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L’amour avec un grand Q

Queer à prendre

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Morgane Griffoul. CC BY-NC-ND.

« T’es queer et prêt(e) à oublier ton ex ? » Cette question, affichée dans les toilettes de bars, de salles de sport et d’autres endroits LGBTQ+ bruxellois, vient de Cœur à Prendre. Ce projet propose de trouver l’amour hors des applications de rencontre et des milieux festifs.

Diego (prénom d’emprunt) se trouve dans la cuisine de sa coloc’, son endroit préféré. Stan, rédacteur pour Cœur à Prendre, luiqueer pose des questions pour rédiger son portrait. Une photographe saisit Diego sous son meilleur jour. Ses cheveux sont retenus par des barrettes, ce qui souligne la douceur de son visage. L’équipe est aux petits soins pour ce médecin d’une trentaine d’années, arrivé à Bruxelles d’Andalousie, en 2021.

Il s’identifie comme queer — c’est le Q dans LGBTQ+. À l’origine, ce terme était une insulte en anglais signifiant « bizarre », utilisé pour désigner les personnes ne répondant pas aux normes hétérosexuelles, avant d’être repris par les concerné(e)s.

Côté sentimental, Diego est un grand romantique. « J’ai envie de donner et de recevoir de l’amour, de me sentir choisi et de choisir à mon tour, d’avoir une sexualité joyeuse. La vie est plus belle quand on la partage, pas forcément dans une relation de couple traditionnelle. »

Alors, les flyers de Cœur à Prendre sont tombés à point nommé :

  • - Tu veux oublier ton ex ?
  • - Alors comme ça tu cherches l’amour ?
  • - Salut joli cœur, si tu cherches à faire une rencontre qui a du sens et échapper aux diktats du swipe et du like, peut-être qu’on pourrait essayer le slow dating ensemble !

Le slow dating, à contre-courant des applications comme Tinder, c’est prendre le temps de se connaître plutôt que de privilégier des rencontres rapides. Dans Cœur à Prendre, dix profils sélectionnés parmi 26 candidatures seront présentés dans un fanzine. Dès sa parution en juin (les points de distribution restent à confirmer), les personnes intéressées par les profils pourront déposer un courrier dans une boîte aux lettres installée aux Grands Carmes, un lieu queer du centre-ville. Les déclarations seront transmises, et la magie pourra opérer.

Derrière cette initiative, trois amis célibataires : Cabri, Diastème et Emma, déjà engagés dans le milieu festif et militant queer. Emma explique : « On fait la fête, on rencontre des gens, mais personne n’a de relation sérieuse. On ne cherche pas forcément cela, mais on constate qu’il y a un besoin de créer des connexions en dehors des soirées. Eux, ils utilisent l’app Grindr (rencontres homosexuelles, NDLR). Moi, en tant que femme bi, j’utilise OKCupid. Ça demande beaucoup d’énergie. Alors, on a lancé ce projet, surtout pour tisser des liens, avec l’aide d’une quinzaine de bénévoles. »

Plutôt flemme que flamme

L’été 2021, Diego comprend que Grindr n’est pas fait pour lui. Trop codé, trop rapide. Il a matché, la personne est venue chez lui et est repartie après 35 minutes. « Il était 10 h du matin, j’étais sonné, je me suis demandé : qu’est-ce qui ne va pas ? » Il partage son expérience avec une amie qui lui glisse : « Ça te convient peut-être pas ? »

En 2019, Test-Achats a réalisé une enquête qui démontre que 67 % des utilisateurs auraient été déçus par les applications de rencontres. Selon une autre enquête menée par la société de sondages et d’études YouGov en 2020 pour l’application de rencontres Once, 83 % des utilisateurs seraient insatisfaits de ces plateformes. Malgré cela, ils y passeraient en moyenne 55 minutes par jour, selon une enquête de 2023 menée par eHarmony (une autre app de rencontres, y en a plein !).

Diego réfléchit : « De par leur mode d’interaction très proche de celui de la consommation, les applis ont pu accentuer des fragilités déjà existantes en moi. Je me demande si cela n’a pas amplifié ma peur du rejet et affecté mon rapport au corps. Le style est très direct sur Grindr, on peut tout détailler, le poids, la taille du pénis… Les fantasmes, c’est super, mais ça m’a marqué. »

La communauté queer utilise davantage ces plateformes que les hétéros. Elles représentent un moyen de rencontre, parfois un premier pas avant de fréquenter des lieux LGBTQ+. D’ailleurs, à sa sortie en 2009, Grindr se targuait d’être un bar gay de poche.

Le bal du village

Après avoir renoncé aux applications, Diego se décide à sortir dans le quartier gay du centre de Bruxelles, « ça m’a fait du bien ! Tu ne te poses pas la question de qui est quoi. Tu te sens plus à l’aise d’être toi-même, donc ça plaît aux autres ».

Son rapport à la séduction évolue rapidement, mais pas nécessairement dans la direction souhaitée. Il est entouré par d’autres addictions, notamment l’alcool et les drogues associées au chemsex, une pratique historiquement répandue dans le milieu gay. Tout semble s’accélérer, lui échapper. Et, surtout, il tourne en rond dans les mêmes soirées.

Alors, où draguer en se sentant à l’aise ? Les bars queers, il n’y en a pas tant. Par exemple, à Bruxelles, il n’y a que le Crazy Circle – pour les lesbiennes, bi et personnes FINTA (un acronyme popularisé dans le milieu féministe et queer qui désigne les femmes, personnes intersexes, non binaires, trans ou agenres).

Noah Gottlob, psychologue et cofondateur d’Épicentre (un espace de santé inclusive), identifie une problématique : « L’idée que certains endroits sont inaccessibles pour trouver l’amour quand on est queer – travail, transports en commun ou même un mariage traditionnel – est fausse. Le problème, c’est qu’elle est répandue au point de se transformer en réalité. À force d’entendre qu’elles ne trouveront pas l’amour ou une sexualité épanouissante en dehors des espaces safe, les personnes queers finissent par y croire et s’interdire des possibilités. »

Cœur à Prendre représente un moyen de rencontrer autrement. Cabri, Diastème et Emma expérimentent une nouvelle possibilité de créer des liens et de partager des vécus. D’autres initiatives existent dans la même veine à Bruxelles, comme les speed dating pour personnes FINTA organisés par Fatsabbats, une association par et pour les communautés LGBTQIA+ racisées.

Le care dans la quête

Cœur à Prendre est une célébration de l’amour, de l’authenticité et de la visibilité queer, explorant diverses formes de relations. On y découvre des histoires telles que celle d’un couple cherchant un troisième partenaire ou d’une artiste qui place en priorité ses amitiés. Le psychologue souligne : « Visibiliser, c’est montrer que quelque chose existe, c’est ce que fait Cœur à Prendre en mettant en lumière des personnes dans leur individualité. En plus, ça peut éveiller un fantasme pour la personne qui lit le profil, en imaginant que ce cœur pourrait être pris par elle ou lui. Cela rend l’expérience possible. »

Pour faciliter cette ouverture, les participants sont chouchoutés. Noah Gottlob relève l’importance de l’approche collective : « C’est toute une équipe qui s’organise autour du participant. Cela libère de l’inquiétude de devoir se porter seul et favorise une prise en charge sans enfermer la personne dans un schéma normatif. »

Finalement, ce que désire Diego, c’est remettre la tendresse au centre. Et déjouer les rôles, les choses apprises. « La pluralité des expressions, des pratiques amoureuses et sexuelles, c’est ce qui fait la force de la queerness. On garde l’esprit ouvert, on cherche à comprendre, sans juger. »

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