autres moyens, affirme-t-elle. ’Y a eu des moments dans ma vie où je pouvais pas sortir du lit sans m’être masturbée cinq fois. J’ai demandé à mon psy si j’étais nymphomane, mais c’était pas de la libido ; c’était juste un manque que j’essayais de combler. »
Les études de Lorenzo Soldati montrent que le TDAH peut influencer le désir et entraîner des comportements à risques. Dès le début de notre entretien, Ekila précise qu’elle est vierge. « Ça me demande trop d’effort de tenter et je risque de trop mal le vivre si ça ne se passe pas bien. J’ai trop peur d’être déçue, que ça n’en vaille pas la peine. »
Une des caractéristiques des personnes TDAH est la recherche d’adrénaline. Dès lors, elles ont plus de chances de développer des addictions. Même si ce n’est pas le cas d’Ekila, elles sont en moyenne plus jeunes lors de leur premier rapport sexuel, elles ont aussi plus de partenaires, zappent plus facilement la contraception et les protections par oubli ou emballement, et ont par conséquent plus de chances d’avoir une MST ou une grossesse non voulue, toujours selon les recherches de Lorenzo Soldati.
Plus jeune, Antoine a eu une relation libre plutôt chaotique. « On ne se protégeait jamais. Tu ajoutes au TDAH les drogues et l’alcool… Je vivais la peur au ventre tout le temps ! » Il est impossible pour lui d’aborder ces sujets sans « mettre la came et l’alcool dans l’équation. On est beaucoup à s’autosoigner grâce à la défonce. » Antoine a développé une addiction à l’alcool et aux drogues. Aujourd’hui, il a tout arrêté : « La prise en charge de mes addictions et de mon TDAH a commencé en même temps. J’ai vite compris que la came foutait tout en l’air. M’en libérer m’a permis de gérer mon TDAH. »
Après l’adrénaline, peuvent apparaitre des troubles sexuels, allant de l’éjaculation précoce à l’aversion sexuelle et aux difficultés d’orgasme ou d’excitation. « J’ai pas honte de dire que j’ai rarement atteint l’orgasme avec d’autres personnes parce que je suis tellement facilement distraite, confie Jessica. Si y a un bruit, que j’entends les voisins ouvrir la porte… Je suis sortie du moment. »
Le fait d’être dans sa tête pendant un rapport peut entraîner des difficultés relationnelles et émotionnelles. Ces situations peuvent être si intenses qu’elles risquent d’entraîner une fuite du sexe, voire une aversion totale.
Des cycles qui dérèglent
Jessica et Ekila ont découvert qu’elles étaient TDAH sur le tard. Ça se présente en effet différemment chez les enfants genrées filles, dont les symptômes sont plus discrets que chez les enfants genrés garçons. « On n’a pas le droit de gigoter dans tous les sens ; on doit être studieuses, calmes », dit Jessica. Seule enfant noire, elle a simplement été mise dans la case de l’élève racisée irrespectueuse. Quant à Antoine, son parcours scolaire est marqué de résultats incohérents et de convocations parentales dans le bureau de la direction. N’étant pas sensibilisé au TDAH, son entourage a pensé qu’il avait juste besoin de se dépenser plus.
Outre le diagnostic tardif, le TDAH affecte aussi différemment les personnes selon leurs hormones. Lorenzo Soldati montre que les règles font varier le TDAH au cours de chaque cycle. Après les menstruations, le corps subit une augmentation des œstrogènes, donc le niveau de dopamine est plus stable et vient diminuer les symptômes du TDAH. En phase prémenstruelle par contre, les œstrogènes diminuent, ce qui entraîne une baisse de sérotonine, qui vient aggraver le TDAH.
Le syndrome prémenstruel (SPM), qui provoque entre autres fatigue, irritabilité, anxiété et changements d’humeur, existe dans une version plus intense appelée le trouble dysphorique prémenstruel (TDPM). Ses symptômes peuvent aller jusqu’aux pensées suicidaires. Sa prévalence est de 3 à 8 % mais monte à 45,5 % chez les TDAH.
C’est le cas de Jessica : « Chaque mois, deux semaines avant mes règles, je sens que tout est dérégulé, dit-elle. Je suis hypersensible et j’ai envie de mourir sans raison particulière. » Ekila aussi a du mal à naviguer entre ses cycles : « Une semaine avant mes règles, c’est un délire. Et pendant mes règles, je ne peux rien faire. D’ailleurs je fume plus de weed et mange plus pour ressentir mes émotions. » Ce rapport TDAH/hormones s’applique également aux différentes phases de grossesse et à la ménopause.
Si Lorenzo Soldati et Jessica se penchent – à leur manière – sur les liens entre TDAH et sexualité, les deux regrettent le manque d’information disponible sur le sujet. Lors des rencontres effectuées pour cet article, plusieurs personnes TDAH ont déclaré n’avoir même jamais pensé au lien entre les deux. « Mais c’est tellement évident maintenant qu’on en a parlé », conclut Antoine.