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La violence des vérandas Willems

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Fred Deltenre. CC BY-ND.

C’est dans son quartier de Berchem, à Anvers, où se côtoient plus de 100 langues différentes, que le sociolinguiste Jan Blommaert a théorisé son concept de « superdiversité ». Cette figure intellectuelle de la gauche flamande, aujourd’hui condamnée par un cancer en phase terminale, nous livre dans ce numéro sa vision enthousiaste de l’avenir et des mutations sociales.

Mais il nous raconte aussi (lire son interview ici) ce qu’il a observé au JT pendant le confinement. En écho aux incantations de Maggie De Block, nous priant de « rester chez nous », Blommaert a vu défiler des images d’un « chez-nous » de familles blanches plutôt classes moyennes : des villas « clé sur porte » flanquées de vérandas Willems avec, dans le jardin, des enfants qui sautent sur le tout nouveau trampoline commandé en ligne.

C’est pour éviter de tomber dans une vision de la Belgique des vérandas Willems que Médor agite ses petits bras, depuis deux ans (nous allons bientôt en fêter cinq), pour augmenter la diversité de ses équipes et de ses récits. Dans ce numéro, vous découvrirez les deux enquêtes des lauréates de notre bourse « boule à facettes », octroyée en 2019 et réservée aux personnes qui ne se reconnaissent pas dans le profil du journaliste type, à savoir « homme, blanc, universitaire ». L’une comme l’autre n’ont probablement aucune idée de ce qu’est une véranda Willems – et c’est tant mieux ! Présentations.

« Je m’appelle Soulira Kerri. Je suis née d’un père algérien et d’une mère franco-italienne, ce qui, selon les idées politiques de ma grand-mère maternelle, n’aurait jamais dû se faire ! Pourtant je suis là. J’ai été longtemps spectatrice muette de mon environnement sans jamais imaginer que je pouvais entreprendre. En répondant à votre appel, je souhaite apporter la différence à vos habitudes et contribuer à un journalisme franc, sincère et objectif. »

Soulira vit au bord de la Mehaigne, de son métier d’illustratrice et des légumes de son jardin. Pour Médor, elle raconte les coupures de courant qui empoisonnent la vie des habitants de son village. Là-bas, le réseau électrique bat de l’aile et on se sent abandonné par les décideurs. Alors, quand l’affaire Publifin éclate, dans les bistrots du village, on se demande : les administrateurs de Resa (le gestionnaire de réseau, qui appartenait alors à Publifin) se seraient-ils engraissés pendant que les villageois étaient condamnés à jeter tout le contenu de leur congélateur ?

Diana Mandiá est issue d’une famille paysanne de Galice. Elle a fait ses études à Saint-Jacques-de-Compostelle, a travaillé pour El País et d’autres médias espagnols et sud-américains, puis s’est installée à Bruxelles (et aujourd’hui en Pologne). Elle nous a proposé de retrouver les traces de ses compatriotes immigrés en Belgique sous la dictature de Franco.

« C’est sans doute l’une des dernières occasions de recueillir les témoignages des migrants espagnols dans la Wallonie industrielle. C’est l’histoire de l’Espagne et de son douloureux XXe siècle mais aussi celle d’une Belgique ouverte et prospère et d’une Wallonie métisse qui, à l’époque, menait une “grande reconversion”. En tant que journaliste, mais aussi en tant qu’étrangère en Belgique, je voudrais raconter l’histoire de cette immigration plus diffuse, moins unie et militante. »

Au moment de publier leurs articles, nous voulons les remercier pour ce qu’elles ont, par leur regard, leur langue et leur parcours, apporté à Médor. Ces deux articles ne sont que la partie émergée de l’iceberg. D’autres journalistes, qui avaient postulé à la bourse, ont déjà publié dans nos pages. Fin mars, notre « plan diversité » a été validé. Ce programme nous engage à mener une série d’actions structurelles au sein de notre entreprise, dans les deux années à venir, sous le contrôle d’Actiris.

En attendant, nous sommes déjà fiers du chemin parcouru. Dans ce numéro, vous lirez un entretien avec Betel Mabille, militante intersectionnelle radicale, un article sur Gabrielle Defrenne, hôtesse de l’air de la Sabena dont le procès a marqué l’histoire du combat pour l’égalité salariale en Belgique, ou un portrait d’Hassan Jarfi, professeur de religion islamique devenu porte-voix de la lutte contre l’homophobie : aucun de ces « sujets » ne serait venu à nous si nous nous étions simplement répété d’ouvrir les yeux, en pantoufles, à l’ombre de la pergola.

Dans un monde où l’affrontement menace de devenir la nouvelle norme, où le dialogue et la dialectique ne semblent plus vraiment compter, où les « sans-voix » prennent la parole – qu’on leur refuse – comme et où ils le peuvent, il n’y a d’autre issue possible que le partage de l’espace public et médiatique. À l’image de notre couverture sur laquelle la figure du pouvoir assiste, surprise mais sans doute pas complètement contraire, à l’émergence d’une autre voix.

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