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Photos de classe

Zoute People

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Morgane Griffoul. CC BY-NC-ND.

Le magazine Zoute People aligne des photos de people à la plage ou en soirées m’as-tu-vu. Depuis vingt ans et tiré à 20 000 exemplaires (deux fois plus que Médor), il est distribué gratuitement à travers la Belgique. Grand bien lui fasse, mais qui est-ce que ça intéresse ?

Des vagues dorées scintillent au soleil. Elles ne sont pas celles de la mer du Nord, invariablement verdâtres, mais bien les soyeuses mèches blondes des vacanciers agglutinées face à l’objectif, au River Woods Beach Club, au gala du Zoute Grand Prix ou au Royal Zoute Golf Club. Imprimé sur papier glacé, le magazine Zoute People fait briller les nantis en villégiature dans la station balnéaire de Knokke-Heist. Cette accumulation, sur 100 pages, de peaux tannées, doudounes sans manches et pantalons Framboise Écrasée reflète un milieu à l’homogénéité chimiquement pure.

Tableau caricatural, Médor vous l’accorde. Alors qu’il les alimente activement, ces clichés zoutois agacent le cofondateur du magazine, John-Alexandre Bogaerts. « C’est tellement débile l’image que les gens ont du Zoute ! Dès qu’il y a un peu d’argent, ça braque tout le monde. Knokke, c’est beaucoup plus que ça, c’est 35 000 habitants, des petits commerces, un centre culturel et un CPAS hein ! » Elle reste la troisième commune la plus riche de Belgique en termes de revenus (47,2 % au-dessus de la moyenne nationale) et le prix moyen d’un appartement sur la digue s’y élève à 1,4 million d’euros.

Les riches n’aiment pas tellement qu’on souligne qu’ils le sont. Mais alors, pourquoi diffuser un tel magazine gratuit jusque dans une boulangerie portugaise d’Ixelles (Bruxelles), où Médor l’a déniché ? « On distribue 10 000 exemplaires à Knokke, les 10 000 autres dans les rijkste gemeenten van België (les communes les plus riches de Belgique), entre Brasschaat, Sint-Martens-Latem, Uccle… via le réseau de Rossel », éclaire John-Alexandre Bogaerts. L’entrepreneur revendique de « faire plaisir aux familles et aux commerces », en produisant des photos-souvenirs des « habitudes et des places to be » tout en donnant la « priorité à Belfius s’ils organisent un concours de châteaux de sable ». Des publicités pour Axa, Bentley, des agences immobilières ou des gestionnaires d’actifs accompagnent nos vacanciers dans leurs safaris mondains. « Par contre là où on a un rôle utile, c’est dans le soutien de l’Horeca, qui ne débourse pas 1 centime. » La publicité est gracieusement offerte aux petits commerçants. « On est un peu les Robins des Bois de la presse, le communisme version capitaliste. »

Who’s who

La ligne éditoriale du Zoute People est aussi simple que ça : des people et des annonceurs. L’essentiel de la présente enquête tient alors en une question : qui sont les people ? Alexander de Croo prend la pose avec Marc Raisière, Jacky Ickx avec une Porsche et Jean-Claude Van Damme avec son biceps. Depuis le premier numéro, paru en 2004, feu le bourgmestre Leopold Lippens est apparu 17 fois (18 si on compte une mise en abyme réalisée par Kim Clijsters posant avec un magazine). En couverture, de grosses pointures. Et dans le magazine ? « Lui je le connais, lui je ne sais pas qui c’est, lui je sais qui c’est, elle je ne sais pas… », fait John-Alexandre Bogaerts, en baladant son doigt de page en page. « Tout le monde est dans Zoute People, c’est ça qu’il faut comprendre. Qui que tu sois, tant que t’es là. »

Au-delà du support de pub ou du souvenir de vacances pour bonnes-mamans, Élise Maas voit en Zoute People un moyen de réseauter. Pour la présidente du master en Relations publiques de l’IHECS, « mettre des gens en contact, les montrer, créer une communauté et la valoriser sont de bons outils de relations publiques ». Et de fait, l’œil entraîné reconnaîtra dans les fêtes zoutoises Marc Coucke (homme d’affaires milliardaire), Thierry Van Kan (ancien CEO de D’Ieteren Auto), Pierre Degand (fondateur de la Maison Degand) ou encore François Fillon, candidat à la présidentielle française de 2017.

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L’équipe de Médor. CC BY-NC-ND

Monique Pinçon-Charlot n’apparaît dans aucune de ces pages, elle qui, pendant toute sa carrière de sociologue au CNRS, a pourtant étudié la bourgeoisie. Dont celle de Knokke. À Médor, elle rappelle que l’entre-soi et sa médiatisation jouent un rôle économique. « On est plus riche au contact des riches, la richesse de chacun rejaillit sur la richesse de tous les autres. » Pour assurer sa richesse financière, on ne peut faire sans les richesses sociale et symbolique (« les lotissements chics du Zoute et le goût du luxe »).

Business network

Voir et être vu le long de la côte est bon pour les affaires, celles de John-Alexandre Bogaerts en particulier : son business central est le B19, un club d’affaires organisant « des breakfasts, conférences, business speed dating » pour « chaque entrepreneur […] contrairement à d’autres cercles qui privilégient l’élite ». Zoute People lui offre une visibilité toute particulière et les revenus dégagés par le magazine permettent de payer le loyer d’une autre de ses entreprises : le journal Pan qui, sous couvert de satire, assume des opinions conservatrices-réactionnaires (contre l’islamisme, le wokisme, le totalitarisme écolo et tout ce qui va avec).

Avec Zoute People, l’entrepreneur n’a rien inventé. Il a plutôt repris des concepts existants : le nom est inspiré du tabloïd américain People et les galeries photos mondaines des magazines L’Éventail ou Paris Match. À la différence qu’ici, aucun des people zoutois n’est nommé. Pas besoin, ils savent qui ils sont, individuellement et collectivement. « Vous allez regarder si vous êtes bien pris en photo, reconnu par cette communauté, si vous avez les codes… L’intrus est très vite repéré, poursuit Élise Maas. Pour le Zoute et pour ces milieux, il y a un enjeu à paraître bien habillé, bien accompagné, distingué. Dans tous les sens du mot distingué. »

Dans le best-seller de sociologie La distinction, Pierre Bourdieu argue que les styles de vie permettent de marquer une appartenance à un groupe et donc une distinction entre les classes sociales. Passer ses étés à Knokke ou non, y jouer au golf avec ou sans polo ne relèvent pas du goût personnel, mais bien d’un « système de représentations », propre à un groupe social cherchant à se situer par rapport aux autres.

Magazine sans texte, le Zoute People est pourtant très bavard. Il nous offre vingt ans d’archives des stratégies de classe des plus fortunés, leur réseautage sportif, leur copinage dînatoire et leur ségrégation pavillonnaire. Il nous rappelle qu’au Zoute, tout le monde a un intérêt à être de mèche.

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  1. Statistique fiscale des revenus sur la base de l’exercice d’imposition 2022 de Statbel.

  2. Chiffre de la Fédération du notariat (Fednot), 2023.

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