Retour vers le futur
Philippe et Mathilde au Congo
Depuis Léopold II, qui accapara ce territoire sans y mettre les pieds, chaque roi des Belges s’est fendu d’une visite au Congo. C’est désormais chose faite pour Philippe, qui s’est envolé avec Mathilde le 7 juin, sur invitation du président Félix Tshisekedi. Un voyage historique que les autorités belges et congolaises voulaient tourné vers l’avenir. Si les discours du Roi lorgnaient effectivement le futur, le programme de la visite et ses apparats étaient résolument cloués dans le passé.
10 juin, 12 h 20. L’Airbus A400M « Belgian Air Force », comprenant à son bord le couple royal, le Premier ministre et la délégation de 40 personnes, atterrit
sur le tarmac de Lubumbashi. Cet appareil militaire posé sur le sol katangais marque la reprise de la coopération militaire belge dans cette région chargée d’histoire commune.
Douze ans se sont écoulés depuis la visite fantomatique d’Albert II, le père de Philippe, à Kinshasa. Pour le président congolais Félix Tshisekedi, cette visite est un coup politique qui va renforcer sa légitimité. Côté belge, ce retour en grâce est accueilli avec opportunisme.
7 juin. 17 h. Une foule dense accueille le cortège à l’aéroport. L’enthousiasme (ou la curiosité) se poursuit le long du boulevard qui mène au centre-ville, sans l’envergure d’une visite papale. Dans la grande tradition kinoise, les panneaux publicitaires démesurés font honneur aux invités. Philippe s’en amuse. Arrivée à l’hôtel Memling, la délégation est reçue avec des bières, des chips et des pins à l’effigie de Philippe et Félix. Sur le parvis, des vendeurs de rue écoulent des reproductions de Tintin au Congo.
8 juin. Philippe et Mathilde sur la place des Anciens Combattants (commune de Kasa-Vubu, Kinshasa) au son de la fanfare. Philippe s’en va décorer de la cravate de commandeur le caporal Albert Kunyuku (100 ans), dernier soldat de la force publique (l’armée du Congo belge) encore vivant.
8 juin. Musée national de Kinshasa, boulevard Triomphal. Des danseurs Minganji (Pende) attendent la délégation belge avant la restitution symbolique d’un masque par le Roi.
Construit en 2019 avec le soutien de la coopération sud-coréenne, le musée est consacré à l’histoire culturelle des groupes ethniques du pays. Problème technique : le musée est trop petit pour accueillir un retour considérable d’œuvres.
Le roi Philippe et le président Tshisekedi dévoilent un masque « Kakuungu » de l’ethnie suku au musée national de Kinshasa. Objet rare, il est censé amorcer la réflexion sur le retour des milliers d’œuvres d’art stockées à l’AfricaMuseum de Tervuren. « Je tenais à vous remettre cet exemplaire exceptionnel afin de permettre aux Congolais de l’admirer. Ce masque, collecté au Congo il y a plus de septante ans, sera en prêt illimité au musée de Kinshasa », déclare Philippe. Car, faute d’une législation belge en matière de restitution, le masque ne peut être donné/rendu. Un prêt, donc, mais à long terme !
8 juin. 12 h. La garde montée s’échauffe dans les jardins du palais de la Nation (Kinshasa). Prévu pour être un gouvernorat colonial, ce bâtiment devint le parlement où, en 1960, Lumumba tint son discours devant le roi Baudouin. Sous le régime de Joseph Kabila, le palais se transforme en forteresse présidentielle. Depuis Tshisekedi, le lieu est redevenu simple bureau du Président. La délégation de Philippe et Mathilde visite la salle du discours de Lumumba et de Baudouin, plante des arbres dans le jardin.
Statue équestre du roi Léopold II sur le mont Ngaliema. Installée en 1928 en face du palais de la Nation, elle est la réplique exacte de la statue inaugurée à Bruxelles deux ans plus tôt à côté du palais royal. Déboulonnée en 1967 par Mobutu, elle a été réhabilitée en 2014 par Joseph Kabila. Elle se trouve à l’Institut des musées nationaux du Congo (mont Ngaliema). Mais la présidence veut qu’elle déguerpisse de ce lieu. Nul ne sait où ira gambader Léopold II (et son cheval), pas plus que les 45 000 objets d’art qui se trouvent dans l’Institut.
8 juin, 14 h 45. Des milliers de gens se massent devant le palais du Peuple pour l’un des moments clés de la visite : le discours du Roi. Beaucoup de Kinois sont venus appuyer leurs partis politiques dans leur démonstration de force. Un employé de l’ambassade vient distribuer discrètement quelques étendards noir-jaune-rouge.
Dans l’attente du couple royal, la sono joue Heal the World de Michael Jackson. Enfin, le Roi prend la parole, salue la foule en lingala (mbote et quelques mots qui ravissent l’audience). Philippe réitère ses « regrets » sur la colonisation. Ce ne sont pas les excuses espérées par certains. Le ton est plat. L’attention retombe.
9 juin, 16 h 40. À la sortie de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, des artistes rappellent le passé sanglant de la Belgique coloniale.
17 h 25. Frank et Frank, les attachés de presse du Palais, jouent les doublures avant une séance photo avec Philippe et Mathilde.
17 h 39. Le couple royal invité pour un banquet à la cité de l’Union africaine (mont Ngaliema), vaste domaine qui tient lieu de résidence à Félix Tshisekedi. Au menu : joues de bœuf à la flamande et pain d’épices, filet de bar en Waterzooi aux crevettes grises.
10 juin. 17 h 20. Université de Lubumbashi (UNILU). Le Roi donne son deuxième discours devant quelques milliers d’étudiants réunis depuis le petit matin.
Le couple royal dans un bain de foule au village Katanga. « Le moment le plus émouvant de cette visite », confessera Mathilde à la fin du voyage.
Village Katanga à 90 kilomètres de Lubumbashi. Deux jeunes filles attendent le couple royal sur une portion de bitume spécialement coulée pour l’occasion. Les enfants du village scandent des « Vive le Roi » avant d’être recadrés par le protocole du Palais qui suggère un « Bienvenue au roi des Belges » en swahili.
Il vous reste une boîte de biscuits à l’effigie de la famille royale mais vous n’avez plus la grand-mère qui cuisinait les gourmandises à mettre dedans ? Passez une petite annonce dans Médor, qui sait, une personne sera peut-être ravie de faire chauffer son four pour remplir votre cœur…
