Commune, c’est quoi ton blaz’ ?
Tout ce que vous rêviez de savoir sur les armoiries
Des murs de la salle du Conseil au courrier communal, les blasons des localités wallonnes jalonnent nos existences officielles. Péruwelz l’a joué tranquille : juste un damier. Et Musson, plutôt « rock » avec un blason noir. Butgenbach affiche deux pelles croisées et Dison un mouton hélitreuillé. Mais comment choisit-on son blaz’ ?
Pas blasée de symboles anciens, la commune d’Oreye (province de Liège) – sans blason – se serait bien approprié les armoiries locales d’Arnould d’Oreye-Montferrant dit de Rummen. « Mais il semblerait que cela soit compliqué », avance le bourgmestre Jean-Marc Daerden. Le Conseil d’héraldique et de vexillologie ne l’entend en effet pas de cette Oreye, car les armoiries sont déjà prises. « Pas question de prendre des armoiries à une famille sans son accord », explique François-Xavier Geubel, président du Conseil. Petit souci : on perd la trace des rejetons d’Arnould vers le XVIe siècle. « Si la descendance est éteinte, on ne peut pas réutiliser les armoiries, avance François-Xavier Geubel. Auparavant, on cassait ou on enterrait les armoiries avec la dernière descendance. »
Mais tout n’est pas perdu. La commune peut proposer n’importe quel gribouillis un peu coloré au Conseil et ça passera. Enfin plus ou moins. Il y a quand même quelques règles à respecter. Le blason doit être visible de loin. Il ne peut y avoir couleur sur couleur (bleu sur vert par exemple) ou métal sur métal (argent sur or). Ce sera toujours couleur sur métal (ou l’inverse). Il ne faut pas forcément faire preuve d’originalité. L’héraldique pratique volontiers le premier degré avec les armoiries dites « parlantes ». À savoir des illustrations qui font directement référence au nom. Ainsi le blason de Cerfontaine ? Un cerf et une fontaine. Pour Oreye, ce serait alors… « Non non non faut pas exagérer !, avance François-Xavier Geubel. Il faut tout de même une référence historique ou patrimoniale. »
Vareuse de chevalier
C’est le blasonnement, à savoir le texte descriptif, qui est enregistré, et non une image. Tout ce qui n’est pas décrit peut être interprété. On croyait les blasons figés comme Tintin dans l’éternité, mais ils sont en fait des Spirous dont les codes sont connus et que l’artiste peut revisiter.
À écouter François-Xavier Geubel, le blason serait moderne. Enfin, moderne à moitié, car son descriptif est rédigé en ancien français, ce qui complique un peu la lecture. Un demi-sanglier planqué derrière un arbre (Habay) devient « d’or à un chêne terrassé au naturel, englanté d’or et adextré d’un demi-sanglier de sable mouvant du fût ». Une fusée spatiale (Geer) ? « D’azur à une tour ouverte à toit conique d’argent, accostée de quatre épis d’or rangés en pal 2 et 2. Ceux à dextre en bande, ceux à senestre posés en barre. » Le bleu se dit « azur », le rouge « gueule », le noir « sable », le vert « sinople ».
Au Moyen Âge, la chevalerie se planquait tellement sous les cottes de mailles qu’on ne reconnaissait pas les combattants. Les armoiries héraldiques deviennent populaires. « C’est un peu comme les vareuses de foot, vulgarise le président du Conseil d’héraldique. C’est pour reconnaître son équipe sur le champ de bataille. » Et ces vareuses (le plus foot, c’est le blason de Mont-Saint-Guibert) vont connaître leur boom entre 1220 et 1330. Tout le monde va vouloir son petit insigne customisé. « On a retrouvé un sceau de paysan normand, explique François-Xavier Geubel, qui a lui-même fait enregistrer ses armoiries perso. Il pouvait authentifier avec son blason un achat de terre par exemple. C’était alors le signe le moins falsifiable de l’époque. Il faut tuer l’idée que ces sigles étaient réservés à la noblesse. »
Au fil du temps, les villes, de plus en plus autonomes, vont aussi avoir recours aux armoiries. Et de siècle en siècle, les blasons se sont parfois chargés au gré des alliances et remembrements, reprenant les blasons des seigneuries sur le territoire, affichant les fortifications du lieu, signifiant ainsi la force de la commune (et bravo à Écaussinnes qui remporte le premier prix du blason patchwork illisible). « Il y a un côté un peu show, poursuit François-Xavier Geubel. Impressionner son voisin, la motivation reste la même à travers les âges. »
Le logo, ça fait mal
Les blasons des communes sont reconnus officiellement par la loi. Et des instances officient différemment au nord et au sud du pays.
Le Vlaams Heraldische Raad détermine et fixe les armoiries de la commune. Punt. Résultat : elles en ont toutes. La commune de Lievegem, créée par fusion en 2019, possède déjà son blason qui évoque un canal et la verdure du lieu. « Un décret (du côté flamand, NDLR) oblige chaque commune à avoir un blason et un drapeau, explique Luc Duerloo, président du Raad. Il est rare qu’une commune ne prenne pas de mesures pour satisfaire à cette condition. » De mémoire d’expert, une seule commune a été forcée par la Région à adopter un blason. C’était en 1988 et c’étaient les Fourons…
Côté francophone, la commune soumet des armoiries au Conseil créé en 1985. Quand c’est bon, « le descriptif est publié au Moniteur. La commune en a alors un port unique et paisible, c’est sa propriété exclusive et protégée ». Quand c’est non, comme c’est le cas pour Oreye, c’est la galère.
Au Nord on oblige. Au Sud on conseille.
Quatorze communes en Wallonie sont orphelines de blason : Lobbes, Ouffet, Saint-Georges-sur-Meuse, Saint-Nicolas, Trooz, Verlaine, Fauvillers, Léglise, Libramont-Chevigny, Martelange, Tenneville, Doische et Éghezée. Mais pourquoi cette absence d’armoiries dans les tiroirs ? Pour Trooz, ce n’est pas la priorité (et on peut comprendre). Libramont pointe la jeunesse de la ville. Fauvillers s’y essaie. Et plusieurs communes préfèrent jouer la carte du logo comme Saint-Georges-sur-Meuse, Doische, Verlaine, Ouffet ou Éghezée. De quoi briser le cœur de François-Xavier Geubel. « Quand une commune utilise un logo, cela me fait mal. En Allemagne, en Finlande, en Suisse, ils sont beaucoup plus dynamiques. Plutôt que de payer un prix de fou pour un dessin, pourquoi ne pas revisiter le blason ? »
Oui mais il y a LA question que nous aurions dû poser depuis le début : à quoi ça sert, un blason communal ? « D’abord il faut un sceau pour faire les actes officiels. Les communes qui n’en ont pas utilisent un vieux blason de la Belgique ou sont dans l’illégalité. Ensuite, à l’heure où le terroir revient en valeur cardinale, c’est de l’histoire locale. »
BMW, pas moderne peut-être ?
Neupré hésite pourtant encore. Un cahier des charges a été réalisé pour repenser l’identité visuelle de la commune. « Un nouveau logo accompagnera ou remplacera le blason en fonction de la décision du collège », explique l’administration communale. Avant de glisser que le blason, ça fait quand même un peu « vieille commune ». « Regardez le logo de Shell ou de BMW, qui sont typiquement des blasons, comment ils ont réussi à se réinventer, contre-attaque François-Xavier Geubel. Le blason allie pouvoir d’identification et liberté d’interprétation. Et c’est beaucoup plus intemporel qu’un logo. »
Wavre a ainsi revu son blason en 2014. Ses trois feuilles de nénuphar stylisées tendent à présent vers des cœurs verts (enfin, sinople). Fusion entre blason et modernisation. Reste le blason sans solution, ce défi qui dure d’Oreye.
Vous êtes sérigraphe et aimeriez savoir à quel point des gens pourraient être intéressés par l’achat de tote bags illustrés du blaz de leur commune ? Et si vous posiez la question à la communauté médorienne à travers nos petites annonces ?
Illustrations et descriptifs repris tels quels de Wikimedia.
Habay par Émile Beguin, CC BY-SA 3.0.
La Louvière, Ittre, Rixensart, Wavre par PercevalBxl (non vérifié), domaine public.
Musson par Drago0307, domaine public.
Gembloux par Syryatsu, domaine public.
Schaerbeek, Forest, Watermael-Boitsfort par Benzebuth198, CC BY-SA 3.0.
Ottignies-Louvain-la-Neuve par Supers Résistant, CC BY-SA 3.0.
Charleroi par Mim' ;s, CC BY-SA 3.0.
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Il ne s’agit pas de la science de la vexation (ne le prenez pas mal), mais des drapeaux.
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Ce sera le seul jeu de mots sur Oreye.
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La couleur est un des traits caractéristiques des blasons occidentaux. Identifier une personne par des idéogrammes s’est affirmé en même temps en Asie et en Europe, mais, tandis que les « kamon » japonais ne se préoccupaient pas de la couleur, les blasons occidentaux en ont fait une marque distinctive.
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Damned ! J’ai failli tenir jusqu’au bout.
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