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Rien ne s’oppose à la nuit

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Thomas Hayman. CC BY-NC-ND.

C’est arrivé le 20 septembre dernier, dans le parc de Bruxelles. De la musique qui sort des enceintes du Kiosk (voir notre article sur la culture DJ). Et soudain, des dizaines de personnes. Qui s’agglutinent. Et font « foule ». Voilà ce qu’aujourd’hui, dans un monde sous Covid, on appelle un « dérapage ». Mais qui signale à quel point le désir de se rassembler est fort. Presque « incontrôlable ».

Depuis cet épisode, notre monde s’est encore rétréci. Il y a eu le couvre-feu. La nuit ne nous appartient plus.

Pourtant, elle est une partie essentielle de ce qui nous construit, nous rassemble. La nuit, c’est le moment où nos vies se débranchent et nos passions se connectent, « un lieu de discussion, de cohabitation, de création, de transgression, de séduction et d’inattendu », résumait parfaitement le journal portugais Público, dans une analyse publiée le 11 octobre.

C’est un lieu de culture par excellence. Une culture elle aussi mise au banc, non pas des accusés, mais des remplaçants. Elle attend de monter au jeu, comme si elle était un accessoire de nos sociétés, un bonus divertissant, un luxe en temps de souffrance.

Faut-il rappeler la nécessité absolue de la culture ? Cette nécessité de bâtir de manière complexe nos identités ? Un concert, un spectacle, c’est quoi ? Un moment et un lieu où des inconnus partagent un monde. Où l’on adhère, ensemble, à un récit commun. Un livre, c’est quoi ? Un monde imaginaire auquel on croit, à plusieurs. Et qui nous construit. « L’être humain a inventé l’art. Ce n’est pas qu’une question esthétique ou intellectuelle, ou de divertissement. C’est un besoin vital comme boire et manger », explique Thomas Jolly, directeur du Centre dramatique national d’Angers dans la revue Le Un, rappelant au passage un processus qui se vérifie toujours : « Dans les grands moments de flou de notre histoire, c’est l’art qui prend le relais. Les poètes réinventent les récits dans lesquels on se réfugie. »

Aujourd’hui, le monde n’a peut être jamais été aussi flou, les défis aussi difficiles à appréhender. Le monde politique ne parvient plus à modeler le moindre récit qui nous réenchante. Investir dans l’art et la culture, parents pauvres de nos politiques publiques (voir notre dossier sur la galère des musiciens), n’a jamais été aussi nécessaire. Pour sauver un secteur, mais surtout pour inventer un avenir commun.

Manger, l’objectif ultime ?

Les droits économiques, sociaux et culturels sont des droits fondamentaux. « Notre société souffre de trop peu de démocratie dans la culture, et de trop peu de culture dans la démocratie », dit Bernard Foccroulle, ancien directeur de La Monnaie, dans Le Soir.

Alors, en attendant le retour de notre nuit, comment sauver la culture ? Comment la réinventer ? Faut-il en appeler simplement à l’économie, ce faux frère ? Cet ami qui trahit. Il serait tentant d’utiliser son langage. D’avancer que la culture pèse 5 % du PIB européen, 250 000 travailleurs en Belgique. La belle affaire. Elle ne rapporterait même rien qu’elle n’en serait pas moins essentielle. Paroles d’intellos, calés bien au chaud ? Évidemment qu’il faut manger à sa faim et dormir sous un toit pour tenir de tels propos. Mais notre société ne doit pas nous offrir que le droit à la survie.

Imaginez votre vie sans cette musique préférée, celle qui apaise votre douleur, exalte votre joie ou nourrit votre mélancolie. Imaginez-vous privé de ce texte qui vous a emporté si loin de votre vie qu’il vous a aidé à la comprendre. Combien payeriez-vous pour cette danse, cette toile, cette sculpture, ce film venu frapper aux portes de votre âme pour vous faire rire, fondre ?

Amputez nos quotidiens de ces œuvres. Contemplez alors l’incroyable vacuité de nos existences.

Nous avons besoin de l’art et de la culture. Autant que le jour a besoin de la nuit.

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  1. Rapport d’Elisabetta Lazzaro (ULB) et de Jean-Gilles Lowies (ULg), cité par L’Écho, 19 et 20 septembre 2020.

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