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Cloîtrés

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John Vink. Tous droits réservés.

Depuis janvier, des sans-papiers occupent l’église du Béguinage (Bruxelles) pour faire reconnaître leurs droits. Dans leur sillage, avocats, militants, artistes, syndicats et associations ont œuvré à amplifier leurs revendications. Pendant huit mois, John Vink a photographié la détermination de ce mouvement.

30 janvier 2021. Lorsque s’ouvre la lourde porte couleur ocre, c’est un bloc soudé qui pénètre dans l’église Saint-Jean-Baptiste-au-Béguinage, à Bruxelles : l’Union des sans-papiers pour la régularisation (USPR). Deux cents travailleurs et travailleuses de l’ombre fédérés en un jeune mouvement étalent des matelas et couvertures bariolées aux pieds des saints. Ils commencent une occupation politique qui s’étendra aux campus de l’Université libre de Bruxelles et de la Vrije Universiteit Brussel.

Ils sont les délaissés de notre société, à qui est relégué le sale boulot, sur les chantiers, dans les cuisines, dans le nettoyage à domicile. Sans statut légal, ils sont pris dans les filets de l’économie informelle, victimes d’exploitation et laissés dans une précarité aggravée par le Covid. Ils sont nombreux à bosser ici depuis plus de dix ans, payent des loyers et des taxes. « On ne veut pas le CPAS, on veut juste travailler dans des conditions correctes », martèle Nessa, une occupante mère de famille.

Entre les paillasses de fortune et parmi les manifestants, se faufile John Vink. Le photographe s’est rendu près de trente fois sur les lieux, entre février et août 2021. Depuis 1986, le photographe, passé par la mythique agence Magnum, a immortalisé les phénomènes migratoires au Soudan, en Albanie, au Mexique, au Cambodge… Ses images d’existences chamboulées donnent à voir le déracinement, l’appartenance à un lieu, l’identité culturelle, la résilience.

Trente-cinq ans plus tard, ce sont les mêmes trames qu’il reconnaît dans cette nouvelle crise de l’accueil que connaît notre pays : « L’intégration dans un nouveau lieu, pays ou contexte, c’est l’étape ultime pour les migrants, avant de pouvoir reprendre une vie normale et paisible. Dans le cas des sans-papiers de l’église du Béguinage, ils sont déjà intégrés dans les faits. Mais, légalement, il leur manque un bout de papier, ce blanc-seing que le gouvernement leur refuse. »

Convergence

Au printemps, l’action s’est transformée en grève de la faim. « Après des années de mobilisation dans les rues et à force d’être niés, les sans-papiers ont changé de stratégie », explique Lhoucine Edrham, l’un des porte-parole de l’USPR, lui-même ancien travailleur au noir dans l’horeca. L’« Union » s’est voulue organisée, visible et combative, mobilisée dans l’intérêt de la centaine de milliers de travailleurs sans droits que compte la Belgique. Conseillée par des avocats et des juristes, elle avait entamé sa lutte avec des objectifs précis : obtenir des critères de régularisation clairs et permanents, à travers une réforme de l’article 9bis de la loi sur l’accès au territoire, seul sésame vers l’autorisation de séjour.

Sur la façade de l’église, aux côtés de la banderole de l’USPR, flottent désormais d’autres pavil­lons : ceux de la CSC, de la FGTB, d’associations militantes féministes, d’étudiants de gauche radicale… Dès les premières semaines, des réunions s’organisent sur le parvis pour penser et planifier cette mobilisation de longue haleine. Le Collectif artistes actifs béguinage (CAAB) a épaulé l’Union dans sa communication. « Ne laissez pas mourir les gens, changez la loi » : des slogans politiques sont venus tapisser la porte de l’église, s’affichant dans les rues de la capitale et inondant les réseaux sociaux.

Il n’est pas nouveau que des sans-papiers se réunissent en collectif et constituent des « initiatives autonomes auxquelles viennent ensuite se greffer une série d’acteurs de la société civile impliqués dans les questions migratoires », observe le doctorant en sciences politiques Youri Lou Vertongen, dont les recherches portent sur les mobilisations collectives autour des enjeux de migration. « Ce qui est exceptionnel cette fois-ci n’est pas la composition hétéroclite du mouvement ou la convergence des luttes à l’œuvre mais le fait qu’ils aient atteint une telle visibilité politique et médiatique. »

Cette visibilité a pourtant dû être arrachée. L’accès privilégié de John Vink aux lieux d’occupation témoigne du besoin de l’USPR de trouver un écho dans des médias longtemps absents. Pendant des mois, les sans-papiers ont interpellé le secrétaire fédéral à la Migration Sammy Mahdi (CD&V), mais sans parvenir à le faire fléchir. C’est seulement en juillet dernier, à l’approche des vacances parlementaires que la grève de la faim puis celle de la soif ont bousculé un tout petit peu l’agenda politique.

À la suite des promesses d’examiner les dossiers « dans les plus brefs délais » (mais toujours au cas par cas), les actions ont laissé la place aux opérations administratives. « On ne quittera pas le béguinage tant que toutes nos demandes de régularisation ne seront pas dûment traitées, explique Ahmed, autre porte-parole de l’USPR. Notre combat n’est pas fini et les sans-papiers sont déterminés à reprendre la grève de la faim s’il le faut. »

Pour prolonger ou accompagner la lecture, Pointculture nous propose Sans-papiers du groupe MAKYzard.

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